Ces dernières années, l’économie du Burkina Faso fut tractée par une locomotive ivoirienne poussive. La fin de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire permet d’espérer une accélération du convoi. À moins que le wagon burkinabè ne se détache du train…
Source: slateafrique.com
C’est un président Gbagbo affectueux qui proclamait, à Ouagadougou, en 2008, l’amitié indéfectible entre les peuples burkinabè et ivoirien. Une affection formalisée au bas d’un parchemin, le Traité d’amitié et de coopération, signé le 28 juillet. Celui-ci conduira à la tenue du premier Conseil interministériel Côte d’Ivoire-Burkina, le 15 septembre 2009, à Yamoussoukro.
Une «amitié» bénéfique…
En parlant d’amitié, Laurent Gbagbo avait, tout à la fois, tort et raison. Dans une perspective historique, il avait raison d’affirmer que «ce qui concerne la Côte d’Ivoire concerne aussi le Burkina, et vice-versa». De 1932 à 1947, la zone ivoiro-voltaïque étaient scindée en territoires de Haute Côte d’Ivoire et Basse Côte d’Ivoire. La porosité entre les deux zones était flagrante.
Les colons avaient créé le Syndicat interprofessionnel pour l’acheminement de la main-d’œuvre, qui envoyait les Mossis les plus valides au Sud, notamment dans les plantations de café et de cacao. Conscient que ces travaux presque forcés avaient joué un rôle fondamental dans le développement de l’économie ivoirienne, le président Houphouët-Boigny allait même souhaiter, en 1965, l’instauration de la double nationalité entre la Haute Volta et la Côte d’Ivoire.
Le futur Burkina Faso n’était pas économiquement perdant. Par le truchement de l’argent rapatrié par une diaspora de plusieurs millions de personnes, le pays sahélien enclavé pouvait accéder à un certain niveau de croissance.
Dans la bouche de Laurent Gbagbo, pourtant, le mot «amitié» était sans doute abusif, au moment où il prononçait son discours devant la représentation nationale burkinabè, en 2008. Depuis le début de son mandat présidentiel à durée indéterminée, les deux peuples avaient connu bien plus que de saines scènes de ménage.
… mais une dépendance dangereuse
Comme le rappelle le cinéaste burkinabè Pierre Yaméogo dans son long-métrage Bayiri présenté le 29 juin 2011 à Ouagadougou, la capitale, trois centaines de milliers de «Burkinabè de Côte d’Ivoire» prirent les chemins de l’exode au début de la politique d’«ivoirisation» du tissu économique et les premières exactions dans la ville ivoirienne de Tabou.
Non seulement le robinet des revenus issus de la diaspora tendit à se fermer, mais les services du ministère burkinabè de l’Action sociale et de la Solidarité prédirent, dès 2003, que les besoins pour l’accueil et la réinsertion socioéconomique des rapatriés s’élèveraient à 17,1 milliards de francs CFA (26 millions d’euros). Une somme peut-être extrapolée à la louche, dans le but d’attendrir les bailleurs de fonds internationaux. Mais la crise n’a pas seulement rompu ce tube digestif qui allait de la diaspora aux familles restées au Faso.
Au-delà de l’économie à dimension familiale, c’est la macroéconomie qui s’est trouvé déstabilisée pendant les dix ans du régime Gbagbo. Si la Côte d’Ivoire est, depuis «toujours», considérée comme la locomotive de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina est peut-être le premier wagon du convoi. Au début des années 2000, les relations commerciales entre les deux pays étaient encore estimées à 200 milliards de francs CFA (305 millions d’euros).
Dès cette période, compte tenu de la dépendance économique, la crise ivoirienne plonge rapidement le Burkina dans l’embarras. Les nombreux produits importés via le corridor ivoirien (environ 20% des importations du Burkina) voient leur prix flamber —quand ils ne viennent pas à manquer—, la ligne de chemin de fer qui relie Abidjan à Ouagadougou ne frémissant plus que sporadiquement au passage des convois.
C’est lentement que le pays se tourne vers des sources d’approvisionnement traditionnellement bien plus «étrangères»: les ports de Lomé, Cotonou ou Téma. Mais le contournement du port d’Abidjan implique un surcoût dans les transactions…
Lors de la crise postélectorale ivoirienne qui suit la présidentielle du 28 novembre 2010, le Faso s’enrhume plus franchement, à mesure que la Côte d’Ivoire tousse plus violemment.
Le Burkina victime de la crise ivoirienne
Du fait de l’interconnexion électrique entre la Côte d’Ivoire et le Burkina, les coupures intempestives de courant se multiplient au Faso. Avec le couvre-feu et la fermeture des frontières ivoiriennes, des milliards de francs CFA de produits restent bloqués au port autonome d’Abidjan.
20.000 tonnes de marchandises appartenant aux opérateurs burkinabè seraient ainsi immobilisées, dont 14.000 tonnes de riz. Les matériaux de construction viennent à manquer, de même que les pièces détachées pour les motos. Victime collatérale, l’Etat voit chuter ses recettes publiques issues des services douaniers.
Les éleveurs burkinabè, eux, regardent leur bétail devenu, en partie, inexportable. Si le Faso dépend des marchés ivoiriens pour 12% de ses exportations, le montant des ventes à l’étranger de bétail et de produits animaux —spécialité du Faso— aurait chuté de deux tiers du fait de la crise ivoirienne. Et les producteurs de coton burkinabè commencent à s’arracher les cheveux.
Au Burkina comme au Mali, les prix flambent de plus belle. Celui de l’huile de palme augmente de 50%, tout comme celui du sucre. Le gaz butane devient rare, tout comme le traditionnel attiéké, sorte de couscous de manioc. Le «port sec» de Bobo-Dioulasso le devient vraiment, voyant transiter de moins en moins de marchandises en provenance de la Côte d’Ivoire.
Pendant quelques mois, la population susurre même une rumeur de dévaluation du franc CFA…
Décrispation économique
Avril 2011. Laurent Gbagbo est arrêté. Rapidement, les discours annoncent une embellie politique. Trois ans après la visite «amicale» de Laurent Gbabgo, c’est un autre président ivoirien qui se rend à Ouagadougou, le 16 mai 2011. Comme pour exorciser le passé des relations ivoiro-burkinabè, c’est en effet le Faso que le nouveau président ivoirien Alassane Ouattara choisit comme escale lors de sa première tournée hors de son pays.
Le Ouagadougou d’où sont partis les rebelles en septembre 2002? Peut-être. Mais surtout, officiellement, le Ouagadougou du facilitateur de la crise ivoirienne, Blaise Compaoré. Et on se redonne du «frère et ami». On s’émeut des 80.000 Burkinabè qui auraient fui les violences postélectorales.
L’axe Abidjan-Ouagadougou peut être relancé. Le 3 mai, déjà, le ministre des Affaires étrangères burkinabè, Djibril Bassolé, déclarait, à Abidjan:
«Nous avons confiance qu’avec l’élection d’Alassane Ouattara […] la Côte d’Ivoire se dotera d’un dispositif institutionnel capable de relancer le développement socioéconomique, et de faire en sorte que cette locomotive de notre économie sous-régionale puisse jouer son rôle et réduire l’impact de la cherté de la vie au Burkina».
Rapidement, en effet, la décrispation politique accouche d’une décrispation économique certaine. Au quotidien, le changement est notable. L’électricité est servie en continu aux Burkinabè. Les commerçants ivoiriens réimportent le beurre de karité du Burkina. Les Bobolais et les Ouagalais consomment à nouveau les bananes plantains de la Côte d’Ivoire.
Quand le Faso s’embrase
Mais il faudra du temps pour revenir à la normale, ne serait-ce que parce que le racket continue sur les routes ivoiriennes. Il faudra du temps, surtout, pour mesurer l’impact, à moyen terme, de la relance des relations économiques sur la croissance burkinabè. Et ceci d’autant plus que les bruits de bottes ne résonnent plus sur les mêmes territoires. Depuis le mois de mars, les pillages des militaires, dans plusieurs villes du Faso, ont mis à mal les commerces burkinabè.
À quoi bon importer les produits d’une Côte d’Ivoire pacifiée, si c’est pour se les faire voler par ses propres forces de l’ordre? Comme le dit un proverbe traduit du dioula, il ne faudrait pas «quitter l’excrément pour se retrouver dans l’anus».
Bien sûr, les exactions militaires burkinabè n’ont pas atteint la sauvagerie des affrontements ivoiriens de ce début d’année. Mais les balles perdues et les incertitudes politiques d’un régime contesté ont découragé quelques bailleurs de fonds attentistes et les nombreuses organisations non gouvernementales internationales. Celles-ci ne reconnaissent plus leur havre de paix sahélien.
Depuis la répression de la mutinerie de Bobo-Dioulasso, le calme est revenu. Mais les partenaires se méfient de l’eau qui dort. Si le pauvre Burkina ne peut plus garantir sa légendaire stabilité, que peut-il bien offrir, au moment où de nouveaux pôles d’attraction tentent de séduire les partenaires internationaux? Si le Faso perd son auréole politique, quels seront ses atouts concurrentiels, face à un Niger ou à une Guinée en pleine résurrection?
Le rythme que la locomotive Côte d’Ivoire pourrait imprimer à l’Afrique de l’Ouest ne sera un facteur d’entraînement pour le wagon burkinabè que si celui-ci ne se détache pas du convoi.
Damien Glez
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