INTERVIEW Source: L’Expression
Ex-secrétaire général de la Fesci, président de la CONARECI, et Secrétaire général du Conseil Révolutionnaire d’Actions concrètes (CRAC), Koffi Serges rompt le silence qu’il s’était imposé. Interview par téléphone.
Cela fait trois mois que le pouvoir a changé de camp en Côte d’Ivoire. Que vous rappelle particulièrement le 11 avril 2011?
Le 11 avril 2011 a définitivement départagé les héritiers de Félix Houphouët Boigny qui revendiquaient chacun le statut de digne héritier. En ce qui me concerne, sachez que quelles que soient la légitimité et la légalité du mandat d’arrêt que la police détient pour prendre le locataire de la maison de mon père, je ne permettrai jamais que la police incendie cette maison pour atteindre son objectif.
A quoi faites-vous allusion en utilisant cette parabole de l’incendie?
Après ce qui est arrivé à la Côte d’Ivoire le 11 avril 2011, je n’ai jamais passé un seul jour dans mon exil sans relire cette phrase de Laurent Gbagbo qu’il avait prononcée depuis 2000; il a dit: » Un jour viendra où, dans ce pays, il y aura deux camps. D’un côté celui dont le territoire et la nation se confondent pour la défense de ce que nous sommes et de l’autre, celui pour lequel, ni la nation, ni le territoire, encore moins la République que nous tentons de bâtir n’a de sens, encore moins de valeur ». C’est une parole prophétique dont je ne me sépare jamais.
Vous êtes hors du pays, comment supportez-vous l’exil ? Comment arrivez-vous à joindre les deux bouts ?
Je découvre l’exil et je puis vous dire que c’est toujours difficile de vivre loin de son pays surtout quand on n’a pas décidé de partir volontairement comme nous autres. Mais vous savez que j’ai dirigé la FESCI et je fais la politique aujourd’hui. Cela m’a permis d’avoir un carnet d’adresses nationales et internationales qui s’ouvre pour moi. Dieu est fidèle et pourvoit toujours à mes besoins. Rassurez-vous!
D’accra, vous arrivé à Banjul. A quoi répondent tous ses mouvements? N’êtes-vous pas en train de chercher des soutiens partout pour tenter de renverser le pouvoir en place?
[Rires] Vous me posez une question directe, je vais vous donner une réponse directe. Mais avant de répondre à votre question je voudrais vous demander un service. En tant que journaliste, ayez un jour le courage de demander aux tenants du pouvoir actuel si la rébellion est une bonne chose ou une mauvaise chose. Vous pouvez poser la même question aux ex-journaux de l’opposition. Monsieur, est-ce que vous vous souvenez qu’il fut un temps en Côte d’Ivoire, où des gens ont ouvertement annoncé et revendiqué la rébellion contre l’autorité légale et légitime d’alors? Si on considère que dans un pays les hauts dirigeants sont des modèles, alors je dirais que la rébellion est une bonne chose puisque c’est bien l’exemple que les hauts dirigeants actuels ont montré en organisant la rébellion de 2002. Donc, au cas où il est démontré que des membres de la LMP sont en train de préparer une rébellion, je pense que l’on devrait les comprendre puisqu’ils ne font que copier l’exemple des dirigeants actuels. Ou bien on les applaudit parce qu’ils se comportent comme de bons élèves, ou bien on les rattrape pour les raisonner en leur disant que l’exemple qu’ils sont en train de copier n’est pas le bon en réalité. Pour ma part, si on vous dit quelque part que je participe à la préparation d’une telle action, c’est que vous pouvez dormir en ouvrant vos portes et fenêtres parce que cela signifierait que cette action n’existe pas en réalité. Moi j’ai la culture de la démocratie. Pour pouvoir devenir secrétaire général de la Fesci, il a fallu que je me fasse élire par le congrès le plus démocratique de l’histoire de la Fesci. Renseignez vous.
Ancien Sg de la Fesci, vous êtes hors du pays alors que l’actuel Sg est libre de tous ses mouvements à Abidjan. Qu’est-ce que vous reprochez vous?
Quand la guerre faisait rage à Abidjan, conscient que je suis un personnage public et engagé, j’ai décidé de libérer mes gardes et limiter mes sorties. Après cela je vivais avec mes petits frères déplacés des autres communes à mon domicile. C’est en suivant l’actualité à la télévision comme tous les Ivoiriens, que le 11 avril vers 16 heures, un appel anonyme me prévient qu’un commando de près de 13 personnes arrive chez moi. A peine l’appel raccroché et sans avoir eu le temps de me préparer pour en savoir sur la nature de la visite du commando conduit par deux militaires qu’on a pu identifier, qu’un assourdissant bruit d’arme défonce le portail suivi de plusieurs rafales d’armes automatiques sur la maison. J’ai dû m’échapper sans demander les nouvelles à mes indélicats visiteurs. Après cette scène, j’ai tout de suite décidé alors de quitter la Côte d’Ivoire. Je ne suis pas sûr que Mian serait resté s’il avait subi ce que j’ai subi. Quant au second volet de votre question, je peux vous dire que s’il y a une chose que j’aurais pu regretter c’est l’acte que j’ai posé et qui m’attire des ennuis aujourd’hui, c’est à dire soutenir Laurent Gbagbo. Or il s’agit là de la chose la plus légitime et du droit le plus absolu pour un citoyen que de choisir son candidat. Donc je ne me reproche rien. Demandez plutôt à ceux qui voulaient m’assassiner ce qu’ils me reprochent.
Mian est resté à Abidjan et il a reconnu la victoire du Président Alassane Ouattara. Votre départ en exil n’est-il pas aussi la preuve que vous ne reconnaissez pas le nouveau pouvoir?
[Silence] Vous me donnez l’opportunité de me prononcer sur la vague d’allégeances que l’on a observée après le 11 avril. Si vous vous intéressez à la définition et à l’histoire du mot « , « allégeance », vous verrez qu’il désigne un devoir d’obéissance et de soumission d’un vassal à un souverain. Etant donné que moi, je ne me considère pas comme un vassal et que je n’ai pas encore entendu le Président Ouattara dire qu’il se considère lui aussi comme étant un souverain, alors j’ai conclu qu’il n’y avait pas lieu d’une quelconque allégeance entre lui et moi. Je suis un citoyen ivoirien et en tant que tel, je suis plutôt dans l’attente de la protection et de l’épanouissement auxquels j’ai droit de la part du chef de l’Etat de Côte d’Ivoire qui s’appelle aujourd’hui Monsieur Alassane Ouattara. Cependant je ne condamne pas ceux qui s’adonnent aux allégeances acrobatiques devant le Chef de l’Etat; c’est certainement leur façon à eux de manifester leur citoyenneté.
« Mian Augustin a indiqué qu’en 10 ans, Gbagbo n’a rien fait pour l’école ivoirienne partagez vous cette opinion ? Si non qu’est ce qu’il fait pour l’école
C’est son avis. Sauf qu’en disant cela, il n’ajoute rien à l’humanité car tout le monde sait qu’entre 2002 et 2010 l’école n’a pas été reluisante. C’est donc tout à fait normal que le Président de cette décennie en assume la responsabilité politique. Cependant, est-ce que Mian peut dire qu’il a joué son rôle en tant qu’acteur de pression sur le gouvernement pour obtenir des l’amélioration des conditions de l’école? Je le comprends car aujourd’hui en Côte d’Ivoire, quand tu te mets au carrefour pour déchirer la photo de Gbagbo et la brûler tu peux être en sécurité. Pour le second volet de votre question, le jour où Gbagbo sera libre, il vous dira lui même ce qu’il a fait pour l’école; moi je ne juge pas un captif qui ne peut pas se défendre.A defaut vous pouvez poser la question à son ministre de l’enseignement superieur M. Cissé Bacongo- que je salue pour sa franche collaboration durant mon mandat à la Fesci- qui est encore en activité pour vous faire un bilan partiel sur l’ecole.ça sera plus correct.
On vous accuse d’avoir participé au pillage des résidences de cadres du Rhdp qui étaient au golf hôtel ? Quelle a été votre rôle dans cette affaire ?
C’est un certain Touré Mamadou a saisi la justice ivoirienne pour m’accuser. A propos de cette accusation j’attends le moment où j’aurai l’occasion de parler. Mais en attendant, je voudrais faire les précisions suivantes. Je résidais à la riviera 3 et le ministre Alain Lobognon était mon voisin immédiat, tout comme l’ancien Ministre des NTIC Houga-Bi et le Président du conseil général de Bouaké Jean Claude Kouassi tous deux membres du RHDP. Si tel est que j’avais été l’instigateur ou acteur de ces pillages, ces personnes auraient certainement été les premières victimes. Pourquoi ne demandez vous pas aux voisins et riverains des domiciles pillés pour savoir qui a fait quoi ? Bref ! En ce qui concerne la plainte déposée contre moi par Touré Mamadou, je voudrais demander au plaignant qui est mon frère de Gonaté de bien vérifier deux choses: d’abord après tant d’années passées en dehors de la Côte d’Ivoire, est-ce qu’il sait de quoi il parle? Ensuite est-ce qu’il est sûr qu’il veut que la justice s’applique? Je le dis parce que je connais bien des procès qui se sont terminés avec le plaignant en prison et l’accusé acquitté puis dédommagé.
Quelle était l’objectif de la création du Crac ?
Je l’ai plusieurs fois expliqué lors de mes meetings et interviews à Abidjan. Défendre les institutions de la république et ceux qui les incarnent. C’est en cela que quand nous avons jugé inopportune la participation de Blaise Compaoré au sein du panel des cinq chefs d’Etats de l’UA, nous sommes allés protester à l’aéroport pour empêcher son arrivée en CI.
Quels ont été vos relations avec Blé Goudé avant et après la crise?
Mes relations avec Blé Goudé sont au beau fixe mais je ne crois pas que ce soit mes relations avec Blé Goudé qui intéressent les ivoiriens aujourd’hui. A l’heure où nous parlons, les ivoiriens sont préoccupés par leur sécurité; les élèves et étudiants sont préoccupés par la paralysie de l’école; les paysans sont préoccupés par la chute du prix du cacao; les ménagères sont préoccupées par le panier qui est devenu plus faible qu’avant; les journalistes sont préoccupés par les conditions d’exercice de la liberté de presse ; les cadres LMP libérés de La Pergola sont sans domiciles fixes parce que leurs domiciles ont été pillés ou incendiés pour les uns et sont occupés par des hommes en armes pour les autres. C’est aussi mon cas en référence à la maison familiale de mon père occupée à Gonaté. Etc… C’est ce qui intéresse les Ivoiriens.
Etes-vous prêts vous à rentrer au pays pour jouer votre partition dans la réconciliation?
Je suis même prêt à rentrer au pays demain matin pour répondre à une éventuelle invitation si ma sécurité est garantie. Pour ce qui est de la réconciliation, malgré ma bonne volonté, je ne crois pas que l’individu Serge Koffi soit capable à lui seul de booster ce processus. Nous sortons d’une crise qui a opposé deux grands camps dont Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo sont les leaders. Le plus grand acte qui puisse être posé pour favoriser la réconciliation vraie c’est celui de rapprocher Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. Les partisans de chaque camp ont envie de voir ces deux leaders la main dans la main. Souvenez vous encore que c’est par souci de réconcilier les ivoiriens que Laurent Gbagbo hier a pris une loi d’amnistie en faveur de tous les membres de la rébellion, qu’il a payé tous les arriérés de salaires des soldats devenus rebelles, qu’il a concédé l’entrée dans l’armée, la police et la gendarmerie d’une partie des combattants de la rébellion, qu’il a fait revenir Henri Konan Bédié d’exil etc. La manifestation de la justice demain n’exclut pas aujourd’hui que Gbagbo Laurent et tous les prisonniers politiques recouvrent leur liberté et leur dignité. Que l’on permette à tous les exilés de rentrer au pays. Que le Président Ouattara ne commette pas l’erreur de croire que la réconciliation est l’affaire de Charles Konan Banny qu’il a nommé. Il doit se défaire de l’emprise des extrémistes de son camp pour poser des actions concrètes de réconciliation. Je lui propose de rendre visite à Laurent GBAGBO à Khorogo et de déjeuner avec lui car après tout Laurent Gbagbo est un être humain tout comme lui d’ailleurs. Une fois que cela est fait, je pourrai entrer en scène en tant que leader secondaire.
Interview réalisée par Traoré M. Ahmed
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