L’Inter
La saignée continue au sein de la grande muette depuis la chute de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011. Le dernier départ en date est celui du mythique Abéhi Jean Noël, commandant de l’Escadron blindé de la gendarmerie nationale, une unité d’élite restée fidèle à l’ancien régime jusqu’à sa chute. Abéhi a quitté le pays en début de semaine pour une destination encore inconnue. Ce départ, notons-le, ajoute à la liste déjà longue de valeureux officiers et sous-officiers des ex-Forces de défense et de sécurité (Fds) de Côte d’Ivoire qui ont pris la route de l’exil, fuyant l’emprisonnement ou craignant pour leur vie. Outre le commandant Abéhi, d’autres officiers charismatiques ont fugué. Il s’agit notamment du colonel Konan Boniface, le commandant des très craints Fusillers marins commando (Fumaco) et patron du Détachement mobile d’intervention rapide (Dmir). Il reste une autre épine dans la gorge du nouveau régime. Idem pour le colonel Gouanou Alphonse, anciennement commandant du sous-groupement tactique Est. Basé à ce titre à Bondoukou, lui et ses hommes avaient opposé une résistance farouche à l’entrée de la rébellion dans la capitale du Zanzan. Le colonel Gouanou avait par la suite pris les commandes du 2è bataillon de Daloa, pour organiser la résistance à partir de l’Ouest. En pleine guerre post-électorale, il était apparu, à deux reprises, sur les antennes de la télévision nationale, le visage grave, en qualité de commandant des opérations de l’armée pro-Gbagbo à Abidjan, pour faire le point. Quelques jours avant la chute du régime, les colonels Boniface et Gouanou étaient réapparus à la télévision, précisément à la résidence présidentielle de Cocody. Avec à leurs côtés les hauts gradés Philippe Mangou, Tiapé Kassaraté, Brédou M’bia, ils étaient reçus en audience par le président Laurent Gbagbo. Certainement pour faire le point et prendre des décisions importantes. Depuis, le commandant Konan et le colonel Gouanou ont fondu dans la nature après cette rencontre avec l’ancien chef de l’Etat. On n’a plus de nouvelle d’eux. Plusieurs centaines de militaires, gendarmes, policiers, ont également disparu des effectifs des ex-Forces de défense et de sécurité. « Nos chefs sont venus nous dire que nous devons nous chercher, sur instruction du président. Beaucoup de soldats ont quitté la résidence ce jour-là », avait confié un soldat déserteur rencontré à la frontière ivoiro-ghanéenne. Toutefois, les nouveaux dirigeants ont lancé aux trousses de ces officiers de l’ancienne armée, le procureur militaire Ange Kessi Kouamé Bernard. Le commissaire du gouvernement les poursuivrait pour « détournement de deniers et de matériels publics, achats, commerce et cession illicites d’armes et de munitions de guerre, arrestations illégales et séquestration, meurtre, viol, recel de cadavre, violation de consigne et complicité », selon des sources militaires. Ces soldats sont donc de potentiels clients au box des accusés du tribunal militaire. Combien sont-ils exactement ces militaires, gendarmes, policiers exilés ? Où sont-ils précisément ? Comptent-ils rester en exil indéfiniment ? Autant de questions que se posent les observateurs de la crise ivoirienne. Certains perçoivent dans ces nombreuses fuites de militaires une menace pour le nouveau régime, qui doit ainsi faire face à ces professionnels des armes en exil. Faut-il le rappeler, la Côte d’Ivoire se relève difficilement d’une crise militaro-politique qui a été déclenché en septembre 2002. Mais avant, des soldats de l’ancienne force armée nationale de Côte d’Ivoire (Fanci) avaient fui le pays, quand la prise du pouvoir, à l’issue du coup d’Etat de 1999 par la junte militaire, a tourné au règlement de compte. Feu le général Guei, chef de la junte, et les «jeunes gens», acteurs du coup d’Etat s’étaient brouillés sur les enjeux de ce putsch. Beaucoup de soldats, dont les surnommés Zaga Zaga, la grenade, y ont laissé la vie. L’ex-sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit IB (tué le 27 avril 2011 ndlr), Issiaka Ouattara alias Wattao, Chérif Ousmane et bien d’autres soldats ont alors fui la Côte d’Ivoire pour se réfugier au Burkina Faso. Ils se sont organisés, ont reçu du soutien et sont revenus quelques années plus tard (en 2002) avec une rébellion armée contre le pouvoir en place, alors dirigé par Laurent Gbagbo. Ces soldats exilés de retour dénonçaient l’injustice, la chasse à l’homme, l’exclusion, la xénophobie qu’ils voulaient extraire de la vie politique en Côte d’Ivoire. Dix années après, les soldats anciennement exilés du Burkina Faso sont les hommes forts du régime actuel, pendant que de nombreux autres soldats, proches de l’ancien régime, se sont exilés hors de la Côte d’Ivoire. Les nouvelles autorités ont dénoncé, via le ministre Konaté Sidiki, un coup d’Etat en préparation au Ghana, soupçonné d’abriter ces militaires en fuite. De là à craindre le même scénario qu’en 2002, il n’y a qu’un pas.
Hamadou ZIAO
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