Par Jean Marie Nzekoue, pour l’autre afrik
Après un long cauchemar peuplé de crépitements d’armes et d’affrontements meurtriers, la Côte d’Ivoire renoue peu à peu avec cette paix qui s’apparentait naguère à une marque de fabrique. Bien qu’il se soit opéré dans la douleur, on peut d’ores et déjà se consoler du fait que le dénouement de la longue crise politique ouvre des perspectives moins tragiques pour ce pays longtemps présenté comme la vitrine d’une certaine approche africaine du développement. Le drame ivoirien qui se double d’un véritable gâchis vient opportunément rappeler que rien n’est définitivement acquis pour nos jeunes Etats engagés, parfois malgré eux, dans le jeu des oppositions contraires et des intérêts contradictoires.
Mais il faut savoir raison garder. Même si ce retour progressif à la sérénité marque un jalon essentiel dans la reconstruction d’un pays réconcilié avec lui-même, il ouvre parallèlement une nouvelle ère semé d’embûches pour les dirigeants comme pour les citoyens. Dans l’euphorie communicative de l’heure, les spécialistes en gestion des situations de crise en Afrique ont beau jeu de rappeler que la « normalisation » engagée depuis la chute de l’ancien président est loin d’être un long fleuve tranquille.
Même si le nouveau pouvoir incarné par le président Alassane Dramane Ouattara affiche une sérénité inattendue et donne des signes d’enracinement dans la durée, il faudra certainement beaucoup de détermination, de courage et de hauteur pour panser les plaies encore béantes, refermer les sillons de la haine, abattre les murs d’incompréhension et de méfiance et esquisser un début de réconciliation entre les différentes composantes sociologiques.
Surmonter les clivages
Les principaux acteurs de la scène politique gagneraient à comprendre que l’un des enjeux cruciaux de l’heure est de surmonter les profonds clivages du passé, de se défaire de la posture de la victime et du bourreau pour reconstruire un pays réconcilié dans toute sa diversité sociale, politique et culturelle. Car au-delà de l’opinion individuelle que chacun est libre de partager, toute lecture objective du drame ivoirien commande l’abandon de tout manichéisme de circonstance pour jeter les jalons d’un nouveau départ. Dans cette nouvelle Côte d’Ivoire que chacun semble appeler de ses vœux, il y a moins de place pour les représailles et autres règlements de comptes que pour la compréhension des mécanismes ayant conduit à l’imbroglio fatal de la dernière décennie afin d’éviter à l’avenir les mêmes errements. Les perspectives d’une paix durable reposent sur les vertus d’un dialogue sincère, sur l’apaisement des rancœurs tenaces à travers l’invention d’une nouvelle charte républicaine qui irait au-delà des clivages d’ordre ethnique, régionaliste, religieux, idéologique ou autre. Or cette réconciliation des cœurs ne pourra se faire que si les frères ennemis d’hier s’accordent à solder le lourd passif (y compris à travers une justice impartiale), en se donnant la main et en se pardonnant mutuellement.
Toutefois, ne perdons pas de vue que certains actes et postures regrettables ont longtemps marqué les esprits et on ne saurait les passer par pertes et profits sans donner l’impression d’enterrer les problèmes plutôt que de les exposer à l’air libre pour mieux vider l’abcès. On aurait donc tort de condamner tout recours à la justice, à condition qu’elle soit impersonnelle et impartiale.
Une nouvelle citoyenneté
Il n’en demeure pas moins que la capacité de surmonter les traumatismes les plus brutaux constitue le propre des grands peuples. Les grandes tendances que dessine l’actualité semblent indiquer que le principal défi qui interpelle le nouveau pouvoir va au-delà de l’autosatisfaction immédiate pour embrasser un objectif plus noble concernant la construction d’une nouvelle citoyenneté ivoirienne autour des valeurs de fraternité, d’égalité, de tolérance et de pardon. Sur l’heure, il s’agit moins de crier victoire sur tous les toits que de liquider les germes d’intransigeance dont les méfaits sont encore présents dans tous les esprits. Il s’agit moins de célébrer la victoire d’un camp sur l’autre que de construire des passerelles en vue de la consolidation d’un idéal républicain qui devrait transcender les considérations partisanes ayant plombé jusqu’ici le débat politique pour rendre possible une confrontation d’idées et des programmes qui reste l’ingrédient essentiel de toute démocratie, loin du langage de l’exclusion et du bannissement par le droit de la force.
Le retour à une paix durable suppose donc une véritable réconciliation des cœurs, en rupture totale avec la guerre des tranchées vécue jusqu’ici. Ce qui suppose l’abandon de l’absurde logique des camps retranchés pour s’engager dans une véritable reconstruction du tissu social et une restauration du jeu politique dans une perspective d’apaisement et de tolérance. Il va de soi que la survie et la prospérité de l’entité Côte d’Ivoire sont, de loin, plus importants que les querelles d’ego, les batailles pseudo-idéologiques et les élans revanchards qui ont déchiré ce beau pays au cours des dix dernières années.
(*) Journaliste et Editorialiste, Jean Marie Nzekoue est notamment l’auteur de deux ouvrages : Afrique, faux débats et vrais défis (2008) et L’Aventure mondiale du football africain (2011)
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