Le Nouveau – Courrier
Force est de reconnaitre que ce pays est gouverné par Guillaume Soro et les Forces nouvelles, depuis le 11 avril dernier, date de la capture du président Laurent Gbagbo. Comme le disait un enseignant récemment sur un air ironique, «Ouattara gouverne sur papier et Soro en pratique». Il n’avait pas tort de le dire. Alassane Ouattara a du mal à contrôler encore tous les leviers de l’économie nationale.
Les hommes de Soro, après le dépiècement de la zone Cno, qu’ils ont saignée pendant des années, se sont partagés allègrement la zone gouvernementale qui pendant huit ans avait permis de faire vivre une Côte d’Ivoire atrocement «mutilée» économiquement par les Forces nouvelles. Les commandants ont fleuri de partout et se comportent comme les ex- Com’zones qui géraient leurs différents zones de «compétence» comme des patrimoines privés. La plupart de ces ex- Com’zones devenus Commandants de groupements tactiques se sont accaparé le district d’Abidjan où ils y ont installé leurs «administrations». Un des adjoints du Cdt Ben Laden, commandant la zone de Yopougon disait au cours d’une réunion avec le Conseil municipal de Yopougon, il y a à peine une semaine, que leurs hommes avaient commencé à encaisser les taxes dans les marchés et autres lieux de la commune, «parce que la nature a horreur du vide». Conséquences de ce dépiècement minutieux de la zone gouvernementale : impôts, trésor, douanes et ports… tout tourne au ralenti. L’économie parallèle s’est généralisée à l’ensemble du territoire. Les lourdes taxes imposées aux opérateurs économiques sur les routes nationales atterrissent dans les poches des nombreux Commandants qui ont poussé comme des champignons. Rien n’échappe à leur contrôle. Café-cacao, hévéa, produits de premières nécessité, carburant, bois, transport terrestre et même les choses les plus insolites comme les corbillards… tout est sujet à racket.
Le fossé entre les actes et les paroles
Même si ces derniers temps, le chef du gouvernement, Guillaume Soro, multiplie les discours de gestion transparente, de bonne gouvernance ou encore d’éthique, on est loin d’être sous cette ère en Côte d’Ivoire. Le patron des Forces nouvelles continue jalousement de régner sur la partie Centre, nord et ouest du pays, dont les
ressources tirées peinent à prendre la direction des caisses de l’Etat. Ouattara n’est-il pas au pouvoir ? Pourquoi l’unicité des caisses de l’Etat tarde-elle à prendre forme aujourd’hui ? Trois mois après la prise de contrôle totale de l’ensemble du pays, on est loin d’espérer un début de commencement de cette unicité.
La Centrale, la fameuse caisse des Forces nouvelles est toujours fonctionnelle et dirigée par l’actuel ministre de l’Industrie de Ouattara, Moussa Dosso.
Guillaume Soro qui a voulu envoyer un «signal» de bonne gouvernance avec l’appel à candidatures pour le recrutement de huit de ses conseillers, experts dans divers domaines, doit faire un peu plus pour convaincre à la fois Ouattara et les Ivoiriens de ses bonnes intentions. Il lui faut briser le «mur de Berlin» économique qui s’est installé huit ans durant entre Bouaké, capitale de l’ex-rébellion des Forces nouvelles et Abidjan, siège des régies financières nationales et du gouvernement.
Le Budget 2011 arrêté par Ouattara et qui s’élève à 3 050 milliards de Fcfa, aussi expansif soit-il, est loin de rassurer les «puristes» de l’économie. Ouattara pourra-t-il dans les plus brefs délais recouvrer l’entièreté du territoire économique ? La question reste posée. Et seuls Guillaume Soro et ses hommes peuvent y répondre. D’un autre côté, il faut que le cacao ivoirien cesse de prendre la direction de pays voisins. Huit ans durant, l’économie cacaoyère nationale en a pris un coup. Soro doit veiller à y mettre fin et permettre le renflouement des caisses de l’Etat.
Pendant de longues années, le Burkina Faso en a bénéficié, faisant de lui, un des exportateurs mondiaux de premier plan de cacao, alors que ce pays n’a aucun plant de cacao sur son territoire. Il en est de même pour le bois et plusieurs ressources minières. La Côte d’Ivoire ne se limite pas à la zone gouvernementale. Les Forces armées des Forces nouvelles (Fafn) ont été légalement «adoptées» par Alassane Ouattara le 17 mars dernier. Il se doit donc de prendre des mesures rigoureuses pour mettre fin à la partition latente du pays. La partie sud ne doit pas continuer de supporter tout le pays pendant que l’économie de plus de la moitié du territoire continue d’être gérée comme un bien privé.
Le premier acte dans ce sens, serait le redéploiement dans les plus brefs délais des Douanes, Impôts et Trésor, ainsi que des grands facturiers –CIE, SODECI, Côte d’Ivoire Télécom. De plus, les recettes municipales devraient être reversées dans les caisses des mairies. Si le rétablissement de la sécurité et d’un climat propice aux affaires dans la l’exzone gouvernementale reste un défi pour Ouattara et Soro, il n’en demeure pas moins que le plus gros boulot demeure l’«apprivoisement» de la zone Cno, où pendant huit ans des chefs de guerre à eux seuls se sont substitués à tous les services de l’administration. Ouattara peine à trouver une «solution» rapide à cet épineux problème de l’hégémonie des chefs de guerre en zone Cno.
Focal. Les Frci créent des «taxes» illégales
Comment rendre le racket destiné à nourrir les caisses noires des FRCI «acceptable» ? C’est sans doute en se posant cette question que les commandants de la «nouvelle armée» ivoirienne créent des «drôles de taxes» dans les quartiers qu’ils contrôlent. Ainsi, une pratique s’est installée dans la commune de Yopougon. Toutes les personnes qui veulent déménager sont contraintes de prendre contact avec un agent des FRCI pour se faire délivrer une «autorisation du commandant ». Qui coûte de 2000 FCFA à 5000 FCFA.
Le Nouveau Courrier a réussi à se procurer ce type de document sans statut administratif réel. Ce n’est ni un timbre fiscal ni un reçu officiel produit par le Trésor public – à l’image des contraventions – mais un bout de papier que l’on peut photocopier à l’infini. Bien entendu, les ressources dégagées par les «autorisations du commandant» vont directement dans les poches du commandant en question.
Dans le cas qui nous intéresse, le cachet est du «chef Bamba Soualiho» de «l’unité Ben Laden» et de la «compagnie Rafale». Un «chef» qui prend la peine de mentionner son numéro de téléphone mobile, pour aider les «clients» à le joindre… On remarquera, au passage, l’étrange tête de mort qui sert de «logo» au «commandement tactique» des FRCI. Ainsi va la vie dans la Côte d’Ivoire des «sauveurs », selon le qualificatif du procureur de la République Simplice Koffi Kouadio.
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