Par Marwane Ben Yahmed Source: Jeune-Afrique
Deux mois et demi après la chute de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire panse laborieusement ses plaies. Si le volet économique et la reconstruction ne semblent pas devoir poser de problème à Alassane Ouattara, il en va tout autrement de la réconciliation nationale.Comme l’attestent les affrontements violents du 22 juin entre gendarmes et Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), qui ont fait une victime civile touchée par une balle « perdue ». Il ne se passe plus un jour sans que le comportement des FRCI ne soit pointé du doigt : agissements délictueux, mise en coupe réglée de certains quartiers d’Abidjan, rackets, règlements de comptes, passe-droits, pillages, viols, exécutions sommaires… Le tout dans la plus grande impunité, que dénoncent les ONG présentes sur le terrain et la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).
Cocktail explosif s’il en est, tous les membres des FRCI ne sont pas pour autant, bien sûr, à mettre dans le même sac. Qu’y a-t-il de commun entre les anciennes Forces nouvelles (ex-rébellion), les éléments des Forces de défense (FDS) qui se sont ralliés à Ouattara et les bataillons de déshérités qui ont rejoint leurs rangs et pour qui les seuls débouchés étaient militaires et le moyen de subsistance le plus sûr la prédation? La plupart ont découvert le maniement des armes – et le pouvoir qu’elles confèrent – il y a seulement quelques semaines, n’ont pas été formés pour le maintien de l’ordre et n’ont pas la moindre idée de ce que signifie le mot « discipline ». Leurs chefs, qui rivalisent de talent et d’inventivité pour s’affubler de noms de guerre grotesques ou incongrus (Ben Laden, Rambo, Anaconda…), n’ont fait aucune école militaire, se soucient comme d’une guigne des multiples dérapages de leurs troupes, accumulent les richesses et se fournissent chez leurs concitoyens en 4×4 comme on chaparde au supermarché du coin… Les scènes surréalistes sont devenues monnaie courante à Abidjan : un nain empêtré dans un tee-shirt noir FRCI et vacillant sous le poids de son kalach règle la circulation à un carrefour, deux soldats en guenilles et tongs, visiblement pressés et remontant à moto une rue en sens interdit, percutent un bus, chutent et repartent en abandonnant leurs armes sur le bas-côté. On rêve! Ou plutôt on cauchemarde… Alassane Ouattara mais aussi Guillaume Soro donnent pour l’instant l’impression de regarder ailleurs. L’exaspération de la population est pourtant à son comble. Même ceux pour qui ils étaient hier des libérateurs voient en eux aujourd’hui des bourreaux. Mais ADO et Soro devront un jour répondre du comportement de leurs « troupes ». Certes, leur tâche n’est pas aisée ; nettoyer les écuries d’Augias ne se fait pas en un claquement de doigt. Mais c’est justement parce que Ouattara a été élu, qu’il est légitime et que son combat a été exemplaire qu’il se doit d’être lui-même irréprochable et de faire en sorte que ses hommes – tous ses hommes – le soient aussi. Quel que fût leur rôle dans sa victoire.
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