Source: http://www.slateafrique.com
Propos recueillis par Pierre Cherruau
Première partie de l’interview de Christian Bouquet: «La survie de Ouattara est liée à sa capacité à rétablir un Etat de droit»
SlateAfrique – Combien de temps peut durer le tandem Ouattara-Soro?
Christian Bouquet – Théoriquement, jusqu’aux élections législatives puisque le président ivoirien Alassane Ouattara a promis la Primature à un membre du PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire). Si une rupture intervenait avant, ou si le Premier ministre Guillaume Soro était maintenu à ce poste après, ce serait inquiétant pour l’avenir. En tout état de cause, les élections législatives, si elles se déroulent dans les conditions de transparence et d’honnêteté requises, devraient donner du paysage politique ivoirien l’image la plus juste depuis l’indépendance.
SlateAfrique – Comment Guillaume Soro peut-il s’intégrer dans la vie politique et à quelle place, vice-président?
C.B. – Pour s’intégrer dans la vie politique, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, le meilleur moyen est de se présenter à des élections. Guillaume Soro en aura l’occasion dans les mois à venir, non seulement à l’occasion des législatives (il avait été le colistier d’Henriette Diabaté pour le RDR —Rassemblement des républicains— en 2000). Mais également ensuite lors des municipales; il pourrait, par exemple, viser la mairie d’une grande ville.
La vice-présidence ne semble pas à l’ordre du jour. Il faudrait d’abord la faire figurer dans la Constitution, et pour cela lui donner un statut et un périmètre. Mais il y a d’autres urgences pour une réforme constitutionnelle: d’abord élaborer des dispositions évitant qu’un président puisse demeurer à son poste au-delà de son mandat de cinq ans; ensuite faire en sorte que l’Assemblée nationale puisse être dissoute, ce qui peut éviter des blocages politiques en cours de mandat. Ces dispositions avaient «simplement» été oubliées dans la précédente Constitution, qui n’était focalisée que sur l’article 35 fixant les conditions d’éligibilité.
Reconstruction du paysage politique
SlateAfrique – Le mouvement de Soro peut-il devenir une force politique à part entière?
C.B. – Les Forces nouvelles? Il s’agissait d’un mouvement militarisé autour de mécontentements liés à l’ivoirité, ou plus simplement à l’identité ivoirienne et à l’appartenance nationale. Le problème semblant réglé, les «forces nouvelles» des origines n’ont plus de raison d’être.
Guillaume Soro peut évidemment transformer malgré tout les FN en parti politique, mais sur quel socle idéologique? Ce faisant, il accréditerait l’idée que le principe multipartiste du processus démocratique continue à être compris comme la cristallisation d’un groupe autour d’un homme, dont la seule spécificité serait de s’appeler Guillaume Soro. Ce serait un grave contre-sens politique. A moins qu’il soit en mesure de proposer un véritable programme se distinguant des autres.
SlateAfrique – Peut-il s’intégrer dans le RHDP [le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix, alliance du PDCI de Henri Konan Bédié et du RDR d’Alassane Ouattara]?
C.B – Est-il pertinent de multiplier les formations au sein du RHDP?
SlateAfrique – Le RHDP a-t-il encore un avenir?
C.B. – Il n’a véritablement d’avenir que si les formations qui en sont membres fusionnent. Sinon les forces centrifuges finiront par le faire imploser.
SlateAfrique – Qui a la main sur le PDCI, Charles Konan Banny sera-t-il l’héritier de Bédié?
C.B – Il est clair que le PDCI a été ébranlé par son score au premier tour de la présidentielle, même s’il semble évident qu’il s’est fait voler quelques points par le FPI [Front populaire ivoirien, le parti créé par Laurent Gbagbo]. Le second tour a probablement créé un second séisme dans la mesure où le report massif des voix de Bédié sur Ouattara a, quoi qu’on en dise, largement dépassé les attentes, notamment celles des caciques du parti dont certains ont eu du mal à devenir supporteur du leader du RDR.
Dans ce contexte, l’avenir du PDCI ne passe pas forcément par Konan Banny, mais plus probablement par un vaste renouvellement-rajeunissement des instances dirigeantes. Ce serait d’ailleurs également salutaire pour le RDR et le FPI.
SlateAfrique – La génération des Bédié peut-elle s’entendre avec les jeunes cadres du parti?
C.B – Elle n’aura sans doute pas le choix. La reconstruction du paysage politique ivoirien passe par une remise à plat de toutes les pratiques et de tous les anciens modes de fonctionnement des partis politiques. Comme ailleurs en Afrique, mais avec le traumatisme de l’ivoirité en plus, les lignes ont bougé en Côte d’Ivoire depuis le temps où les tendances ethno-régionales dessinaient les cartes électorales. Les jeunes l’ont compris, et vont vouloir souligner d’autres enjeux, comme par exemple l’emploi pour les diplômés.
Analyser les problèmes ivoiriens
SlateAfrique – La réconciliation en Côte d’Ivoire est-elle possible à brève échéance?
C.B – Il faut d’abord circonscrire le champ concerné par la réconciliation, qui est probablement plus étroit qu’on l’affirme. Il ne s’agit pas de réconcilier les 46 % d’électeurs qui ont voté pour Laurent Gbagbo avec les 54 % qui ont voté pour Alassane Ouattara car, pour la plupart, ils ont compris les règles du jeu démocratique et ne sont pas tous dressés les uns contre les autres. Les tensions concernent donc essentiellement les individus ou les groupes qui ont été directement confrontés à la violence et qui ont perdu des leurs dans les affrontements. Elles impliquent aussi une partie des acteurs politiques qui se sont arc-boutés sur leurs convictions, ainsi que tous ceux qui ont incité à la haine, ou tous ceux qui se sont illégalement enrichis au cours des années de non-droit.
SlateAfrique – Si oui quelles sont les conditions pour y parvenir?
C.B. – Il faut d’abord sortir de la culture de l’impunité, donc réhabiliter la justice, car celle-ci peut et doit agir à la place de ceux qui veulent se venger. Il faut ensuite mettre fin aux discours de fanatisation, et donc obtenir que la presse s’inscrive dans les principes éthiques et déontologiques qu’elle a largement perdu de vue depuis dix ans. Il faut enfin mobiliser tout le monde autour de la reprise économique sans en négliger le volet social, de manière à ne pas créer de nouvelles frustrations pouvant conduire à la recherche d’un bouc-émissaire.
Mais, avant tout, il conviendra de se pencher sur les deux pierres d’achoppement qui ont largement contribué à déclencher la crise au virage des années 2000, et à dresser les Ivoiriens les uns contre les autres: la réforme foncière et la liste électorale. La loi foncière de 1998 devra être revue dans un sens de conciliation entre les différents points de vue et intérêts en présence. La liste électorale devra être complétée, car il n’y avait, pour la présidentielle de 2010, que 5.700.000 inscrits alors que la population ciblée par la CEI était de 8.800.000.
Mais les observations qui précédent émanent d’un analyste étranger, et Laurent Gbagbo a toujours dit que les étrangers —et singulièrement les Français— ne pouvaient pas comprendre les problèmes ivoiriens…
Propos recueillis par Pierre Cherruau
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