(Le Pays)
Laurent Gbagbo sera-t-il le premier ancien chef d’Etat africain à être convoqué à la barre de la Cour pénale internationale (CPI) ? La probabilité d’un tel événement, déjà considérée comme logique au regard des lourdes charges qui pèsent sur l’ex-chef d’Etat ivoirien, est plus que jamais grande.
Le jugement de l’ancien président libérien, Charles Taylor ayant plutôt été fait par une Cour spéciale pour la Sierra-Léone délocalisée à La Haye. Si l’on s’en tient aux récentes déclarations de l’actuel ministre de la Justice de la Côte d’Ivoire, le prisonnier le plus célèbre de Korhogo pourrait être très bientôt dans le collimateur de la CPI. Cette information a été donnée en marge d’une conférence au cours de laquelle Jeannot Kouadio Ahoussou a révélé certains éléments sur les conclusions de l’enquête préliminaire sur la disparition des quatre personnes au Novotel d’Abidjan. A en croire le ministre ivoirien, les victimes ont été torturées à mort dans le palais présidentiel, alors occupé par l’enfant de Mama.
En attendant qu’un jugement impartial vienne confirmer cette thèse, l’on peut souligner tout de même son caractère vraisemblable dans un contexte où l’ex-régime ivoirien faisait feu de tout bois pour échapper à la chute. Et bien que l’on puisse admettre que l’ancien président ivoirien n’ait pas tué ces gens de ses propres mains, il ne saurait pour autant s’en laver aisément les mains. Car l’acte crapuleux a été perpétré à sa résidence, donc, sinon sous ses yeux, du moins à son instigation ou avec son approbation. L’ancien locataire du palais d’Abidjan porte donc la plus grande responsabilité dans cette affaire et dans bien d’autres dont les nouvelles autorités ont annoncé l’ouverture imminente des enquêtes.
Une mission de la juridiction internationale séjournera, du reste, sur les bords de la lagune Ebrié, du 27 juin au 4 juillet afin de baliser le terrain pour la conduite éventuelle d’investigations sur les crimes économiques, de sang et de guerre commis notamment pendant la période postélectorale. Cette mission n’augure rien de bon pour ceux qui ont vu dans cette crise, l’aubaine idéale pour se défouler de manière inhumaine et ignoble sur leurs adversaires. Soit, les escadrons de la mort se recrutent dans les deux camps, comme l’ont révélé les rapports de certains mouvements internationaux de défense des droits de l’Homme.
Il ne serait donc pas superflu que, pour avoir mis trop de zèle dans la traque des antidémocrates, des partisans de l’actuel président ivoirien répondent de leurs actes. Toutefois, force est de reconnaître que le camp Gbagbo fut celui qui a été à la base de l’instabilité postélectorale dont il a voulu tirer profit en incitant ses adeptes à la haine et au suicide collectif. Que leur chef, sous les ordres duquel ceux-ci agissaient, réponde devant les tribunaux nationaux et internationaux n’est que simple justice. Et la célérité avec laquelle le gouvernement de Alassane Dramane Ouattara (ADO) gère ce dossier semble de bon aloi, car cela permettrait de clouer le bec à tous ceux qui estiment que ces bourreaux de la république sont illégalement détenus.
Certes, les défenseurs des droits humains ont le droit et même le devoir de veiller au respect des droits et de la dignité de tout être humain quel que soit ce qu’on peut lui reprocher. C’est d’ailleurs en vertu de ce même principe que ceux qui se proclament protecteurs des droits des personnes vulnérables ne doivent pas faire fi de ceux des nombreux orphelins et veuves à qui il faut, pour l’instant, éviter le même sort que leurs proches disparus. Libérer tous les accusés pourrait donc faire courir un deuxième risque à ces derniers, sans oublier qu’une fois en liberté, certains prisonniers n’hésiteraient pas à prendre la fuite. Si un présumé coupable d’homicide, même involontaire, mérite d’être privé de liberté jusqu’à la production de la preuve de son innocence, des présumés auteurs de boucheries humaines méritent encore plus de restriction.
La CPI semble d’ailleurs prendre la véritable mesure de l’abîme qui existe entre les chefs d’accusation ordinaires et ceux qui prévalent en Eburnie, ce qui explique sans conteste leur future collaboration avec les nouvelles autorités de ce pays. Le boulevard qu’emprunteront Laurent Koudou Gbagbo et ses probables co-auteurs ou complices présumés de crimes, est, par ailleurs, en train d’être élargi avec la nouvelle de l’existence quasi évidente de comptes bancaires suisses dont seraient titulaires le président du Front populaire ivoirien (FPI) et son clan. Une découverte qui confirme la démagogie et l’insincérité de l’ex-candidat FPI lors de la présidentielle ivoirienne de novembre 2010. L’on se rappelle que pour se faire passer pour un présidentiable « propre » et digne de confiance, celui-ci avait juré devant ses compatriotes de ne posséder aucun compte dans une banque extérieure. L’on peut ainsi se réjouir du fait que les Ivoiriens ne se soient pas tous laissés duper par des propos trompeurs en refusant en grand nombre de lui donner leurs voix. Les vaillants fils du pays d’Houphouët-Boigny auront, sans doute, la chance d’être consolés pour une deuxième fois, après la victoire et l’investiture de ADO, dans la mesure où la prophétie du président burkinabè Blaise Compaoré a de fortes chances de se réaliser. L’ex-facilitateur de la crise ivoirienne n’avait-il pas dit, avec exaspération sans doute, que « Laurent Gbagbo finira un jour devant la CPI » ? Ce dernier est visiblement bien parti pour détenir le titre pas très élogieux de premier ancien chef d’Etat africain à être jugé par la CPI.
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