Devoir d’inventaire Acte 2: Investiture et forfaiture, réaction aux 8 erreurs de Koulibaly

Par KOGNITO Alain –

Deuxième réaction aux huit erreurs monumentales contenues dans les accusations portées par  » Le Temps » contre Mamadou Koulibaly.

Acte 1 sur ce lien

Extrait : «Sa deuxième erreur c’est qu’en tant que numéro 2, il avait la possibilité de dénoncer les prises de positions ‘irrationnelles’ de Gbagbo ou de démissionner en disant par exemple : ‘On lui parle, il n’écoute pas, il n’écoute personne, il nous conduit au suicide’. Il serait même sorti du Fpi que cela l’aurait grandi. Et Laurent Gbagbo l’a signifié clairement dans son communiqué du 30 mai 2011 : ‘Il tient à relever que pendant toute la durée de la crise, aucune institution de l’Etat, aucune unité militaire n’a rejoint le camp de l’ennemi. Toutes les Institutions de la République lui sont restées loyales. Le peuple est resté soudé derrière les institutions qu’il incarne. Les composantes essentielles de notre pays ne pouvaient pas toutes se tromper en même temps’. Mais en ne démissionnant pas, il est censé faire partie du sérail. En tant que tel, pour quelle raison n’était-il donc pas à la cérémonie de prestation-investiture du Président Gbagbo ? Mais non seulement il n’y était pas, alors qu’il court à celle d’Alassane Ouattara, mais c’est lui Koulibaly qui invite ses camarades à cette cérémonie du président du Rdr. Ouattara serait-il devenu aujourd’hui un meilleur symbole pour Koulibaly au point de faire la publicité de sa prestation de serment ? (Suzanne Assalé, Le Temps)

Ainsi donc, la journaliste de Le Temps a du mal à avaler le fait que Mamadou Koulibaly n’ait pas assisté à la prestation de serment de Laurent Gbagbo, mais se soit déplacé pour prendre part à celle d’Alassane Ouattara. Si être absent à la cérémonie d’investiture du président déchu est un signe de traitrise, alors l’auteure du réquisitoire anti-Koulibaly a du souci à se faire pour son avenir professionnel. En effet, c’est en vain que l’on a cherché la présence de sa propre patronne Nady Bamba, propriétaire du journal Le Temps et également «deuxième épouse» du président Gbagbo – dans un pays où, soit dit en passant, la bigamie est illégale – dans la salle des cérémonies du Palais du Plateau. Alors si une femme n’assiste pas à l’investiture de son «mari», peut-on vraiment reprocher à ceux dont les liens avec l’intéressé sont beaucoup moins étroits de ne pas y avoir été ?

Il est étonnant que Suzanne Assalé se focalise sur Koulibaly sans s’interroger sur l’absence tout aussi criarde de tout représentant étranger de haut niveau à ladite cérémonie. Quel est ce chef d’Etat soi-disant panafricaniste qui, en dix ans de pouvoir, n’a aucun ami parmi ses homologues reconnus pour leur combat en faveur d’une Afrique digne ? Nous avons tous pris connaissance de la réponse très sèche de Paul Kagame quand il a été interrogé sur sa supposée amitié avec Laurent Gbagbo, venu lui rendre visite à Kigali alors que le Rwanda avait rompu ses relations diplomatiques avec la France : «Vous faites erreur. Ceux qui viennent nous rendre visite ne sont pas automatiquement nos amis. Quand un chef d’Etat exprime le souhait de venir nous voir, il est le bienvenu. Mais mêler l’amitié à cela est ridicule.» Combien de ses pairs ont assisté à son investiture, ou même à la célébration du cinquantenaire de «l’indépendance» ivoirienne le 7 août 2010 ? Aucun. Même Eduardo Dos Santos, le président angolais prétendu soutien indéfectible de Gbagbo, n’a pas jugé utile de faire le déplacement. Au contraire, au plus fort de la crise postélectorale, il a instamment recommandé à son homologue ivoirien de ne pas s’obstiner à tenir tête «au monde entier» et à céder son fauteuil à Ouattara, afin d’éviter un bain de sang dont les premières victimes seraient inéluctablement les populations civiles. Idem pour Jacob Zuma, le chef de l’Etat sud-africain. Mais au lieu d’écouter les sages conseils de ceux qui, s’ils n’avaient aucune raison de se jeter dans la bataille militaire aux côtés d’un homme qui a toujours privilégié le repli sur son clan à la mise en œuvre d’une diplomatie efficace et sérieuse, ont tout au moins tenté, dans un premier temps, de défendre ce qu’ils croyaient être la légalité constitutionnelle ivoirienne si régulièrement malmenée par Gbagbo lui-même, puis, dans un second temps, essayé de raisonner leur pair qui perdait totalement pied, celui-ci s’est malheureusement enferré dans l’espérance délirante de la réalisation de la «prophétie» d’un improbable pasteur évangéliste du nom de Koné Mamadou Malachie, dont on peut se demander aujourd’hui s’il n’était pas à la solde de Ouattara ! Laissons les chefs d’Etat de côté. Où étaient les opposants aux dictateurs françafricains qui auraient dû se bousculer au portillon du soi-disant combattant de la dignité africaine ? Les ambassadeurs africains et autres ? Les représentants africains de l’Internationale Socialiste et autres ? On les cherche encore.

Ceci étant posé, le président de l’Assemblée nationale avait de bonnes raisons de ne pas prendre part à la cérémonie du 4 décembre 2010. D’une part, il se trouvait bloqué à l’extérieur du pays, dans l’impossibilité matérielle d’y revenir, Gbagbo ayant décrété la fermeture par précaution de toutes les frontières du territoire quand cette dernière a eu lieu. Mais il n’est pas du tout certain que même s’il avait été à Abidjan, le président de l’Assemblée nationale aurait participé à l’investiture de Laurent Gbagbo. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’il l’aurait boycottée, non pas parce qu’il aurait mis en doute la légalité de la cérémonie, mais pour faire passer un message très clair d’avertissement à Laurent Gbagbo qui, bien qu’ayant prêté serment de respecter la Constitution lors de sa première cérémonie d’investiture en Octobre 2000, a passé les trois quarts de son mandat long de dix ans à la violer de manière récurrente, à contourner en permanence l’autorité de l’Institution dirigée par Koulibaly et à protéger – activement ou passivement – des bandits, pilleurs et fossoyeurs de la Nation ivoirienne, de quelque bord qu’ils soient. Mais pourquoi donc cela semble-t-il si vital aux yeux des adeptes du gbagboïsme que le président de l’Assemblée nationale assiste à l’investiture de leur champion, alors qu’en tant que président de la République, ce dernier n’a eu de cesse de mépriser le Parlement ? Serait-ce parce que l’absence de Koulibaly est un désaveu cent fois plus cinglant que les inénarrables résultats de l’élection annoncés par Yousouf Bakayoko depuis l’Hôtel du Golf le 2 décembre 2010 ?

Ce n’est certainement pas de gaieté de cœur que Koulibaly s’est rendu à la prestation de serment de Ouattara et à son investiture. Pour qui connait le bonhomme et son parcours, cela a même dû confiner au calvaire. Mais y avait-il une autre voie pour sortir le Front populaire ivoirien et le camp Gbagbo du gouffre au fond duquel l’incompétence et les tâtonnements du Boulanger de Mama les avaient plongés ? La réponse est clairement non. Koulibaly a très vite analysé la situation et tiré deux conclusions qui ont déterminé sa stratégie : Premièrement, le camp Gbagbo était à terre, assommé, vaincu, dénudé, avec Ouattara assis à califourchon sur sa poitrine en train de lui donner des baffes et des coups de crosse de kalachnikov en plein visage. Deuxièmement, Alassane Dramane Ouattara, vu la manière brutale et sanglante avec laquelle il a été installé au pouvoir par ses maîtres, n’aurait aucune hésitation à faire usage de la violence et à instaurer un régime de terreur et d’anarchie, afin d’annihiler toute tentative de contestation. Ces réalités peu amusantes entrainaient de facto l’élaboration d’une approche très tactique qui n’a pas trop mal fonctionné, si l’on s’en tient à l’évolution de la situation. Même si on est encore loin du compte en terme de normalisation, de retour à l’Etat de droit et à la sécurisation des biens et des personnes, ce sont bel et bien les déclarations et la démarche de Koulibaly qui permettent aux militants, partisans et sympathisants du président déchu de sortir petit à petit de leurs cachettes et de reprendre un peu du poil de la bête pour assister aux réunions et se remettre au travail, ce qui – ironie du sort – consiste, pour une minorité de caciques nostalgiques, en place ou en exil, à tirer à boulets rouges sur le président par intérim du FPI. Un chien ne change pas sa façon de s’asseoir. À Gbagbo qui était seul maitre à bord ils pardonnent toutes les fautes par lui commises tandis que Koulibaly qui n’a rien fait est condamné à mort. Ces deux là ne sont pas du même camp. Le second cité est militant de la liberté, de la dignité et de la souveraineté des peuples africains alors que le premier a trahi cette lutte et son idéal pour se contenter d’être tout simplement gbagboiste.

Il est intéressant de constater que les anti-Koulibalystes lui reprochent souvent de ne pas avoir démissionné pour marquer son désaccord avec Gbagbo. Mais n’en déplaise à Suzanne Assalé et aux apparatchiks dont elle se fait la scribe, Mamadou Koulibaly n’a pas été nommé par Gbagbo au perchoir de l’Assemblée nationale. Il a été élu. Il ne tire pas sa légitimité du bon vouloir de l’homme de Mama, mais de la volonté des élus du peuple. Le président de l’Assemblée nationale n’est pas l’employé du président de la République. Il n’a aucun lien de subordination avec lui. Le président de la République est le chef de l’Exécutif, et le président de l’Assemblée nationale est à la tête du Législatif. C’est d’ailleurs pour bien marquer cette autonomie que la Constitution prévoit que le président de la République et son gouvernement doivent rendre compte devant l’Assemblée nationale. Cela, Gbagbo le savait pertinemment en arrivant au pouvoir, mais ça ne l’a pas empêché de s’atteler à constamment court-circuiter l’autorité du Parlement, tant il était animé par la volonté de gouverner monarchiquement et en dehors de tout contrôle. En dix ans de règne Laurent Gbagbo n’a jamais pris la parole devant son parlement, là où Thabo Mbeki venu d’Afrique du Sud et Blaise Compaoré du Burkina se sont exprimés. Il n’est venu au dans la seconde institution de l’Etat dont il était le chef que pour les funérailles. Les crieurs du camp Gbagbo qui manquent de s’évanouir aujourd’hui parce que Ouattara gouverne par ordonnances sont certainement atteints de la maladie d’Alzheimer, sans quoi ils se tiendraient cois, compte tenu du fait que leur «icône» a systématiquement pratiqué cette même mal gouvernance pendant quasiment toute la durée de son mandat. Comment comprendre son entêtement à enfreindre la légalité constitutionnelle, alors qu’il disposait de la majorité parlementaire – ce qui n’est probablement pas le cas de Ouattara aujourd’hui – si ce n’est par son désir d’installer l’autocratie comme mode de gouvernement ?

S’il cherchait par tous les moyens à éviter le contrôle des députés et de leur président, Gbagbo n’était cependant pas prêt à renoncer à l’immense atout que représente Mamadou Koulibaly. Même s’il était dans l’impossibilité de le révoquer de ses fonctions de président de l’Assemblée nationale, il avait tout pouvoir pour lui trancher la tête au FPI. Parce que même si, avec son accession à la magistrature suprême, il avait abandonné, sur le papier, la tête du parti à Pascal Affi N’Guessan pour n’en devenir qu’un simple militant, Laurent Gbagbo continuait d’avoir la main haute sur le FPI. Il aurait donc pu, s’il l’avait voulu, non seulement le faire démettre de son poste de 3e vice-président mais également obtenir son exclusion pure et simple du parti. Hors, il ne l’a jamais fait, trop conscient que cela causerait avant tout sa propre perte. Car s’il est vrai que c’est lui qui a fondé le Front populaire ivoirien, il savait mieux que personne que c’est bel et bien le FPI qui a «fait» Gbagbo. Et en effet, un très grand nombre de militants trépignaient d’impatience à l’idée de suivre Koulibaly à l’extérieur du FPI, au sein d’une nouvelle formation politique à l’image de son fondateur : intègre, courageuse, combattive, luttant réellement pour la liberté, la souveraineté et la démocratie. Cela, Gbagbo, avec une grande lucidité, a toujours voulu l’éviter : Il est vrai qu’il est nettement plus astucieux et intelligent que son entourage proche, dont les membres, effrayés à l’idée de voir leurs pratiques prévaricatrices mises en échec par la méthode rigoureuse de Koulibaly, passent désormais plus de temps à vouloir lui mettre de ridicules brindilles dans les jambes plutôt qu’à dénoncer et combattre les exactions dozotiques de Ouattara.

Les jérémiades de la journaliste de Le Temps sont caractéristiques de l’attitude d’une bonne partie de la direction du FPI quasiment tout au long du règne de Gbagbo : infantile, sans courage, n’osant ni s’opposer à Gbagbo quand il dévoyait l’idéologie qui l’avait porté au pouvoir, ni se poser en générateurs d’idées ou concepteurs de programmes politiques. Pour eux, le FPI, l’Assemblée nationale et les autres Institutions n’étaient pas des instances indépendantes, actrices à part entière de la vie politique démocratique fait de pouvoir et de contre pouvoir, mais devaient plutôt se comporter en fan clubs du maître du pays. Cela n’est-il pas pathétique ? Les militants du FPI pris en otages comme le peuple, ont vu, impuissants, leurs idéaux être dévoyés par un groupe de happy few qui se retrouvaient à la Résidence présidentielle de Cocody pour élaborer des stratégies qui visaient non pas l’émancipation du joug colonial et le développement de la Côte d’Ivoire, mais plutôt la conservation à tout prix du pouvoir et l’enrichissement insolent de ceux qui se retrouvaient soir après soir à la table du président. Et afin de s’assurer que les grognements de la base soient bien étouffés, Laurent Gbagbo et Affi N’Guessan ont bâillonné les militants en leur déniant le droit à un Congrès pendant dix ans. Congrès pour la tenue duquel le camarade Koulibaly a bataillé dur contre ses collègues de la Haute Direction, sans succès.

Du temps où Gbagbo régnait en maître absolu, l’esprit libre d’Azaguié a dénoncé les dérives, celles de ses camarades corrompus et de leurs amis rebelles qui détournaient tous allégrement les ressources de l’Etat de Côte d’Ivoire, alors que le peuple exsangue tirait le diable par la queue. Il l’a fait verbalement, par écrit, en privé, en public, à la radio, à la télé, dans les journaux, les meetings, les réunions internes, encore et encore, s’attirant autant l’admiration pérenne des citoyens apolitiques et militants de tous bords que l’inimitié durable des caciques de son camp et de ses adversaires.

Certains voudraient clouer au pilori ceux qui n’ont jamais abandonné la lutte (la rupture du Pacte Colonial) ni collaboré avec l’ennemi (pour rappel, c’est bien de la France et des marionnettes qu’elle installe au pouvoir en Afrique dont il s’agit), pour se lancer dans de faux combats de positionnement personnel et imposer la vénération inconditionnelle de déviationnistes patentés comme preuve ultime d’amour de la Patrie. A ceux là, je voudrais rappeler, en conclusion, cette courte fable de Jean de la Fontaine, intitulée «Le Chien qui lâcha sa proie pour l’ombre» :

Chacun se trompe ici-bas.
On voit courir après l’ombre
Tant de fous qu’on n’en sait pas
La plupart du temps le nombre.
Au chien dont parle Ésope il faut les renvoyer.
Ce Chien, voyant sa proie en l’eau représentée,
La quitta pour l’image, et pensa se noyer ;
La rivière devint tout d’un coup agitée.
À toute peine il regagna les bords,
Et n’eut ni l’ombre ni le corps.

A suivre…l’épisode 3 : Les ‘blancs’ qui ont convoyé Koulibaly

KOGNITO Alain (kognitoalain@yahoo.fr)

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