Règle numéro 1: Ne pas confondre «politicien» et «homme politique»
La différence sémantique peut paraître subtile, mais elle est importante. Si vous êtes guidé par l’intérêt du peuple et de vos administrés, si vous êtes sincèrement soucieux de gérer les problèmes de la ville ou du pays, alors vous êtes un homme politique. En revanche, si vous ne vous intéressez qu’au siège et à la façon d’y accéder, alors vous êtes un politicien.
Un homme politique est mû par ses idéaux; un politicien par son ambition. Déterminez rapidement quel type d’homme politique vous êtes et adaptez votre stratégie en fonction. Souvent, les deux types coexistent ou se succèdent chez un même individu. Tout est question d’équilibre entre l’ambition que l’on a pour soi et celle que l’on a pour son pays.
Celui qui débute est sans doute bien plus idéaliste et sincère qu’un vieux routier de la politique. Le cynisme croît avec l’âge, et l’homme politique qui reste trop longtemps dans l’opposition finit par perdre sa fraîcheur et ses idéaux. Il se laisse contaminer par le modèle dominant qui, en Afrique, est souvent celui du pouvoir autoritaire. Ceci explique pourquoi un jeune opposant idéaliste et frais peut faire un président conservateur et ranci. Au Sénégal, on résume cet état de fait en disant que Wade est arrivé au pouvoir vingt ans trop tard.
Règle numéro 2: Ne pas confondre le parti et sa chose
Créer un parti, c’est comme mettre un enfant au monde. On veut qu’il nous ressemble, on lui trouve toutes les qualités, on choisit pour lui le meilleur et surtout, on attend qu’il nous obéisse au doigt et à l’œil… Et c’est souvent là que le bât blesse. Beaucoup d’hommes politiques confondent leur parti politique et leur chose. Dès lors, il ne faut pas s’étonner qu’une fois arrivés au pouvoir ils confondent le respect dû à la fonction et l’obéissance aveugle.
Si vous ne respectez pas la démocratie au sein de votre formation politique, comment pourriez-vous la respecter une fois que vous aurez entre les mains un pouvoir bien plus puissant? Il faut faire un effort. C’est vrai que la vie au sein du parti est parfois des plus pénible. Il n’est pas toujours facile d’assister, stoïque, des heures durant, aux interminables palabres sur le programme politique des sections locales, ou aux débats sur la stratégie à mettre en œuvre pour récolter les fonds des paysans du Haut Bondoukou.
Les militants, surtout ceux qui adhèrent spontanément et paient une cotisation, se croient parfois tout permis. Ils sont exigeants et vous donnent des leçons. Mais vous devez faire preuve d’une patience infinie, car ils croient en vous et sont prêts en retour à sacrifier beaucoup. Ne négligez jamais vos militants et vos cadres. Ne leur imposez jamais vos volontés sans avoir longuement discuté. Ils auront l’impression d’un autoritarisme déplacé, et, plus grave, ils iront voir ailleurs. En période électorale, un bon directeur de campagne vaut de l’or. Demandez donc au Guinéen Alpha Condé s’il regrette d’avoir débauché chez l’adversaire son directeur de campagne en 2010!
Le parti doit être à la fois une machine à gagner, disciplinée et efficace, et un lieu de débat et d’idées. Si vos militants ne sont pas convaincus par votre sens du dialogue et de l’écoute, ils vous lâcheront au premier revers.
Règle numéro 3: Ne pas confondre conquête du pouvoir et destruction de l’adversaire
Si la guerre est la continuation de la politique par des moyens différents, comme le disait le stratège chinois Sun Zu, la conquête politique, elle, s’apparente souvent à une guerre. Peu d’hommes politiques résistent à l’idée d’écraser leurs adversaires durant la campagne électorale. Les coups descendent souvent sous la ceinture. Accusations de corruption, ethnicisation du débat, agressions verbales ou physiques; plus vous en ferez voir à vos adversaires, plus vous penserez avoir des chances de le battre. Terrible erreur.
Car n’oubliez pas que vos adversaires sont aussi coriaces que vous et vous rendront coup pour coup dès que l’occasion leur en sera donnée. Par ailleurs, en politique, l’adversaire d’un jour est souvent l’allié de demain —ou le contraire. Il faut donc toujours penser à mesurer ses actions afin de ne pas hypothéquer l’avenir. Les haines irréductibles gâchent parfois un mandat. Demandez à Laurent Gbagbo s’il n’aurait pas été plus avisé de rendre sa nationalité à Alassane Ouattara dès 2001.
Et puis, l’homme politique doit avoir la grandeur d’âme suffisante pour pardonner (à la façon de Nelson Mandela) et ne pas se comporter en revanchard. C’est une question de survie personnelle tout autant que de stature. Ceux qui laissent une trace dans l’histoire sont les Gandhi et les Mandela, davantage que les Idi Amin Dada ou les Bokassa.
Règle numéro 4: ne pas confondre L’Etat et sa propre personne
Depuis Louis XIV on sait que «l’Etat, c’est moi». On sait aussi que ce type de raisonnement entraîna, un siècle plus tard, la chute de la monarchie française. Il n’est pas facile de résister à cette ivresse que procure le pouvoir. Souvent en Afrique, un président possède tout, peut tout se permettre, s’offrir ce qu’il veut. Ses caprices sont immédiatement exaucés. Les femmes lui courent après et les hommes se courbent plus bas que terre.
Mais il faut savoir résister à cette tentation qui fait de vous l’égal de Dieu. Lorsque l’on a passé sa vie dans l’opposition et que l’on accède enfin au pouvoir suprême, l’ivresse est sans doute encore plus grande et les moyens d’y résister plus faibles. Aussi, un président soucieux du développement harmonieux de son pays devrait veiller à associer de temps à autre ses opposants à la gestion des affaires publiques en leur offrant, comme l’a fait le Sénégalais Abdou Diouf dès des les années 90, des portefeuilles ministériels. Cela donne aux opposants des raisons de patienter, d’espérer et peut-être même une certaine habitude de la gestion des affaires publiques.
Règle numéro 5: ne pas confondre élections et manipulation
Certes, les opinions sont versatiles. Elles brûlent aujourd’hui ce qu’elles ont adoré hier. En Afrique, l’Etat de grâce n’existe pas, ou il dure si peu que de nombreux présidents n’ont même pas le temps de savourer leur victoire. Ce n’est pas une raison pour s’empresser d’éradiquer toute forme de contestation en manipulant les premières législatives de votre mandat. S’offrir une majorité oui, se payer un Parlement à sa botte, non.
Les électeurs n’auront aucun respect pour un Parlement perçu comme «acheté», et vous vous compliquerez inutilement la tâche. En revanche, un Parlement où chaque parti, y compris le vôtre, est à sa place, constitue un outil fantastique pour s’assurer une certaine durée au pouvoir. Il suffit de faire endosser par ce Parlement toutes les mesures impopulaires (austérité, sécurité, impôts) héritées du pouvoir précédent. Le Parlement (ou l’Assemblée) est à la fois une caisse de résonnance et un vivier inépuisable de boucs émissaires. A vous d’agir en fonction, au gré des circonstances.
Règle numéro 6: ne pas confondre clientélisme et politique de développement
Un opposant, surtout en Afrique, est quelqu’un qui passe son temps à promettre. Et accessoirement, à donner le peu d’argent qu’il a récupéré ici ou là. Une fois au pouvoir, il doit tenir parole, au moins dans une petite mesure. L’homme politique crée alors un réseau clientéliste qui lui permet au passage de s’assurer une chaîne de fidélité. Le problème est de savoir faire preuve de discernement.
Le clientélisme ne doit pas être la seule politique de développement du pays. A force de ne servir que les siens (région, ethnie, parti, etc.) on finit vite par s’aliéner les autres. En Côte d’Ivoire, dans l’ambiance paranoïaque qui règne depuis quinze ans dans la vie politique, Laurent Gbagbo n’a fait que favoriser les groupes ethniques qui lui étaient réputés fidèles. Aujourd’hui, Bétés, Guérés et Eburnéens se terrent par peur des représailles.
Parfois, l’opposant arrivé au pouvoir rectifie son discours dans le bon sens. Ainsi Alpha Condé, qui a fait insidieusement campagne sur la «peur du pouvoir peul», s’est empressé d’en caser une flopée dans la haute administration et au gouvernement une fois arrivé au palais Sékoutouria. Et ce au nom du principe de l’équilibre entre les quatre régions naturelles de la Guinée, un invariant de la Guinée postcoloniale.
Règle numéro 7: ne pas jeter son discours et ses principes aux oubliettes
Les opposants sont souvent les meilleurs défenseurs de la démocratie —parfois jusqu’à la caricature. Mais lorsqu’ils accèdent aux plus hautes fonctions, il arrive qu’ils oublient ce passé de militant. D’Ange Félix Patassé à Abdoulaye Wade, en passant par Denis Sassou Nguesso, la liste est longue de ceux qui ont fait arrêter ou battre des opposants après avoir eux-mêmes été victimes de ce genre de traitement lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Avoir la mémoire courte est une chose, renier ses principes en est une autre.
Laurent Gbagbo, socialiste de toujours, attaché à la démocratie et la bonne gouvernance, est resté dix ans au pouvoir sans la moindre élection crédible, s’obstinant jusqu’à l’extrême à refuser le verdict des urnes. Un véritable cas d’école tant le décalage est flagrant entre le discours d’opposant et la praxis du dirigeant.
Règle numéro 8: ne pas confondre la Constitution et le papier toilette
Lorsque vous arrivez enfin au pouvoir après de longues années d’attente et une série de batailles homériques, votre première envie et d’y rester le plus longtemps possible. Ecce homo… sous toutes les latitudes. Les institutions, et en particulier la Constitution, sont là pour vous empêcher de succomber à de vilains penchants dictatoriaux.
Cette dernière limite le nombre de vos mandats et en fixe la durée. Les verrous institutionnels et politiques devraient vous empêcher de modifier les règles du jeu. Et pourtant… En Afrique, ceux qui ont résisté à l’envie de changer la Constitution se comptent sur les doigts d’une main. Citons Amadou Toumani Touré au Mali ou John Kuffor au Ghana. Changer les règles du jeu démocratique à son profit, c’est ancrer l’idée que la démocratie se piétine chaque matin.
Bref, si vous voulez vous faire taper sur les doigts par les grandes démocraties, allez-y. Mais ne vous étonnez pas si un beau matin vos opposants politiques seront devenus des chefs rebelles. Et si le dialogue politique se résume dès lors à un échange de coups de canon.
Règle numéro 9: ne pas confondre les ors de la République et le bling-bling.
Vous souvenez-vous de Thomas Sankara? En bon révolutionnaire, il violait les codes et prônait notamment une simplicité absolue. Sankara vivait modestement et ne dépensait pas l’argent de l’Etat dans les boutiques de la rue de Sèvres, à Paris.
Certes, on n’est pas obligé de mener une vie de moine lorsque l’on est président, mais depuis l’affaire des biens mal acquis, mieux vaut être prudent dans l’utilisation des fonds publics. Un président modeste n’est pas forcément un président faible. Il faut absolument combattre cette tendance qui fait qu’un opposant, appauvri par les campagnes politiques, frustré de ne jamais avoir le moindre sous en poche, se rue sur le Trésor public une fois arrivé au pouvoir.
L’éphémère président bissau-guinéen Kumba Yallà (2000-2003), qui n’avait pas de quoi se payer un costume neuf dans l’opposition et qui exhibait dans tout Bissau des cols de chemise crasseux, s’est retrouvé du jour au lendemain richement vêtu au bras des plus belles filles d’Afrique de l’Ouest.
Ce qui passe en France, pays riche et développé, avec certains présidents «bling-bling», passe moins bien quand le pays a la noix de cajou comme seule ressource. Un opposant qui accède au pouvoir n’est pas condamné à ressembler à un prédateur qui vient d’attraper sa proie.
Mais il est parfois très difficile de résister à son proche entourage. Un témoin raconte qu’en 1993, lorsqu’Ange Félix Patassé devient président de la République centrafricaine, sa sœur et sa femme se sont exclamées «enfin riches, enfin riches!» au cours d’une réunion de famille. Quand l’accession au pouvoir devient la seule façon de s’enrichir, les principes moraux n’ont plus qu’à bien se tenir!
Alex Ndiaye
http://www.slateafrique.com/2517/manuel-a-l-usage-des-opposants-qui-veulent-devenir-de-bons-presidents
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