COMMENT NOUS FABRIQUONS LES DICTATEURS EN AFRIQUE

En Afrique, nous avons la fâcheuse tendance de survaloriser, d’idéaliser à outrance certains de nos hommes politiques en qui nous investissons une confiance absolue et à qui nous sommes fanatiquement attachés, assujettis. Divinisés par nous, militants, sympathisants, parents, amis, femmes et enfants, oser émettre à leur endroit la moindre critique est perçu comme un blasphème et, partant réprimée aussi bien verbalement que physiquement avec la dernière énergie. Aussi constructive, pertinente que soit votre remarque, vous êtes condamné à ruminer, à ressasser si vous n’avez pas envie d’essuyer des invectives, de subir une bastonnade en règle, pis, d’être envoyé ad patres. Face aux âneries, aux conduites insensées, aux monstruosités du détenteur de l’exécutif dans un supposé régime démocratique, érigé en guide suprême, en roi par ses suiveurs, il faut s’astreindre à un mutisme hypocrite, applaudir à tout rompre, concevoir, pour les artistes, des chansons de geste à son honneur, pour les poètes et romanciers, s’adonner à des envolées lyriques, produire des textes laudateurs qui contrastent avec les sentiments réels éprouvés. Sans discernement, toute parole et tout acte émanant de lui sont à magnifier, à élever au rang de vérité irréfragable car, incarnant la perfection divine, il ne peut point se tromper. Nolens volens, à dose homéopathique, quoiqu’initialement engagé à promouvoir un exercice démocratique du pouvoir, à faire droit aux valeurs qui y sont inhérentes, il se voit, quelquefois à son corps défendant, accoutumé à cette façon de faire antidémocratique, à l’instar de certains de ses devanciers dont la gestion scabreuse, latitudinaire du pouvoir, restera à jamais, tristement gravée dans les annales historiques. Désormais ragaillardi par un pouvoir illimité que semblent lui avoir donné en cadeau ses partisans, son peuple en se calfeutrant dans un silence approbateur, en ne lui opposant aucune résistance, en ne formulant aucune observation sur sa conduite des affaires, à partir de ce moment, il se permet tout et ne s’impose aucune borne. Même les choses les plus ignominieuses, les plus putrides. Dans son élan de plus en plus autoritaire, s’octroyant un droit de vie et de mort sur ses citoyens, il écrase tout sur son chemin. La moindre contestation, diatribe est réprimée dans le sang. Comme des êtres envoûtés, tenus en respect par des forces supérieures mais en réalité, bâillonnés, objectivés par des élans fanatiques qu’ils ont eux-mêmes contribué à asseoir en eux, plutôt que de tancer, on se donne le toupet de trouver des justificatifs aux agissements du guide suprême en verbalisant de façon oiseuse, en éructant des inepties tels des ânes bâtés. La dérive totalitaire, la folie des grandeurs et les inhumanités de toutes sortes qui ont constitué l’ipséité du régime du guide suprême, maréchal et roi du Zaïre aujourd’hui, République démocratique du Congo, procède quintessentiellement de l’inertie approbatrice et complice du peuple Zaïrois d’alors qui, acquiesçant, pis, donnant son onction aux grotesques incartades, aux outrancières lubies du chef en exécutant à tout va, à chacune de ses sorties et passages, des danses idiotes, crétinisantes avec des pas mal coordonnés, en lieu et place de remarques constructives, de piques incisives et profondes susceptibles de le hisser dans le sens vertical des hauteurs vertueuses, fut-il au prix de sa vie, des faveurs dont on bénéficie ou de postes juteux, comme on le dit dans le jargon, qu’on occupe, a contribué, peut-être inconsciemment, mais à un très haut degré, à faire le lit de la géhenne à laquelle il a été astreint durant les trente deux ans qu’a duré le règne sans partage de Joseph Désiré MOBUTU dit Sese Seko Kuku Ngbendu Waza Banga (« guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter »). En de telles circonstances, nous connaissons l’invariable ritournelle déblatérée ça et là : ‘’Nous avions peur pour nos vies’’ ou que ‘’Nous étions tenus par une police sécrète, constamment à nos trousses, épiant nos faits et gestes et toujours prête à nous asséner le coup fatal’’ ou encore ‘’En le faisant, nous risquions de perdre les avantages qui nous étaient accordés’’. A ce sujet, dans le documentaire réalisé par Thierry MICHEL intitulé ‘’Mobutu, roi du Zaïre’’, le témoignage de Sakombi INONGO, à l’époque, Ministre de la communication du Président MOBUTU, confirme bien cette poltronnerie maladive de l’homme africain face aux responsabilités à assumer en de pareilles circonstances. Concernant les crimes du guide suprême, voici ce qu’il dit en substance dans le film : « J’ai su tout cela mais nous ne pouvions pas parler, au risque de mourir. Parce que … il assassinait aussi facilement qu’on écrase un insecte. Donc nous avions besoin de vie, de vivre… ». Un peu plus haut, au sujet de la dérive messianique de son patron, il disait ceci : « J’ai pris la photo de Mobutu, je l’ai mise dans les nuages et à avant le journal télévisé, on voyait Mobutu surgir des images comme un dieu parce que les enfants croyaient effectivement qu’il était Dieu puisqu’il sortait des images. Cela, avant chaque journal télévisé. Quand je l’ai fait, il était tellement content, il m’a appelé et m’a dit :’’Mon cher, c’est ce que tu dois faire, c’est bien comme ça, continue dans ce sens.’’ Mais moi je disais, je le fais pour le développement du pays.» Tout ceci retrace un tant soit peu de quelle manière, le Zaïrois a contribué à graver dans l’imaginaire de cet homme, qui peut-être couvait intimement au fin fond de lui-même des velléités fascisantes, qu’il était l’égal de Dieu, conciliant de ce fait en lui toutes les perfections possibles. Etant, par ricochet, à l’abri de la méprise, qu’il pouvait tout se permettre. Pendant qu’on affirme craindre d’être tué si on se hasarde à critiquer, dans le même temps, on encense outre mesure, hypocritement, toute honte bue pour mériter quelques prébendes, espèces sonnantes et trébuchantes, tout en feignant d’ignorer les ondes de choc, à court ou long terme, de telles ignominies. Saperlipopette, curieuse conception de l’existence ! A l’analyse, la propension de l’africain à l’algophilie, à l’auto-flagellation désarçonne, dépasse l’entendement. Le vin étant tiré, il fallait le boire, jusqu’à la lie, sans dérobades, de façon stoïque. La démesure et l’inhumanité constatées dans les faits et gestes de cet homme lui ont été en bonne partie dictées par la mollesse, l’apathie et la pernicieuse duplicité d’une bonne frange de sa population et de sa coterie.
Laurent GBAGBO, ex-Président de la république de Côte d’Ivoire, très volubile lorsqu’il était dans l’opposition et toujours prêt à admonester les dérapages de cette nature est lui-même tombé dans les mêmes travers lorsqu’il accéda, selon ses propres propos, de façon calamiteuse, aux fonctions de Président de la république. Pris en otage par un ramassis de faucons arrivistes et affairistes au goût du luxe et du lucre hors norme, d’innombrables clubs de soutien en quête de devises avec leurs litanies quotidiennes de dithyrambes flatteuses, complaisantes sans omettre une épouse ubuesque, chiche en conseils avisés, édifiants mais débordant d’imagination quant aux vacheries, manœuvres hypocrites et sécrètes visant à nuire aux adversaires politiques, aux journalistes, bref, à tous ceux promouvant des idées contraires aux leurs, le chef de file de la chapelle frontiste a étalé toutes ses insuffisances à mettre en exécution l’ambitieux programme de gouvernement qu’il s’est lui-même librement défini sur papier. En lieu et place, il n’a servi que désolation, supplice, martyre à son peuple. Evoluant dans un environnement pourri, lesté de tout repère éthique généré par le conglomérat infect de crapules qu’il s’est copté comme missi dominici, éminences grises, conseillers ou même comme bras séculiers, Laurent GBAGBO, déifié par son clan et ses inconditionnels, n’avait plus de considération pour personne, méprisait tout ce qui était principes moraux et religieux. Les dérives messianiques ayant sanctionné sa fin de règne illustrent parfaitement cette observation. La catégorisation manichéenne faite par son épouse légale lors d’un meeting politique tenu au palais de la culture présentant le Président OUATTARA, le Président de la république française SEM Nicolas SARKOZY et le Président des USA SEM Barack OBAMA comme des suppôts de Lucifer, et son époux, symbole vivant et achevé de la perfection angélique, comme l’élu de Dieu, l’envoyer de Dieu venu mettre fin à la souffrance des ivoiriens, milite dans le même sens. Les affabulations de l’aigrefin Koné Malachie et les divinations inexactes et intéressées de la ribambelle de pseudo-pasteurs affairistes qui s’est spontanément constituée autour de ce couple ex-présidentiel feront basculer, un peu plus tard, les choses de charybde en scylla.
L’enjeu de cette production qui se veut modeste, est d’en appeler à la conscience de tous (politiques, religieux, scientifiques, philosophes, historiens…) : évitons au Président OUATTARA une aussi triste fin politique en étant pour lui des adjuvants, des guides, des éminences grises au sens le plus noble des vocables usités. Cela requiert de nous non de la complaisance, des discours passionnément partisans dénués de toute objectivité scientifique, des professions de foi, des cultes de dévotion, mais des critiques polies toutefois trempées dans du vitriol, des observations objectives et profondes assorties de recommandations avisées sur les ratés susceptibles d’émaner de la gestion de Monsieur le Président de la république qui, malgré la renommée d’économiste aguerri, chevronné, d’homme attaché aux vertus cardinales que sont l’amour du prochain, la vérité, l’honnêteté, la justice, le pardon, la passion du travail qui le précède, reste avant tout un homme, imparfait et fini dans le temps et dans l’espace, donc pouvant être sujet à l’erreur. Nous savons également, au titre de notre formation de philosophe, que l’individu humain, quelle que soit sa force de caractère, demeure le produit d’une société, d’un milieu et pendant qu’il est encore vivant, est toujours en route vers son essence, est perpétuellement en devenir, reste, par ricochet, comme de la pâte à modeler, malléable, perfectible, mais également, peut tomber à tout moment, dans les rets de la dégénérescence morale, de la fange. Voilà pourquoi, il est plus qu’indispensable de rester prudent, de savoir s’entourer, lorsqu’on occupe de hautes responsabilités telles que le prestigieux poste de chef d’Etat. Car personnellement, nous éprouvons une réelle angoisse. Cette anxiété est d’autant plus fondée que les clubs de soutien, en réalité des hordes éhontées d’opportunistes d’un mercantilisme délirant, fleurissent partout, comme des champignons, dans l’indifférence totale, donnant pignon sur rue à un culte de la personnalité commençant mais déjà inconsidéré, comme si les expériences passées vécues, n’avaient pas servi. C’est de cette façon que nous fabriquons les dictateurs en Afrique, en magnifiant sans discernement, les actions menées par nos hommes politiques, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Vu l’état déliquescent, souffreteux de nos acquis, Monsieur le Président, a plus besoin de forces vives, de bras valides, d’esprits compétents prêts à retrousser les manches pour remettre le pays sur les rails du développement, du progrès, que de clubs de danseurs, d’agrégats d’hystériques désœuvrés conditionnés de façon pavlovienne à produire des cris stridents idiots à chacune de ses sorties, à chacun de ses passages. Nous devons rompre de façon étanche avec ces anciennes pratiques qui n’ont généré comme seul résultat que des dérives fascistes, totalitaires qui continuent à imposer le martyre à notre cher continent et nous à arrimer davantage à la remorque des nations développées. Apprenons à être de sincères et francs collaborateurs que de faire l’âne pour recevoir le foin. La critique idoine, bonne et juste, loin d’entraver le progrès est la sève nourricière dont elle s’abreuve. Félicitons de par le biais de nos plumes, nos voix, si on le veut, nos danses et chansons crétines, les bonnes œuvres du Président OUATTARA. Mais employons-nous également à tirer, de façon collective, à boulets rouges sur lui, avec des termes mesurés, nullement désobligeants, lorsqu’il se hasarde sur le mauvais chemin. C’est juste une question d’éthique qui, courageusement observée et traitée, peut tuer dans l’œuf les potentiels dangers à venir, nous mettre à l’abri d’un certain nombre de dommages.
Quant à la nouvelle équipe gouvernementale portée sur les fonts baptismaux le jeudi dernier, à l’acte, elle doit justifier la confiance qui a été placée en elle. En homme pragmatique attaché aux valeurs du travail bien fait, les heureux élus doivent pouvoir comprendre, si l’on s’en tient au discours prononcé par Monsieur le Président lors du tout premier conseil des Ministres qui s’est tenu le Vendredi dernier, qu’ils sont à l’essai. Seuls les meilleurs feront partie de la formation finale qui verra le jour après les législatives. Abandonnons nos vieux réflexes vecteurs de reculades pour épouser des valeurs radicalement nouvelles qui nous réconcilient avec les canons de la démocratie vraie, dans laquelle personne n’est au-dessus de la loi, fut-il détenteur de l’exécutif, celle qui fait de l’individu humain la valeur la plus haute et œuvre pour ainsi dire pour son bien-être, sa prospérité. Donnons-nous donc quelquefois, le toupet, quel que soit ce que cela pourrait nous coûter, de dire au chef suprême, avec toute la politesse requise, qu’il s’est égaré lorsqu’on peut le lui prouver, mais également louer à leur juste valeur les bienfaits résultant de sa direction, sa gestion. Dans cette posture morale, nous bâtirons pour sûr une véritable démocratie qui assurera au citoyen ivoirien, une existence libre et épanouie.
DIARRA CHEICKH OUMAR
Professeur certifié de philosophie
Etudiant en instance de thèse
Sciences politiques
E-mail : sekdiasek@gmail.com

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