Par Dr Dieth Alexis | Vienne Autriche
Il est heureux pour la Côte d’ivoire que la formule du gouvernement d’union nationale conseillée autant par l’UA que par les soutiens occidentaux du nouveau Président n’aie pas été retenue. La composition du nouveau gouvernement uniquement par le parti majoritaire est de bon augure pour la démocratie ivoirienne naissante.
En démocratie, deux voies sont incontournables pour accéder au gouvernement de l’Etat. La première voie consiste à conquérir le pouvoir, à prendre le gouvernement en obtenant la majorité du suffrage lors de l’élection présidentielle. La seconde voie consiste à avoir passé, avant l’élection, une alliance avec le parti devenu majoritaire à l’élection présidentielle. A défaut d’avoir pu obtenir la majorité du suffrage et d’avoir pu conquérir le pouvoir, les partis minoritaires n’ont d’autres solutions que de jouer leur rôle citoyen, en cherchant à conquérir des sièges aux élections législatives et communales. A moins d’avoir constitué, avant les élections, une alliance avec le parti majoritaire comme l’ont fait les partis composant le RHDP, rares sont dans le monde, les pays démocratiques authentiques où l’on voit les partis, minoritaires au terme de l’élection présidentielle, réclamer des portefeuilles ministériels et participer au nouveau gouvernement avant les élections législatives qui imposent une recomposition du gouvernement. Si tant est que l’intervention de l’ONU et des forces françaises étaient destinée à imposer le respect du verdict des urnes et la démocratie, à quoi aurait servi le fait d’intégrer dans un exécutif d’obédience libéral des membres d’un parti socialiste avant les élections législatives qui devraient seules imposer légalement et légitimement cette intégration alors que le FPI a lui-même reconnu clairement la victoire du RHDP ? Le FPI, parti nationaliste et socialiste, pouvait-il animer l’opposition en participant, en même temps, à l’exercice du pouvoir dans le gouvernement avec le parti majoritaire libéral et internationaliste ?
La formation d’un gouvernement constitué exclusivement par le parti majoritaire recentre donc la compétition politique sur la concurrence des idéologies et des projets de société des partis. Le consensus de la classe politique et des populations est amené, ainsi, à se définir sur les projets de sociétés, sur la défense de l’intérêt général, et sur les principes et les valeurs de la démocratie. Le refus responsable de la mauvaise formule que constituait le gouvernement d’union nationale formule conseillée autant par ses soutiens occidentaux que par l’UA atteste le souci du président de la république d’affirmer sa liberté en opérant les choix qui conviennent aux intérêts souverains de la Côte d’Ivoire. Et s’il apparaissait que la formule finalement retenue de la composition du nouveau gouvernement résultait accidentellement du refus du FPI, dicté par son souci d’obtenir l’impunité de ses membres emprisonnés en les soustrayant aux poursuites judicaires, cette issue heureuse aura été une pure bénédiction pour la Côte d’Ivoire. Le refus de la formule du gouvernement d’union national qui est en fait la formule de la confusion des programmes politiques et de la désunion, permet d’affirmer clairement le programme libéral du parti majoritaire et de rétablir la responsabilité politique dans la formule authentique de la démocratie. L’espace politique de l’opposition est ainsi pleinement réservé aux partis minoritaires qui doivent s’engager dans la compétition politique en proposant au peuple ivoirien une idéologie et un projet de société différents et intéressants.
Parti désormais minoritaire, le FPI doit donc être un parti d’opposition. Et il est condamné à mourir de sa belle mort s’il est incapable de proposer aux ivoiriens un projet de société qui réponde aux aspirations profondes d’une nouvelle société ivoirienne ouverte sur le monde, qui rejette la culture de la violence, la xénophobie et l’anticolonialisme creux comme elle l’a prouvé en accueillant les officiels français sous les applaudissements. Or les propos par lesquels les responsables du FPI motivent leur refus de participer à un gouvernement d’union nationale au terme de leurs dernières réunions démontrent que leur conception alimentaire de la politique structurée par les rapports de force est demeurée intacte. Les propos du genre « Quand quelqu`un pleure, ce n`est pas le moment de chercher à lui donner à manger. Il faut d’abord chercher à le consoler » « Ce qui nous intéresse actuellement, c`est comment faire pour créer les conditions de libération de nos camarades, du retour des exilés » « Notre position n`a pas changé, et c`est une question de bon sens, une question de morale. Nous ne pouvons pas participer à un gouvernement, alors que nos camarades sont dans la souffrance. » (Cf L’Inter du 3 Juin : compte rendu de la réunion du FPI du 02 Juin) tenus par les élus, prouvent que le FPI n’a pas changé de caractère et de vision du monde. Le FPI ne refuse pas d’entrer dans un gouvernement d’union nationale par respect des principes de la démocratie. Il n’accepte pas d’entrer au gouvernement parce qu’ils répugnent à se mettre à table _ comme l’indique la métaphore alimentaire utilisée pour motiver le refus _ alors que certains de ses membres accusés pourtant de crimes contre l’humanité sont enfermés dans des geôles. Telle est la forme de sa décence morale et de sa conception de la solidarité politique qui n’est pas structurée par des valeurs spirituelles supérieures. Sa conception de la solidarité humaine est celle de l’indéfectible solidarité des complices et des gangsters. Le FPI en reste à une conception alimentaire du pouvoir politique qui se fonde sur « la politique du ventre » selon la célèbre expression de Jean François Bayart. Et il tient à l’impunité. Sa vision de la stratégie de prise du pouvoir politique demeure instrumentale. Elle n’est fondée sur aucun projet de société. Sa conception de l’opposition se limite aux discussions à conduire avec le gouvernement quant à l’aménagement des dispositifs techniques qui doivent lui permettre conquérir des sièges aux élections législatives. Il ne se préoccupe pas de proposer une contre-culture pour lutter contre les maux qui minent la société ivoirienne, qui ont pour nom la corruption, la loi du plus fort, la xénophobie, le mépris de l’intérêt général et du bien public, qui ont conduit à la catastrophe dont la Côte d’Ivoire s’efforce péniblement de sortir. Sa préoccupation de parti d’opposition semble se limiter à l’organisation technique des élections législatives comme en témoignent les propos de son 3èm vice-président Mamadou Koulibaly : « Il faut adopter l`attitude d`opposants et se préparer à faire des propositions au gouvernement, quant à la possibilité d`une meilleure organisation des élections législatives, municipales et des conseillers généraux qui arrivent ». Tout à son souci d’obtenir un aménagement des élections législatives et communales qui le remettent en selle politiquement, le FPI ne se rend même pas compte que la condition en est une contre culture qui permettent aux ivoiriens de comprendre que chacun ne peut servir son intérêt individuel concernant son bien-être physique et moral que s’il respecte le droit et l’intérêt général, que s’il agit pour promouvoir le bien public dont son propre bien-être individuel dépend , que s’il sert la société pour se servir lui-même. Cette indifférence du FPI, du principal parti d’opposition aux valeurs et aux vertus civiques dont la culture doit permettre de régénérer la société ivoirienne démontre qu’il est urgent que les populations ivoiriennes reprennent en main la politique et qu’émergent une société civile indépendante et critique ainsi que de nouveaux partis d’opposition qui donnent un contenu au débat démocratique en élevant son niveau.
Indirectement donc le refus du gouvernement calamiteux d’union national par le Président Ouattara, restitue au peuple ivoirien la clé de son destin. Il est invité à ne pas répéter les erreurs de l’histoire qui semble rejouer l’une de ses vieilles partitions. Sur le fond de l’intervention et de la tutelle finale des puissances occidentales provoquées par la férocité irrationnelle d’une dictature interne, l’alternative actuelle entre le choix de la mauvaise formule de la démocratie du gouvernement d’union nationale et la bonne formule de la démocratie authentique semble répéter celle du choix entre le pluralisme politique et le centralisme de parti unique qui s’était présenté aux peuples africains lors des Indépendances après que la férocité des traites esclavagistes internes conduisirent aux interventions occidentales économiquement motivées, qui devaient engendrer la colonisation. De ce point de vue les mauvais conseils intéressés de la corporation des chefs d’Etats africains et des conseillers occidentaux qui recommandaient le gouvernement d’union nationale, semble obéir à un projet de maîtrise des transformations structurelles de l’Afrique qui permettrait de reproduire les précédents rapports de domination en dépouillant les peuples de leur pouvoir de régenter la politique des Etats africains au sein d’une démocratie parlementaire véritable assise sur un Etat-nation . L’empressement stratégique des anciennes puissances coloniales à se porter au devant des peuples pour soutenir leur révolte provoquée autant par les transformations dialectiques structurelles des sociétés que par la férocité de la violence et de l’exploitation des dictatures locales, porte la trace de l’opportunisme. Et nous faisons le pari que les Russes et les Chinois qui ont jusque-là soutenus indéfectiblement les dictatures d’Afrique du Nord d’Afrique sub-saharienne et du Moyen-Orient se découvriront des vertus de défenseur de la démocratie. L’épisode de l’abandon du régime libyen par les Russes signe le commencement de ce frémissement. Une nouvelle course au clocher, un nouveau « scramble for africa » s’annonce où les aménagements de la démocratie aux couleurs locales permettraient aux puissances politiques et économiques de l’Ouest et de l’est de contrôler politiquement et économiquement le marché africain.
Pour briser la dynamique émancipatrice de la démocratie, au profit des élites locales et des puissances étrangères au détriment des peuples, on invoque des raisons géopolitiques et celles de la nécessaire adaptation de la démocratie aux nécessités sociologiques locales pour reconstruire les structures et les mécanismes de la domination grâce à la formule du partage du pouvoir entre des partis politiques considérés comme représentation ethnique. Les ethnies étant de petites nations alors que la nation citoyenne n’est pas encore construite dans la plupart des Etats polyethniques africains, on conserve ainsi aux partis une vocation de nationalisme ethnique étroit, générateur d’un processus d’exclusion dans un cadre de compétition ethnique qui éloigne d’autant plus les partis de la vocation politique et de l’orientation territoriale qui doit être la leur. Dans le cadre d’une telle démocratie, le pouvoir politique demeure un mât de cocagne pour lequel rivalisent les petites nations c’est-à-dire les groupes ethniques opposés. Il en va de même lorsque la démocratie ne s’appuie pas sur une conception citoyenne de la nation comme en témoigne les débats déjà amorcés à propos de la composition du nouveau gouvernement dans certains journaux ivoiriens ; débats où la distribution des postes ministériels selon le critère de la géopolitique s’assimile à un partage de gâteau entre régions ethniques. (Cf lebanco 03-06-2011 « Bédié ignore les cadres Pdci du Nord et centre ouest » et Premier gouvernement de Ouattara : Gbagbo marque un point. Ainsi la logique de tropicalisation de la démocratie obéit implicitement à un objectif de réajustement structurel des mécanismes de la domination. Elle reconduit les divisions et les antagonismes des particularités qui assurent la maîtrise du terrain aux pourvoyeurs de démocratie.
La formule du partage géopolitique du pouvoir dans un gouvernement d’union national, adapte l’Etat moderne, aux nécessités géopolitiques ethniques et aux valeurs culturelles de l’Afrique authentique précoloniale. Sous les apparences de la distribution géopolitique des postes de gouvernement on personnalise le pouvoir politique en subordonnant le critère de la compétence à celui de l’appartenance ethnique. Attesté par l’importance du soutien politique des chefs traditionnels, un rôle central est assigné aux liens claniques et lignagers dans l’Etat moderne. Cet enracinement traditionnel et coutumier du pouvoir politique repositionne la politique sur l’adhésion à la personne du chef dispensateur de sécurité ! On réintroduit ainsi, dans la structure de l’Etat et dans la démocratie moderne, le prestige coutumier et les loyautés traditionnelles héritées de l’Afrique précoloniale ! On sait exactement, depuis les indépendances jusqu’à Gbagbo en passant par Mobutu et les autres, que cette formule infernale a toujours conduit les peuples africains à la catastrophe.
Les populations d’Afrique doivent donc prendre conscience du moment crucial de leur histoire qu’amorce la vague des protestations populaires qui veulent substituer la démocratie à la dictature et à la tyrannie. Elles pourraient rater le coche si elles n’y prennent garde ! Dans les années 60, le transfère de l’autorité politique aux peuples africains prit l’allure d’une passation de pouvoirs aux bourgeoisies locales incarnées par les dirigeants du parti unique. De nos jours dans le contexte de la crise des dictatures ethno-coloniales, le transfère du pouvoir aux populations par la démocratie risque de prendre l’allure d’un ré-accaparement du pouvoir par les anciennes élites ethniques qui se reconvertissent en représentants des communautés ethniques dans le cadre de la démocratie du partage du pouvoir et du gouvernement d’union nationale. Les formules du partage géopolitique ethniciste du pouvoir et les gouvernements d’union nationale dans les démocraties africaines naissantes doivent donc être proscrites et rejetées. Elles feraient rater le train de l’histoire aux populations qui doivent en occuper toutes les places de première classe et en prendre la direction. Les populations doivent occuper cette première classe dans une société civile dynamique qui contrôle un chef d’Etat démocratiquement élu dans la formule authentique de la démocratie parlementaire.
Le choix de la formation d’un exécutif conforme à la décision souveraine du peuple lors de l’élection présidentielle doit permettre au peuple d’asseoir la priorité de ses prérogatives, de confirmer son pouvoir dans les élections législatives qui permettront de soumettre l’exercice de l’exécutif au respect de l’intérêt souverains des populations grâce au contrôle du parlement. L’élection des députés au suffrage universel doit permettre aux populations de contrôler le parlement et maitriser le pouvoir politique. Le cas d’école ivoirien amorce cette dynamique qui doit être reprise dans toute l’Afrique. Il est donc question d’abolir la monopolisation et la reprise en main de la vie politique par les élites ethniques. Aux partis de chefs et partis ethniques rétrogrades, il faut substituer des forces politiques à vocation territoriale. Il est donc question de libérer la société civile, d’encourager la formation de l’esprit critique dans une société qui mette en question l’ordre établi et qui refuse tout système d’oppression et de prédation endogène et allogène. Les sociétés civiles, lieux de la formation et de l’expression des intérêts des populations et de leurs paroles, qui avaient été étouffées durant les diverses dictatures doivent être libérées. La parole plurielle, la critique constructive et les organisations de défense de l’intérêt public doivent être remises au centre de l’action politique. Il s’agit donc de donner corps à une démocratie parlementaire qui corresponde et traduisent les intérêts constitués d’une classe populaire et d’une paysannerie consciente d’elles-mêmes. Il s’agit de réaliser un cadre politique correspondant à des ensembles sociaux qui sont des forces politiques conscientes de leurs intérêts dont ils veulent obtenir la traduction politique au niveau du pouvoir.
Ainsi le problème dont il est question dans le mouvement de démocratisation qui balaie les dictatures d’Afrique et du Moyen-orient est celui de l’émancipation politique des populations. Son enjeu consiste à repositionner la politique sur le service des intérêts des populations. Le cas d’école ivoirien offre l’occasion de leur conférer véritablement la souveraineté dans une démocratie parlementaire authentique qui leur permette de s’approprier ce gouvernement du peuple par le peuple afin de mettre effectivement les pouvoirs à leur service.
Dr Dieth Alexis
Vienne. Autriche
Les commentaires sont fermés.