Des partisans de Gbagbo torturés et tués à Abidjan (HUMAN RIGHTS WATCH)

Hiérachie militaire FRCI dans l'Ouest

Les représailles déchaînées commises par les forces pro-Ouattara ont déjà entaché la nouvelle présidence

(Dakar, le 2 juin 2011) – Les forces armées fidèles au Président Alassane Ouattara ont tué au moins 149 partisans réels ou supposés de l’ancien Président Laurent Gbagbo depuis leur prise de contrôle de la capitale commerciale, à la mi-avril 2011, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les miliciens pro-Gbagbo ont tué au moins 220 hommes dans les jours ayant immédiatement précédé et suivi l’arrestation de Gbagbo, le 11 avril, alors que le conflit de près de quatre mois touchait à sa fin.

Entre les 13 et 25 mai, Human Rights Watch a interrogé 132 victimes et témoins des violences perpétrées par les deux parties lors de la bataille d’Abidjan et dans les semaines suivant l’arrestation de Gbagbo. Les meurtres, les actes de torture et les traitements inhumains commis par les forces armées d’Ouattara ont continué alors qu’un chercheur de Human Rights Watch se trouvait à Abidjan, prenant clairement pour cible les groupes ethniques au cours d’actes de représailles et d’intimidation généralisés.

« L’espoir d’une ère nouvelle après l’investiture du président Ouattara va s’estomper rapidement à moins que ces horribles exactions contre les groupes pro-Gbagbo ne cessent immédiatement », a déclaré Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Le président a promis à maintes reprises des enquêtes et des poursuites crédibles et impartiales ; il est maintenant temps de tenir ces promesses. »

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Des soldats des Forces républicaines arrêtent deux miliciens présumés fidèles à l'ancien président Laurent Gbagbo dans le quartier de Riviera I, à Abidjan, Côte d'Ivoire, le 13 avril 2011. © 2011 AP Images

Les Forces républicaines de la Côte d’Ivoire (FRCI) de Ouattara ont tué au moins 95 personnes non armées à Abidjan au cours des opérations menées à la fin avril et en mai, quand elles ont bouclé et fouillé des zones auparavant contrôlées par les milices pro-Gbagbo, selon le constat de Human Rights Watch. La majorité des violations documentées ont eu lieu dans le bastion pro-Gbagbo de longue date de Yopougon, l’épicentre de la bataille finale à Abidjan. La plupart des meurtres ont été des exécutions à bout portant de jeunes issus de groupes ethniques généralement alignés avec Gbagbo, dans ce qui semblait être une punition collective pour la participation de ces groupes aux milices de Gbagbo.

Un homme a décrit comment des soldats des Forces républicaines ont tué son frère de 21 ans : « Deux d’entre eux ont attrapé ses jambes, deux autres lui tenaient les bras dans le dos, et un cinquième lui tenait la tête », a-t-il dit. « Puis un type a sorti un couteau et a tranché la gorge de mon frère. Il hurlait. J’ai vu ses jambes trembler une fois qu’ils lui ont tranché la gorge, le sang ruisselait. Pendant qu’ils le faisaient, ils ont dit qu’ils devaient éliminer tous les Patriotes qui avaient causé tous les problèmes dans le pays. »

Une autre femme qui a assisté le 8 mai au meurtre de 18 jeunes cachés à Yopougon a été brutalement violée par un soldat des Forces républicaines après avoir été contrainte de charger leurs véhicules avec des biens pillés. Le 23 mai, un homme âgé dans le même quartier a vu des éléments des Forces républicaines exécuter son fils, qu’ils accusaient d’être un membre des milices pro-Gbagbo.

Human Rights Watch a également documenté 54 exécutions extrajudiciaires dans des lieux de détention officiels et officieux, notamment les 16ème et 37ème postes de police de Yopougon et le bâtiment GESCO de pétrole et de gaz qui sert maintenant de base aux Forces républicaines. Le 15 mai, Human Rights Watch a observé un corps qui brûlait à moins de 30 mètres du poste de police du 16ème arrondissement. Plusieurs témoins ont raconté à Human Rights Watch le lendemain que c’était le corps d’un milicien capturé qui avait été exécuté dans l’enceinte du poste de police.

Un soldat des Forces républicaines a décrit l’exécution de 29 détenus au début de mai à l’extérieur de l’immeuble GESCO. Le soldat a déclaré que Chérif Ousmane, proche allié du Premier ministre Guillaume Soro et commandant de zone de longue date des Forces Nouvelles – le groupe rebelle de Soro qui constitue actuellement la majorité des Forces républicaines – à Bouaké, la capitale du nord, a donné l’ordre d’exécution. Deux autres témoins interrogés par Human Rights Watch ont déclaré avoir vu Chérif Ousmane dans un véhicule qui s’est débarrassé du corps torturé et exécuté d’un chef de milice notoire à Koweit, un sous-quartier de Yopougon, vers le 5 mai. Chérif Ousmane supervise les opérations des Forces républicaines à Yopougon.

Human Rights Watch a non seulement recueilli des informations sur des meurtres, mais aussi interrogé des jeunes hommes qui avaient été arrêtés par les Forces républicaines et ensuite libérés, et documenté la détention arbitraire et le traitement inhumain de bon nombre d’autres jeunes hommes – souvent arrêtés pour aucune autre raison apparente que leur âge et leur groupe ethnique. Presque tous les ex-détenus ont indiqué avoir été frappés à plusieurs reprises avec des crosses de fusils, des ceintures, des cordes et à coups de poing pour leur arracher des informations sur l’endroit où des armes étaient cachées ou pour les punir pour leur appartenance présumée aux Jeunes Patriotes, un groupe de miliciens pro-Gbagbo. Plusieurs ex-détenus ont fait état d’actes de torture, notamment l’arrachage de dents d’une victime et le placement d’un couteau brûlant sur une autre victime, la coupant ensuite.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement Ouattara à assurer immédiatement le traitement humain de toute personne détenue et à fournir un libre accès aux sites de détention pour les observateurs internationaux et la Division des droits humains de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI).

Les témoins ont souvent identifié les assassins ou les agresseurs en détention comme étant les Forces républicaines qui sont descendues sur Abidjan en provenance de leurs bases du nord, vêtus d’uniformes et de bottes militaires et arrivant souvent dans des véhicules marqués FRCI. Ces forces sont supervisées par Soro et le président Ouattara. De nombreux témoins et deux soldats qui avaient participé aux massacres ont déclaré que des commandants de rang moyen et supérieur avaient été présents à l’endroit même où certains meurtres ont eu lieu, ou à proximité.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement de Ouattara à mettre en congé administratif immédiat, dans l’attente d’une enquête, les commandants contre lesquels il existe des preuves crédibles d’implication, soit directement, soit par la responsabilité de commandement, de meurtres, de tortures ou d’autres exactions graves. Au minimum, cela devrait inclure Chérif Ousmane et Ousmane Coulibaly pour d’éventuelles exactions commises à Yopougon et le capitaine Eddy Médy pour son rôle dans la supervision de l’offensive de l’ouest qui a fait des centaines de morts parmi les civils.

Le retrait des milices pro-Gbagbo a également laissé une traînée sanglante au cours de la bataille finale pour Abidjan, a déclaré Human Rights Watch. Human Rights Watch a documenté plus de 220 meurtres perpétrés par des groupes de miliciens pro-Gbagbo dans les jours et heures avant d’être contraints d’abandonner Abidjan. Le jour après que les Forces républicaines ont capturé Gbagbo, ses milices se sont déchaînées dans plusieurs zones de Yopougon, tuant plus de 80 personnes originaires du nord de la Côte d’Ivoire et des pays voisins d’Afrique occidentale en raison de leur soutien présumé à Ouattara.

Un homme de 65 ans qui se trouvait là a raconté comment des miliciens avaient tué cinq de ses fils après avoir fait irruption dans sa résidence le 12 avril, le lendemain de l’arrestation de Gbagbo. Les corps ont été enterrés dans une petite fosse commune, faisant partie de 14 sites identifiés par Human Rights Watch rien qu’à Yopougon. Human Rights Watch a documenté sept cas de violences sexuelles perpétrées par des miliciens, en particulier à Yopougon, accompagnés souvent par l’exécution de l’époux de la victime.

Au moins 3 000 civils ont été tués lors de la crise postélectorale du fait de graves violations du droit international de la part des forces armées des deux bords, a indiqué Human Rights Watch.

Le 19 mai, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a fait connaître son intention d’ouvrir une enquête sur les crimes commis en Côte d’Ivoire. Une enquête de la CPI pourrait apporter une contribution importante à la lutte contre l’impunité, mais Human Rights Watch a aussi exhorté l’administration Ouattara à tenir des procès nationaux équitables afin de garantir la justice pour les victimes et d’encourager le respect pour l’État de droit dans le pays dévasté par le conflit.

Human Rights Watch a présenté ses conclusions au ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko, qui a promis de convoquer une réunion d’urgence avec le Premier Ministre Guillaume Soro et les principaux commandants des Forces républicaines. Il a également assuré que le gouvernement Ouattara ne protègerait pas les forces militaires et de sécurité contre des poursuites pour les crimes qu’elles avaient commis. Les engagements du ministre ont été un signe positif et devraient être tenus rapidement, a ajouté Human Rights Watch.

« Si le Président Ouattara veut sérieusement mettre un terme à cette décennie d’exactions, il devrait immédiatement suspendre les commandants responsables de ces terribles exactions et ouvrir des enquêtes sur eux », a conclu Corinne Dufka. « Les personnes des deux camps impliquées dans des crimes graves devraient être traduites en justice. »

L’intégralité de ce communiqué en anglais est disponible en cliquant ici.
La traduction complète en français sera prochainement mise en ligne sur cette page.

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