Annoncé pour mort aux premières heures de la capture de Laurent Gbagbo, Blé Goudé vient finalement de clore le chapitre sur sa prétendue capture et/ou mort par les forces pro-Ouattara par le biais d’une cassette audio adressée aux Ivoiriens. Quant au sort qui lui sera réservé par les autorités en place ou peut-être par la justice internationale, seul l’avenir nous le dira. Pour l’heure, revenons sur le discours de celui qui se faisait appeler le “Général de la rue” et qui aura, qu’on le veuille ou non, profondemment marqué voire traumatisé une grande partie de la population ivoirienne.
Tout d’abord sur la forme; Blé Goudé choisit de s’adresser aux Ivoiriens en utilisant les voies de communication classiques (dans son cas une cassette audio) emprûntées par les personnes hautement recherchées ou en danger de mort. Au délà de la nécessité de rassurer les Ivoiriens que c’est bien lui qui parle, d’où l’ enregistrement audio, cette manière de procéder cache une autre signification. En effet, Blé Goudé voudrait faire croire que là ou il se trouve, sa vie serait menacée d’où le manque d’indication sur le lieu de sa cachette. Aussi, pas même un mot de gratitude n’est prononcé à l’endroit des personnes qui l’auraient accueilli, blanchi, et nourri. Cet enregistrement, dont on ignore encore l’origine, me fait penser aux enregistrements vidéos que le tristement célèbre chef d’Alqaida faisait parvenir à la chaine Arabe- Al-jazhira pour montrer à ses partisans qu’il était bel et bien vivant et qu’ils se devaient de continuer le jihad au délà des attentats du 11 Septembre 2001. Cette manière de procéder confère à l’auteur du discours une certaine satisfaction, comme pour dire: “Je suis bien vivant et en sécurité. Là où je suis, personne ne pourra venir me demander des comptes”. En attendant, les derniers développements de la traque de Ben Laden nous ont prouvé le contraire.
Sur le fond; d’entrée de jeu, il annonce la couleur en se présentant comme un chef, un leader en quelques sortes. Le choix de la formule “mes chers compatriotes” en est le testament. Généralement, cette formule est réservée aux personnes dotées d’une haute autorité sur le peuple tel le président de la république. En effet, il est quasi rare d’entendre de ministres, des ambassadeurs ou même des parlementaires utiliser cette formule l’hors d’un discours officiel. En tordant consciemment (il utilise cette formule à 4 reprises dans son discours) le cou au protocole et aux civilités, Blé Goudé reste convaincu qu’il jouis encore, au même titre que le président Ouattara, de l’autorité suprême sur le peuple ivoirien ou du moins une partie du peuple. En effet, personne ne lui contestera cette aura puisque sous ses ordres des dizaines de milliers de jeunes Ivoiriens sont descendus dans les rues, armes et gourdins au point pour défendre le regime illégitime de Laurent Gbagbo contre l’offensive des forces Françaises et pro-Ouattara.
Par ailleurs, dans ce discours que je qualifierais de décousu et de mal articulé, l’on a du mal à reconnaître l’homme qui se présentait il n’y a pas très longtemps de cela, comme un dur, un champion des déclarations tonitruantes et aggressives envers tout ceux qui s’opposaient au regime de Laurent Gbagbo. Au contraire, on a entendu un Blé Goudé plutôt mou, hésitant, plus posé et lisant un discours mal ficellé, mal ponctué comme si quelqu’un l’obligeait à lire. Le “Je suis vivant” qu’il utlise de façon récurrente manque de nous convaincre sur l’état d’esprit guerrier auquel il a habitué les Ivoiriens et la communauté internationale. On sent une certaine tièdeur qui ne cadre pas avec la nature de l’individu. On aurait pu s’attendre à des formules plus vivaces comme: “ chers Ivoiriens, je suis vivant et bien vivant” ou bien “je suis vivant et en bonne santé physique et mentale” pour insister sur le fait qu’il ne fut point ébranlé par la tragique tournure des événements.
Toujours sur le fond, le discours de Blé Goudé est monté d’un dégré de narcissisme, d’égoisme et d’égocentrisme hallucinant. Aucun mot de compassion à l’endroit des nombreuses victimes qui sont tombées durant cette crise post-électorale. Dans ce discours long de 725 mots, les reférences aux pronoms personnel (je) et possessifs (moi, mon) au détriment de la collectivite- du peuple de Côte d’Ivoire sont choquantes. Il utilise ces pronoms exactement 43 fois alors que les allusions à la Côte d’Ivoire ne sont faites que 3 fois. Tout cela pour signifier qu’il se positionne d’hors et déjà au centre du débat. L’avenir de la Côte d’Ivoire, notamment les questions brûlantes de l’actualité comme la reconciliation, la formation du nouveau gouvernement, la sécurisation du pays sont donc relegués au second plan, à une date ultérieure: “En ce qui concerne les sujets qui engagent la vie et l’avenir de notre pays, la COTE D`IVOIRE, je me prononcerai prochainement” concluait-il. Vous avez dit narcissisme?! Blé ne se sent redevable de rien à l’égard des Ivoiriens. Raison pour laquelle, pas même un mot n’est dit sur les raisons qui l’ont poussé, lui le “tout-puissant Général de la rue” à abandonner ses troupes aux heures chaudes de l’offensive des forces pro-Ouattara et Françaises. Rien non plus n’est dit sur les raisons pour lesquelles il a lâchement sacrifié ces nombreux jeunes désoeuvrés à qui l’on a distribué des armes pour défendre le pouvoir de Laurent Gbagbo. Non, il est vivant et c’est tout ce qui compte pour l’instant; vous avez dit nombrilisme?!
Toutefois, même quand le pronom possessif “nous” est employé cela cache une certaine moquerie: “Nous subissons …..; nous sommes dépossédés de ….; nous continuons de subir……”. Il va même jusqu’à s’approprier la douleur des autres alors qu’il n’en est rien, puisque n’étant pas sur le territoire Ivoirien avec eux. Presenté sous cette forme, il veut faire croire à son auditoire que là où il se terre, lui aussi est victime du même sort que ceux qui sont restés au pays pour mener le combat de leur mentor Laurent Gbagbo jusqu’à la bataille finale. Vous avez dit imposture?!
Un autre point marquant de son message est l’affirmation de sa lucidité face à ce syndrome d’ allégeance et de »postophilie » dont certains de ses anciens collaborateurs se sont rendus coupables. Pour lui, Laurent Gbagbo demeurre le président élu de Côte d’Ivoire, faisant passé Ouattara pour l’imposteur. Par cette affirmation, Blé Goudé déclare à demi-mot que jamais il ne reconnaîtra Ouattara comme le nouveau président de la Côte d’ivoire peu importe ce que cela lui coûtera.
Dans son discours, on note aussi qu’il n’y a pas de message fort, pas d’appel à la résistance, à la révolution et/ou à la désobeissance civile, pas d’attaque directe contre la France, aucun appel à l’endroit de ses milices. Rien n’est dit pour leur remonter le moral et les inciter à percévérer dans le combat mais plutôt une timide dénonciation des exactions dont certains Ivoiriens seraient encore victimes. Vous conviendrez avec moi que cela est tout à fait inhabituel de la part de Blé Goudé. Là encore le ton employé laisse croire que l’individu a vraiment perdu de sa superbe.
La fin de son discours est emprunt d’une certaine ambiguité, notamment son appel à la solidarité. Il dit: “sachons rester dignes et solidaires”, mais omet de préciser de quoi il faudrait rester solidaire ou du moins de qui? Solidaire à la philosophie de LMP, à Laurent Gbagbo, à Simone Gbagbo, à Mamadou Coulibaly? Seule l’avenir nous le dira!
Gile Farese
gilefarese@yahoo.com
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