slateafrique.com – Pierre Cherruau
Plus peuplé et plus riche, le Nigeria incarne la toute puissance économique de l’Afrique de l’Ouest. Plus stable, le Sénégal attire entreprises et ONG. Avec les crises à répétition, la Côte d’Ivoire a perdu de son faste.
Alassane Ouattara intronisé le 21 mai 2011 Président à Yamoussoukro, c’est un peu la Côte d’Ivoire qui essaie de renouer avec son faste d’antan. Celui des années de règne de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance, le chef d’Etat qui a régné de 1960 à 1993, l’année de sa mort. Félix Houphouët-Boigny était originaire de Yamoussoukro, dans l’est de la Côte d’Ivoire, en pays baoulé.
Tout puissant, il avait fait de son village natal la capitale du pays. Allant jusqu’à y bâtir une basilique en pleine brousse, dont la taille concurrence celle de Saint-Pierre de Rome. Selon la légende, elle serait même plus grande. Mais la vérité aurait été tue pour ne pas offenser Jean Paul II. Félix Houphouët-Boigny était un fervent catholique.
Sous son règne, la Côte d’Ivoire était toute puissante en Afrique. Premier exportateur mondial de cacao, elle dominait économiquement l’Afrique de l’Ouest francophone. Des dizaines de milliers d’expatriés français contribuaient à faire tourner l’économie à plein régime.
Félix Houphouët-Boigny, inventeur et promoteur du concept de Françafrique, faisait la pluie et le beau temps en Afrique francophone. Ainsi, il goûtait très peu la personnalité «tempétueuse» de Thomas Sankara, le jeune dirigeant burkinabè. Il a sans doute donné son feu vert pour qu’il soit renversé en 1987.
Le dirigeant ivoirien avait une hantise: voir le Nigeria, la grande puissance anglophone d’Afrique de l’Ouest, supplanter son pays. Il considérait que le Nigeria était trop vaste: deux fois la superficie de la France. Et trop riche de son pétrole: le Nigeria est, avec l’Angola, le principal pays producteur de pétrole d’Afrique.
Avec l’aide de la France, il a donc soutenu la rébellion biafraise, le mouvement indépendantiste du Sud-est du Nigeria qui a tenté en vain de faire sécession. Ce conflit a fait près de trois millions de morts de 1967 à 1970. Au final, le Nigeria a conservé son intégrité territoriale.
Le Nigeria pèse plus que jamais
Le géant de l’Afrique peut se targuer d’avoir près de 160 millions d’habitants —un Africain sur cinq est Nigérian. Alors que la Côte d’Ivoire compte à peine 21 millions d’habitants. D’ici vingt ans, la population du Nigeria pourrait doubler, son économie pèse dix fois plus que celle de la Côte d’Ivoire avec un PIB de 370 milliards de dollars (environ 256 milliards d’euros) en 2010, contre 37 milliards de dollars pour sa rivale francophone.
Mais au-delà des chiffres, le Nigeria s’impose aussi sur le plan politique. Longtemps, il a été de bon ton en Afrique de moquer son incapacité à organiser des élections démocratiques. Lors de sa première visite sur le continent, en juillet 2009, le président américain Barack Obama avait boudé ce pays, préférant rendre visite au Ghana, qui a connu deux alternances démocratiques.
Mais depuis, l’image du Nigeria s’est améliorée. Jonathan Goodluck, le Président dont la cérémonie d’investiture a été organisée le 29 mai, offre un visage beaucoup plus avenant que ses prédécesseurs presque toujours issus des rangs de l’armée.
A commencer par le général Sani Abacha, au pouvoir de 1993 à 1998, qui faisait exécuter ses adversaires politiques. Lorsque Sani Abacha prononçait des discours, le dictateur aux lunettes noires donnait toujours l’impression troublante d’avoir le plus grand mal à comprendre le texte qu’il lisait.
Jonathan Goodluck, docteur en zoologie, n’a pas le côté rugueux des militaires nigérians. Il maîtrise à merveille les nouveaux moyens de communication. Sa candidature à l’élection présidentielle avait d’ailleurs été annoncée sur Facebook. Un peu comme une pop star, il s’est composé un look reconnaissable entre mille: avec son chapeau noir qui quitte rarement sa tête.
Jonathan Goodluck a réussi aussi à imposer une image ô combien rassurante! Celle de l’homme qui réussit uniquement parce qu’il a de la chance. Même si, en réalité, la politique nigériane est un «sport violent». Il ne suffit pas de s’appeler Goodluck pour survivre dans ce marigot: outre la chance, il faut sans doute avoir de puissants parrains pour y faire carrière. Mais quoi qu’il en soit, Goodluck a su imposer cette image d’Epinal. Et donner ainsi un visage plus avenant à son pays et à son personnel politique.
Autre embellie, la liberté de la presse a fait de grands progrès. Comme il semble loin le temps où les reporters étaient obligés de pratiquer le «journalisme de guérilla» sous le règne sanglant de Sani Abacha. A l’époque, ils se cachaient et organisaient leurs conférences de rédaction dans des mosquées ou des églises.
Goodluck a d’ailleurs joué un rôle majeur pour forcer Laurent Gbagbo à quitter le pouvoir. Outre-tombe, Félix Houpouët-Boigny doit avoir l’impression que ses pires cauchemars se réalisent. Son pays risque bel et bien de se retrouver dans l’ère d’influence du Nigeria. Si ce n’est déjà fait. Satellisée par le géant de l’Afrique, la Côte d’Ivoire peut-elle encore prétendre rivaliser avec le Nigeria? Rien n’est moins sûr. A moins qu’elle ne connaisse un redressement économique spectaculaire.
Le Sénégal s’impose en Afrique francophone
Même en Afrique francophone, la suprématie ivoirienne est de plus en plus contestée. Abidjan est-elle encore la vitrine économique de l’Afrique francophone, le «petit Paris» de l’Afrique? Dakar, la capitale sénégalaise, lui conteste de plus en plus sa suprématie. Dix années de crise ivoirienne ont persuadé nombre de grandes entreprises et d’ONG d’y déplacer leur siège régional. La flambée des prix de l’immobilier au Sénégal témoigne de ce changement d’époque.
Même dans le domaine politique, la crise ivoirienne a laissé des traces. Plusieurs pays d’Afrique francophone ont connu des alternances démocratiques sans coup férir. Il en a été ainsi du Sénégal, du Mali et du Bénin. Dans ces pays, la presse s’exprime le plus souvent librement. Elle peut se permettre de critiquer les régimes en place sans que les reporters ne craignent pour leur vie. En est-il de même en Côte d’Ivoire? Rien n’est moins sûr.
Sous la présidence de Laurent Gbagbo, des hommes de presse ont été assassinés. Le journaliste français Jean Hélène a été abattu en 2003 et Guy-André Kieffer a disparu à Abidjan en 2004. Aujourd’hui, selon Reporters sans frontières, des journalistes proches de l’opposition se cachent pour échapper à des représailles. La télévision d’Etat du nouveau régime se livre à une propagande assez peu sophistiquée.
Sous le règne de Laurent Gbagbo qui s’est achevé le 11 avril avec son arrestation, la Radio Télévision Ivoirienne (RTI) offrait un spectacle affligeant. De la propagande que l’on aurait cru tout droit sortie de Corée du Nord ou plus sûrement de la presse extrémiste de la France des années 1930. Les discours enfiévrés de Charles Blé Goudé auraient pu rappeler ceux des grands tribuns des «années brunes». Un peu comme si un Marcel Déat tropicalisé avait été exhumé, sorti de son formol. Comme si la Côte d’Ivoire avait emprunté la machine à remonter le temps.
Ou comme si le temps s’était figé en Côte d’Ivoire. Comme si ce pays n’arrivait plus à faire la course en tête. Comme s’il ne parvenait plus à suivre le rythme des autres pays du continent. Comme s’il avait renoncé —pour un temps— à être la locomotive de l’Afrique.
Pierre Cherruau
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