Interview Commandant Zanga (PK18): « Certaines personnes qui n’ont pas combattu sont en train de profiter »


Mettre à l’écart les combattants anti-Gbagbo est un danger permanent – L’Intelligent d’Abidjan

L’IA a rencontré le commandant Zanga qui a en charge le commissariat du 1er arrondissement au Plateau. Dans cette entrevue, il revient sur l’aboutissement de la lutte commencée depuis Abobo PK18, les motivations de ce combat et comment il entrevoit la suite du combat après la chute de Laurent Gbagbo.

Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs ?

Je suis Traoré Zanga, commandant du groupement guerrier pour la dignité et la justice en Côte d’Ivoire.

On vous retrouve dans les locaux du 1er arrondissement du Plateau, derrière le comptoir, on voit un policier et cinq militaires. Comment se fait la cohabitation avec la police ?

Il faut dire que c’est à la suite de durs combats contre les mercenaires et miliciens de Gbagbo que nous avons occupé ces locaux. Le président de la République ayant donné l’ordre aux différentes administrations de reprendre le service, et la police, maillon essentiel de cette reprise étant absente, nous FRCI avons occupé les locaux pour les rassurer afin de revenir travailler. C’est ce qui a permis le retour du commissaire. Elle avait certes peur mais on l’a rassurée en lui disant que nous sommes là pour la même cause et qu’elle fasse appel aux autres agents et nous travaillons depuis ensemble. Pendant qu’elle s’occupe de l’administratif, nous nous occupons des vols. Quand une plainte est déposée, immédiatement nous interpellons les individus concernés afin de les conduire devant le lieutenant de service pour établir les PV (procès-verbaux). La cohabitation est en de bons termes.

Rassurez-vous que les populations sont satisfaites de votre collaboration et que les plaintes par-ci et par-là ont un dénouement heureux avec vous ?

Oui ! Je pense que la population est satisfaite parce qu’au Plateau, avant la reprise de l’administration, la population était stressée, la commune était déserte. Mais ça va maintenant et notre passage ici n’est qu’un tremplin. Avec la stabilisation et quand le président de la République le souhaitera, nous rentrerons en caserne…

Mais le président de la République a lancé un appel, il y a de cela 1 mois, vous invitant à rejoindre les casernes…

Effectivement, cet appel a été suivi. Certains sont rentrés en caserne mais vous savez que tout le monde ne peut avoir accès aux casernes étant donné que les velléités de guerre demeurent. Et nous avons des check-points spécifiques et nous veillons à ces check-points. De plus, nous recevons des appels nous invitant à rester car tout le monde n’est pas encore rassuré.

Bien qu’on vous appelle à rester, les exactions continuent toujours, causant des dégâts. On voit des hommes en tenue FRCI continuer les pillages, cela apeure les populations. Est-ce que vous en êtes conscients ?

Nous sommes conscients de ce fait. Vous savez, dans tous les groupes, il y a des éléments incontrôlés. Nous travaillons d’arrache-pied dans ce sens pour que les uns et les autres sachent qu’aujourd’hui, nous sommes dans un climat apaisé et il faut savoir collaborer avec tout le monde. Il faut arrêter la chasse aux sorcières et nous passons ce message tous les jours afin que les uns et les autres reviennent à la raison. Il faut dire qu’il y a des personnes qui ont subi pas mal de préjudices durant la crise, soit par les voisins soit par des collègues. Prenons l’exemple de la PJ (Police Judiciaire) malgré l’appel du président de la République, la reprise est toujours difficile parce que certains policiers passaient chez leurs collègues pour les menacer. Avec les escadrons de la mort.

Est-ce que tous les agents ont repris au commissariat du 1er arrondissement ?

Non ! Tous les agents n’ont pas repris. Il n’y a que 30% de l’effectif qui travaille. Je ne sais pas pourquoi les autres n’ont pas encore repris. Moi, je suis ici avec 25 éléments.

En occupant le 1er arrondissement, est-ce à dire que vous êtes de ceux qui ont fait tomber la commune du Plateau ? Autrement dit comment vous y êtes-vous retrouvés ?

Dans la stratégie d’attaque, un groupe devait progresser vers Williamsville et un autre vers le Plateau avec le commandant Chérif. Comme le commissariat est un poste stratégique, après la conquête du Plateau, on a trouvé utile de poster des agents ici et c’est ainsi que nous sommes restés.

Venez-vous de Bouaké ou bien étiez-vous présents à Abidjan et à quel moment avez-vous intégré les FRCI ?

Intégrer les FRCI ? Nous n’étions pas dans les Forces nouvelles. C’est la crise postélectorale qui nous a motivés. Nous savions qu’avec l’entêtement de Gbagbo, il fallait prendre des dispositions. Nous avons commencé depuis Abobo PK18, combattu corps à corps de façon très progressive à Abobo PK18 ensuite Avocatier et Abobo gare Samaké où on a détruit des chars et ainsi de suite jusqu’à aujourd’hui.

Donc vous faites partie du commando invisible ?

Commando invisible, c’est une invention des journalistes parce que personne ne savait qui combattait. Moi, j’ai lancé le groupement guerrier de la dignité et de la justice, avec pour leitmotiv la dignité et la justice.

Revenons à Abobo après la chute de Laurent Gbagbo, on constate que la victoire a plusieurs pères. Aujourd’hui quel état des lieux faites-vous à votre niveau ?

Effectivement, comme vous le dites, la victoire à plusieurs pères et il y a des usurpateurs qui sont là pour s’approprier la victoire des autres. Aujourd’hui, les pères de cette victoire sont là, ils sont entre autres moi-même Traoré Zanga à PK18, Coulibaly Sindou à Abobo derrière les rails avec Sangaré Foussenou; en évoluant vers Adjamé, il y a Coulibaly Ibrahim t Ouattara Lassina dit « le barbu » et Abass. Voilà ceux qui ont combattu et qui continuent jusqu’à maintenant.

Avez-vous des liens avec IB ?

Non, pas du tout. Je ne le connais même pas… Je ne l’ai jamais vu d’ailleurs.

Donc vous étiez des civils qui ont pris les armes pour faire partir l’ancien président ?
Oui !

Mais aujourd’hui avec les différents bruits appelant à mettre de l’ordre à votre niveau, vous qui avez combattu depuis Abobo comment se fait l’identification des ex-combattants à votre niveau ?
Il faut dire que l’identification se passe dans le désordre parce qu’il y a eu vice de procédure dans la mesure où les initiateurs de l’offensive sont là. Ils savent avec qui ils ont commencé et progressé. Si l’identification concerne ceux d’Abidjan en priorité, il aurait fallu qu’on contacte les initiateurs mais ce n’est pas le cas.

Donc jusqu’à présent vos éléments n’ont pas encore été identifiés ?

Justement alors qu’ils sont postés au Palais, à Azito et à la base navale ainsi qu’au quai à pinasses.

Avez-vous des contacts avec les chefs de groupements tactiques dont Chérif, Wattao et Zakaria ?

Bien sûr, j’ai de bons rapports avec Wattao de même que Chérif avec qui j’ai effectué la progression. Nous sommes ende bons termes. Et même s’ils nous rassurent, il faut dire que les soldats sont quand même impatients étant donné que l’opération se déroulait au Plateau elle s’est déplacée vers Abobo alors que tous les éléments ne se sont pas encore fait enrôler.

Depuis le 11 Avril jusqu’à maintenant ça fait plus d’un mois que Laurent Gbagbo est parti; vos éléments, comment font-ils pour vivre ?
Vous parlez du 11 Avril mais le combat remonte depuis le second tour de l’élection présidentielle mais jusqu’à aujourd’hui on n’a reçu aucune ration alimentaire de qui que
ce soit encore moins de l’aide médicale. C’est moi qui soigne les blessés et qui les nourris…

D’où tirez-vous les ressources, êtes-vous parrainé ?

Parrainé ? C’est trop dire parce que beaucoup de personnes qui se reconnaissent en notre cause nous viennent en aide. Il y a aussi des grands frères dont M. Berté appelé « cerveau » et M. Koné qui se décarcassent avec le peu de moyens qu’ils ont pour nous aider…

A vous entendre on ressent de la frustration dans vos propos…

Frustré ? Pas vraiment car on ne devait pas être payé. Il n’y a pas eu d’engagement préalable avec quiconque, mais nous demandons un minimum de reconnaissance…

Qu’attendez-vous concrètement ?

Concrètement, je pense que le pays est dirigé. Le pays a des autorités et je pense que tout ce qui a été fait ne l’a pas été à leur insu. Donc ils doivent nous faire appel pour nous féliciter et après on pourra discuter des autres paramètres…

De l’argent ou de quoi parlez-vous ?

Pas forcément de l’argent, car moi je ne suis pas préoccupé par l’argent sinon j’aurai abandonné la lutte depuis longtemps. Nous avons fait quelque chose de grand qui mérite reconnaissance.

Qui doit vous remercier, la voix la plus autorisée c’est le Président de la République or il est très occupé pour le moment…

Nous pouvons être recrutés dans les corps armés comme la police, la gendarmerie, la marine et autres… En fait, je parle de réinsertion. C’est tout à fait normal et justifié parce que des personnes qui ont décidé de prendre des armes pour chasser Laurent Gbagbo avec tous les risques, je pense qu’il faut respecter ces personnes-là qui ont bravé les armes lourdes de Gbagbo et cela sans ration alimentaire. Je crois qu’on doit les considérer. L’armée c’est la volonté et ces personnes ont la volonté et ils ne sont pas à négliger dans la prochaine armée. Ce sont aussi des pères de familles…

Doit-on tous les intégrer dans l’armée ?

Pas forcément dans l’armée, mais ceux qui voudraient et rempliraient les conditions… Nous sommes conscients que tout le monde ne peut entrer dans l’armée.

Avez-vous approché les chefs de groupements tactiques pour faire des doléances ?

Le commandant Chérif ne peut pas décider du sort des combattants d’Abidjan, il n’a pas lancé d’appel pour les populations d’Abidjan. Il n’est pas redevable des combattants. Bien sûr que nous les approchons mais nous parlons de stratégies de combat, mais quant à notre sort, ils ne peuvent pas décider.

A vous entendre, il faut intégrer vos combattants qui sont aptes dans l’armée mais le Président de la République a rappelé que l’accord politique de Ouagadougou (APO) qui réunifie les 2 armées a quand même un nombre défini de chaque camp qui était arrêté. Vous qui aviez combattu depuis Abobo, il est clair que vous ne serez pas pris en compte dans ces effectifs, en avez-vous conscience ?
Mais que dire des accords préalables ? Les forces de défense et de sécurité (FDS) qui étaient censées protéger la population ivoirienne, si elles-mêmes deviennent les fossoyeurs de cette population eh bien, je pense qu’elles n’ont pas de raison d’être…

Donc pour vous on doit mettre à l’écart les FDS ?

Ce n’est pas ce que je dis. Parmi les FDS, il y a certains loyalistes qui ont défendu la cause républicaine donc il n’y a pas lieu de les laisser tomber. Mais comment comprendre que des défenseurs de la nation ivoirienne tirent à bout portant sur des femmes qui marchent, je prends l’exemple d’Abobo.

Pour vous, les FDS qui ont soutenu le régime de Laurent Gbagbo doivent être mises à l’écart ?

Je ne peux pas dire de les mettre à l’écart et je pense que le décideur va apprécier et on verra. Ce que je dis est que les jeunes gens qui ont les armes, qui ont combattu jusqu’à ce que Laurent Gbagbo parte sont à respecter et on doit prêter une oreille attentive à leurs revendications… parce qu’ils n’ont rien reçu de personne. C’est un détail très important. Ils se sont dotés eux-mêmes en armement sur le terrain. C’est après chaque bombardement qu’ils se sont dotés en armes, c’est comme cela qu’ils ont appris le maniement des armes et les mettre à l’écart serait un danger permanent pour la nation ivoirienne.

Revenons à l’APO, à vous entendre les FDS étant les fossoyeurs de la population ivoirienne voulez-vous dire que c’est vous qui protégiez plutôt les populations quand elles étaient confrontées aux difficultés face aux FDS ?

Lorsque nous combattions à Abobo, ce n’était pas d’abord les mercenaires. Nous combattions les FDS et les jeunes pro-Gbagbo, ce n’était pas les mercenaires. Le capitaine Assi du camp commando (d’Abobo) qui est tombé à N’Dotré, il fait partie des FDS et ils sont nombreux… C’est bien des FDS qu’on combattait et elles défendaient le régime de Gbagbo dans l’illégalité. C’est pour cela que notre leitmotiv est la dignité et la justice et cette justice a instauré l’Etat de droit.

Avez-vous l’impression que certaines personnes qui n’ont pas combattu, selon vous, sont en train de profiter de la situation?

Oui, certaines personnes qui n’ont pas combattu sont en train de profiter parce qu’il y a des informations qui circulent et certains de mes collègues m’ont fait savoir qu’il y a du riz qui va à Abobo et les gens se le partagent. Mon interlocuteur qui est un collègue était tellement indigné qu’il n’arrivait pas à comprendre que ceux qui ont combattu n’en soient pas les bénéficiaires. Il est même allé proférer des menaces…

Qui est à la base des ces magouilles ?

Je ne saurai dire qui est à la base de ces magouilles. Mais, je suis persuadé que cela a lieu. La preuve, mon collègue a témoigné…

Avez-vous un appel à lancer?

Effectivement, je pense que nous sommes dans un climat apaisé. Le combat que nous avons mené à Abidjan, n’est pas passé sous silence. Tout le monde sait qu’au jour d’aujourd’hui, il y a quelque chose qui a été fait depuis Abobo PK18. Que les autorités compétentes essaient d’entendre les vrais auteurs de ce combat et je pense que ça va apaiser les esprits des uns et des autres et ça peut nous faire éviter le pire demain. Quant à l’encasernement des jeunes, c’est nous qui les connaissons mieux que quiconque. Et quant à leur désarmement, c’est nous qui pouvons le faire objectivement. Je pense qu’il y a vraiment lieu de s’entendre et de voir comment gérer la situation parce qu’en fait, concernant le désarmement des jeunes gens ils ont besoin d’entendre quelque chose, ils veulent entendre quelque chose, qu’est-ce qu’ils deviennent, qu’est-ce que je gagne après 3 mois de combat. Comme dans l’armée, c’est la hiérarchie qui compte, ils écoutent mais au moment où la hiérarchie ne réagira pas, il pourrait avoir des débordements. Donc il est préférable d’anticiper sur les choses.

Réalisée par Huberson Digbeu, Coll : Franck O.

L’Intelligent d’Abidjan

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