Côte d’Ivoire / Après la prestation de serment et l’investiture
Alassane Ouattara face aux exigences de la Constitution ivoirienne
Cela fait, presque, six mois aujourd’hui qu’Alassane Ouattara a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, mais un peu moins de deux mois que le Président élu détient l’effectivité des rênes du pouvoir après le départ forcé de Laurent Gbagbo le 11 avril dernier. Après la prestation de serment et la cérémonie d’investiture, le Président de la République devra faire face aux autres exigences de la Constitution en vue d’exprimer son attachement aux valeurs démocratiques et s’engager à promouvoir l’Etat de droit, l’intégrité régionale, le respect et la protection des libertés, la séparation et l’équilibre des pouvoirs dans l’affirmation de la transparence de la conduite des affaires de l’Etat. Tout un programme.
Le Président de la République, Alassane Ouattara à conscience du respect de la loi fondamentale que les Ivoiriens se sont librement et solennellement donné par référendum le 23 juillet 2000, malgré des réserves soulevées par son parti, le Rassemblement des Républicains, quant à sa résolution et à son adoption. Le Président Alassane Ouattara, lors de sa prestation de serment, a juré « respecter la constitution ». Ayant pris la pleine mesure que ce respect ne se limite pas seulement à une cérémonie de prestation de serment et d’investiture, le Président devra se résoudre à prendre véritablement les choses en main d’autant plus qu’il déclare être attaché à la légalité constitutionnelle. Ce qui suppose la prise en compte immédiate des chantiers dont la mise en route urge.
La protection
des personnes et des biens
La constitution ivoirienne dans son préambule déclare le respect et la protection des libertés fondamentales et en son article 2 stipule que « la personne humaine est sacrée ». Malheureusement, les derniers évènements montrent clairement que le pays a poussé l’outrecuidance dans la bêtise humaine. Des exactions sur les populations civiles et les massacres organisés ont fait plus de 5000 morts, selon les chiffres de certaines organisations internationales de droits de l’Homme. Plus grave, des charniers ont été découverts à travers les communes de Yopougon, d’Abobo, les villes de Guiglo, Duékoué pour ne citer que celles-là. Un crime contre l’humanité qui ne restera pas impuni, à en croire le Chef de l’Etat. Il lui appartiendra de garantir la protection de tous et de rassurer le peuple ivoirien qui vit toujours dans la hantise de la crise postélectorale. D’autant plus que les droits de la personne humaine sont inviolables, les autorités publiques ont l’obligation, au regard de la loi, d’en assurer le respect de leur dignité. Et le peuple souverain de Côte d’Ivoire pourra s’en réjouir dans la mesure où le Président de la République a saisi le Procureur de la République, près du Tribunal de première instance du Plateau et le procureur militaire de toutes les questions d’exactions et de tueries. Aussi, apprend-on qu’une commission d’enquête est mise sur pied pour faire la lumière sur ces tragédies. Souhaitons tout simplement que le Président veillera personnellement sur les travaux de cette commission pour ne pas que les conclusions qui en résultaient, comme ce fut par le passé, ne soient rangées dans les placards.
Le développement pour tous et le plein épanouissement pour chacun
Une fois la question de la sécurité réglée, cap devra être mis sur le bien-être des citoyens qui, pendant plus d’une décennie, ont souffert de la pauvreté, de la maladie et d’un cadre de vie dégradant. Alassane Ouattara a promis un développement en 5 ans. La constitution impose à tout détenteur du pouvoir exécutif de promouvoir un développement harmonieux à ses concitoyens, de leur assurer un égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi. L’État a le devoir de sauvegarder et de promouvoir les valeurs nationales de civilisation ainsi que les traditions culturelles non contraires à la loi et aux bonnes mœurs. C’est à juste titre que le Président de la République dans son discours d’après investiture a préconisé le retour de l’enseignement de l’éducation civile dans nos écoles.
Le chantier de la liberté de pensée et d’expression
En son article 9, la Constitution ivoirienne proclame la liberté de pensée et d’expression, notamment la liberté de conscience, d’opinion religieuse ou philosophique comme des garanties à tous, sous la réserve du respect de la loi, des droits d’autrui, de la sécurité nationale et de l’ordre public. Toujours, selon la Constitution, chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement ses idées. Mais, comme l’avait prévenu le ministre de l’Intérieur en charge du ministère de la Communication par intérim, Hamed Bakayoko, les libertés ont des limites. Dans la mesure où toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale ou religieuse est interdite. C’est sur ce chantier que les nouvelles autorités voudraient faire appel à la responsabilité des hommes de médias. Ce n’est pas tout. Il reste à savoir si les libertés de réunion et de manifestation sont garanties par la loi. Quand on sait combien de fois les manifestations de l’opposition d’alors ont été violement réprimées par l’ex-régime de Laurent Gbagbo. Sous l’ère Ouattara, les Partis et Groupements politiques seront-ils soumis aux mêmes obligations et traités sur le même pied d’égalité?
De l’affirmation de la laïcité de l’état et de la souveraineté du peuple
La Côte d’Ivoire défigurée par les crises socio-politiques et profondément divisée pourra-t-elle rebondir et se rassembler comme l’a indiqué le thème de la cérémonie d’investiture du Président de la République ? Il n’y a pas d’autre choix. La République de Côte d’Ivoire est une et indivisible, laïque, démocratique et sociale. Alassane Ouattara qui s’est engagé à recréer un nouveau cadre de vie doit assurer à tous l’égalité devant la loi, sans distinction d’origine, de race, d’ethnie, de sexe et de religion. Cette volonté politique qui avait manqué à l’ancienne équipe dirigeante devrait animer les nouveaux acteurs de l’Exécutif. Cela suppose le respect de toutes les croyances tout en mettant fin aux actes d’instrumentalisation et de manipulation. Aussi, faudrait-il que cesse tout abus de pouvoir et que nous devions revenir au principe de gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Et le peuple de Côte d’Ivoire qui s’est battu pour faire respecter son verdict des urnes attend du Président Alassane Ouattara de lui garantir l’exercice de sa souveraineté.
Alassane Ouattara envisage-t-il déjà un deuxième mandat ?
A peine installé dans le fauteuil présidentiel que les langues se délient déjà sur l’éventuelle candidature du Président de la République à l’élection présidentielle de 2015. Sera-t-il candidat ou va-t-il s’éclipser après un seul mandat ? Telles sont les interrogations qui alimentent les causeries. Pour le Président de la République, les chantiers qui l’attendent sont tellement vastes qu’il n’a pas le temps de penser à un tel projet, qui selon l’un de ses conseillers, ne repose que sur du virtuel. Constitutionnellement, rien ne pourra empêcher Alassane Ouattara dans cinq ans de vouloir être candidat à sa propre succession. Ce qui est certain et su de tous, c’est qu’il a promis un mandat de cinq ans aux Ivoiriens. « Donnez-moi cinq, je vais vous donner un beau pays», avait-il déclaré. A l’analyse de cet appel auquel il a reçu une réponse positive de son élection, il appartiendra, sans doute, aux électeurs de décider de renouveler leur confiance ou pas. En vérité, Alassane Ouattara met son sort entre les mains du peuple qui l’a voté à plus de 54 % en 2005.
La nouvelle armée, un défi majeur
Le Président de la République est le Chef suprême des Armées. Mais de quelle armée s’agit-il dans ce contexte actuel ? Alassane Ouattara qui connaît bien ce dossier a pris le 17 mars 2011 une ordonnance pour crée les Forces Républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Cette nouvelle armée qui regroupera les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) et les Forces Armées des Forces Nouvelles (FAFN) devra avoir un seul commandement. C’est ce à quoi le Premier ministre, ministre de la Défense et le Chef de l’Etat s’attèlent pour mettre fin à un bicéphalisme au sommet de l’armée.
Patrice Pohé
Encadré 1
M. le Président, déclarez vos biens !
Alassane Ouattara, internationalement reconnu pour avoir servi à des hautes responsabilités au sein des institutions nationales et internationales avait déclaré au cours de sa campagne électorale qu’il était candidat pour mettre au service de sa nation, sa probité morale et intellectuelle, ses relations dans le monde des investisseurs, sa connaissance dans la conduite des affaires de l’Etat et sa détermination à sortir la Côte d’Ivoire du gouffre. Maintenant qu’il est élu et qu’il dispose en ce moment de tous les pouvoirs légitimes après le vent de folie d’un contentieux électoral, le Président de la République, conformément à la loi fondamentale, devra présenter ses biens au peuple souverain de Côte d’Ivoire qui énonce en son article 35 «qu’il doit déclarer son patrimoine et en justifier l’origine». Outre les obligations d’un bien-être physique et mental dûment constaté par un collège de trois médecins désignés par le Conseil Constitutionnel sur une liste de l’Ordre de Médecins, le Président de la République lors de son entrée en fonction, et à la fin de celle-ci, selon l’article 55, «est tenu de produire une déclaration authentique de son patrimoine devant la Cour des Comptes». La rigueur est de mise dans l’exercice de cette fonction si on s’en tient à la suite de cet article qui tranche clairement que « durant l’exercice de ses fonctions, le Président de la République ne peut, par lui-même, ni par personne interposée, rien acquérir ou louer qui appartienne au domaine de l’État et des Collectivités publiques, sauf autorisation préalable de la Cour des Comptes dans les conditions fixées par la loi». Pour une première fois dans l’histoire de notre pays, Alassane Ouattara brisera-t-il ce mystère de la fortune cachée des chefs d’Etat ? Où bien se refusera-t-il à se prêter à cette exigence de la loi fondamentale surtout qu’elle ne lui est pas opposée dès le départ du fait du caractère exceptionnel de cette élection présidentielle ? Alassane Ouattara pourrait bien surprendre et confondre tous ses détracteurs en déclarant ses biens. Peut-être que ceux qui n’ont pas encore l’idée de cette immense fortune qu’il possède se convaincront d’eux-mêmes qu’Alassane Ouattara, comme aiment à le dire ses partisans, n’a pas cherché à avoir le pouvoir pour se faire de l’argent. Ce geste fort une fois accompli par le Président de la République, devrait dans les années à venir, être valable pour les ministres et chefs d’institutions qui gagneraient eux aussi à déclarer leurs biens. Ce qui suppose un amendement de la Constitution concernant la déclaration des biens des hauts fonctionnaires de l’Etat.
P.P
Encadré 2
Alassane Ouattara démissionne du RDR ?
Une fois investi des pleins pouvoirs de Président de la République, Alassane Ouattara ne peut, en aucun cas, assumer les fonctions de Chef de parti politique. Il y a incompatibilité entre les deux fonctions et elles ne peuvent être cumulatives. Dans la Constitution en son article 54, «les fonctions de Président de la République sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, de tout emploi public, de toute activité professionnelle et de toute fonction de dirigeant de Parti Politique ». Du coup, le feu de la guerre des héritiers pour accéder à la présidence du RDR couve sous la cendre. Même si pour le moment personne n’ose se prononcer ouvertement sur une éventuelle candidature, il est fort probable de voir se dessiner à l’horizon le choc des ambitions. Le cercle très fermé des très proches volera-t-il en éclat pour mettre à mal la cohésion du parti qui ne s’est pas encore remis de ses blessures malgré l’accession de son premier Président à la magistrature suprême? D’un côté, les caciques des premières heures presque fatigués par le poids de l’âge et de l’autre côté les Alassanistes purs et durs qui ne sont pas prêts à laisser le parti aux mains de celui qui n’a pas démontré sa longévité dans le combat et sa loyauté envers le Président sortant. En attendant que les potentiels candidats se déclarent, le Président Alassane Ouattara, lui, pense à son départ à la tête de son parti avec lequel il a partagé de grands souvenirs depuis près de 18 ans.
P. Pohé
Les commentaires sont fermés.