La normalisation se poursuit en Côte d’Ivoire dans tous les domaines. La vie économique bat son plein. Les supermarchés, les stations services, les hôpitaux, les écoles et les services administratifs fonctionnent. La presse paraît. Même si Notre Voie n’a pas encore accès à ses comptes en banque pour payer ses frais, salaires et charges, même si le journal travaille encore des conditions difficiles, dans une sorte de semi clandestinité, identique au sort réservé par le camp Gbagbo, à la presse qui refusait d’accompagner le hold-up électoral du 28 Novembre 2010, le quotidien du FPI est présent sur le marché depuis une semaine. Ses animateurs ne sont pas inquiétés par l’Etat. Le Conseil national de la presse n’est pas à ses trousses, alors que pour le moment, Notre Voie est sans bureau fixe et connu, parce que ses locaux restent encore occupés par des forces armées. Un journal SDF est un journal interdit par la loi. Cependant au nom de la pluralité, et parce que la Refondation, la société éditrice de Notre Voie est légalement et régulièrement constituée, est connue et référencée aussi bien en Côte d’Ivoire que dans le monde, l’imprimeur et le distributeur de Notre Voie ne sont nullement inquiétés par le CNP, ni par les autorités gouvernementales. Il faut saluer et soutenir l’audace et la détermination de nos confrères, tout en souhaitant que leur motivation essentielle soit le triomphe des vraies valeurs du journalisme, de la pluralité et de la liberté de la presse et non la lutte politique politicienne et partisane. Les journalistes de Notre Voie, ont bien vu que le FPI n’a pas attendu que son journal sorte, pour chercher à se reconstituer. Les journalistes ont bien vu que les dirigeants ne les ont pas cherchés pour les accompagner en exil. Chacun s’est cherché. Chacun a sauvé sa tête et sa vie ! Le temps est désormais arrivé de prendre toutes les dispositions pour que notre confrère puisse regagner ses locaux dans les plus brefs délais. Toutefois, faisons cette observation : dans la médiasphère ivoirienne Notre Voie est un quotidien à part. Il est le seul contrôlé directement par un parti politique. Cela est une survivance de la lutte pour le multipartisme et la démocratie. Notre Voie est et reste le journal du FPI. Pour le meilleur comme pour le pire ! Le Patriote n’est pas le journal du RDR. C’est le journal d’un promoteur proche de Ouattara, qui s’est mis au service de la lutte contre l’exclusion et pour l’égalité entre les Ivoiriens. Le Nouveau Réveil n’est pas le journal du PDCI. Mais celui d’un promoteur qui croit en Bédié et s’est mis au service du vieux parti. Le Temps n’était pas le journal du FPI, ni de Gbagbo, mais celui de promoteurs proches de Laurent Gbagbo. Pareil pour le Nouveau Courrier, le Quotidien. Notre Voie continue d’assumer son histoire. Ce qui fait à la fois sa force et son handicap. La normalisation en cours dans la presse touche également la vie politique, ou plutôt la vie des partis politiques. L’absence du FPI avait fait craindre le retour à la pensée unique et au parti unique. Le gouvernement avait souhaité, sans le dire, que tout le monde attende la cérémonie d’investiture pour que tout se normalise. Au-delà de la fête, le 21 Mai 2011 devait marquer la dernière étape de prise du pouvoir par Alassane Ouattara. Mais quelques observateurs avaient redouté une volonté de réduire à néant le FPI et toute opposition démocratique, ou à défaut, de retarder un retour à une vie démocratique et constitutionnelle normale. Les réunions du FPI, du CNRD et les prises de position de Mamadou Koulibaly sont éloquentes pour dire que la vie politique reprend peu à peu ses droits. Bien entendu, on n’a pas besoin de féliciter un gouvernement pour cela. Puisque son devoir est justement de garantir les libertés. Cela dit, le caractère démocratique et non dictatorial du régime Ouattara doit-il se mesurer au fait que Laurent Gbagbo et certains responsables du FPI ne sont pas libres ? Si tel est le cas, les nouveaux censeurs ne doivent pas oublier que ce ne sont tous les dirigeants du FPI qui sont privés de liberté. Dans une dictature, Mamadou Koulibaly, Miaka Ouretto et les autres ne garderaient pas la liberté de ton, qui est la leur. La question essentielle est la suivante : quel débat, quel dialogue peut-on faire avec des acteurs politiques qui ne reconnaissent pas la victoire légitime, l’autorité d’Alassane Ouattara. Jusqu’à ce que la ligne Koulibaly l’emporte sur celle d’Affi Nguessan, le FPI a eu bien du mal à admettre que le nouveau président des Ivoiriens est Alassane Ouattara ; et qu’il doit d’abord sa victoire à la volonté exprimée par les Ivoiriens le 28 Novembre dernier. Ce préalable admis, tout est alors négociable ! Laurent Gbagbo, Simone Gbagbo, Sangaré Aboudrahamane semblent penser que le satut de prisonnier politique peut leur conférer l’impunité ; et que le soutien de leur parti politique peut leur éviter des poursuites. La meilleure stratégie ne consiste-t-elle pas à dissocier leur sort du sort du FPI et de celui de la Nation ivoirienne ? Le FPI attendra-t-il un an, deux ans, ou plus, sans faire son autocritique, ni reconnaître sa part de responsabilités dans ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire ? Certes les rapports de l’ONU, d’Amnesty international et d’Human Rights Watch pointent du doigt aussi bien les camps Gbagbo et Ouattara pour des violations massives des droits de l’Homme. Mais avant la bataille armée pour chasser Laurent Gbagbo, avant que les forces républicaines ne se mettent en marche, on comptait déjà en Côte d’Ivoire plus ou près de 1000 morts causés par les balles et les milices du camp Gbagbo. Il ne faut pas oublier cela! Laurent Gbagbo était à la tête d’un Etat ‘’coupé’’ certes en deux mais un Etat relativisé, structuré (et debout selon ses propres propos), avec des FDS formées pour sécuriser la population, et rompues aux questions de droit. En face, il y avait des soldats de fortune déterminés à mettre fin aux exactions des FDS qui avaient failli à leurs missions, et qui étaient aidés par des miliciens ainsi que par une population civile instrumentalisée et fanatisée par des médias publics et privés. Aucune victoire n’est éternelle ; aucune défaite n’est éternelle ; a dit Laurent Akoun dans les colonnes de Nord Sud quotidien. Le Secrétaire général adjoint du FPI invitait le RHDP à avoir une attitude que son camp n’a pas eue hier quand il était au pouvoir. Laurent Akoun invitait ainsi Alassane Ouattara à penser à demain. Il a raison. Le meilleur moyen de garantir la paix demain consiste à faire en sorte que les tenants du régime actuel comprennent que s’ils font comme Laurent Gbagbo, ils seront poursuivis eux aussi un jour, tôt ou tard. Un procès de Laurent Gbagbo ouvre la voie à un procès de Guillaume Soro, d’Alassane Ouattra demain, pour les abus et exactions qu’ils auraient commis ou fait commettre. Cela doit se faire dans un cadre démocratique et républicain. Il est possible de plaider le pardon pour Laurent Gbagbo. Il est également possible de s’interroger sur le sens moral, l’impact politique, social et philosophique de la sanction. Il est possible de dire que la plus grande sanction de Laurent Gbagbo, c’est la réprobation actuelle, c’est la chute actuelle, la déchéance en cours et la perte du pouvoir, et qu’il ne faut pas en rajouter, en appliquant une sorte de double peine.Mais il n’est pas acceptable de plaider l’impunité pour Laurent Gbagbo qui, jusqu’à présent, donne le sentiment de n’avoir rien fait de mal, d’avoir agi dans le juste et de n’avoir rien, vraiment rien à se reprocher. Sauver la Côte d’Ivoire, mettre la Côte d’Ivoire à l’abri d’une nouvelle dérive du pouvoir, mettre le pays à l’abri d’une nouvelle folie meurtrière de la part des hommes de Ouattara ou plus tard de la part de futurs gouvernants ivoiriens, exige que Laurent Gbagbo réponde devant les tribunaux de ses actes. Qui sait si l’ancien président sera innocenté ? En attendant d’en savoir un peu plus dans les semaines à venir, il y a lieu de saluer et saisir le sens du retour du FPI dans le débat politique, de saluer le retour du quotidien du FPI dans l’espace médiatique. Ce sont là des signes de normalisation de la vie politique, des espaces de liberté et de démocratie qu’il faut sauvegarder. Une sauvegarde à faire tant par les gouvernants que par une attitude non équivoque des responsables et animateurs du FPI, de Notre Voie et de tous les journaux proches de l’opposition qui viendront sur le marché.
Par Charles Kouassi
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