Armand B. DEPEYLA – Soir Info
La commune de Youpougon, dernier bastion de l’ex-chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, a été le théâtre d’affrontements meurtriers entre miliciens et mercenaires à la solde du candidat de LMP et les soldats Pro-Ouattara. Un quartier aujourd’hui défiguré qui porte encore les stigmates de la guerre. Mais, au petit trot, la vie reprend… Notre reportage.
A l’image d’un être vivant, qui se remet d’une grave maladie, l’on peut dire de la commune de Yopougon qu’elle traverse une période de convalescence… On note un rétablissement progressif de cette banlieue abidjanaise où la vie prend toujours une autre dimension sensationnelle chaque fois qu’on y met les pieds. Tous les organes « vitaux » de Yopougon, dont la célèbre rue « Princesse », n’ont pas encore repris leur rythme normal. La « Rue Princesse », haut lieu du divertissement, n’a toujours pas retrouvé son ambiance habituelle. Deux bars, seulement, avaient ouvert, à notre passage en fin de week-end dernier. « Comme vous le constatez, les clients ne viennent toujours pas. Les gens ont toujours peur de sortir. Mais d’ici à la fin du mois, nous devrions pouvoir atteindre notre vitesse de croisière », indique le manager d’un de ces établissements. A Yopougon, la « Rue Princesse », qui avait accueilli le président Laurent Gbagbo et son invité Jack Lang (parti socialiste français et ancien ministre de François Mitterrand) en 2009, se veut le baromètre de la bonne santé de la commune. « Quand la Rue va, c’est que tout va », a-t-on coutume de dire. La «Rue» n’est pas au mieux de sa forme… Mais, dans l’ensemble, la vie reprend, au petit trot. Aujourd’hui, avec la « Rue Princesse » qui est dans le coma, le centre de gravité de la bombance et des shows s’est déplacé aux quartiers Maroc et Ananeraie, notamment au carrefour Oasis, où les bars climatisés, boîtes de nuit et maquis affichent nuit et jour complet. Des filles de joie et autre «belles de nuit» arpentent les rues, à la nuit tombée. Poisson braisé, poulet piqué, poulet et kédjénou de viande de brousse, lapin braisé ont refait surface dans les rues des quartiers Ananeraies, Maroc, Cité-Verte et Niangon-sud à droite, notamment. La rue qui passe en face de la Mosquée Maroc, baptisée « Boulevard des Stars » est en passe de détrôner la «Rue Princesse». « Depuis la crise que nous avons connue, la Rue Princesse est menacée car d’autres points chauds se sont créés », note un couple qui attend de se faire servir dans l’un de ces maquis. Dans la commune du maire Gbamnan Gjidan Jean-Félicien ( Fpi), dernier bastion des partisans du président Laurent Gbagbo, arrêté le 11 avril 2011, on fait, contre mauvaise fortune, bon cœur face à la nouvelle donne. Peuplée de plus d’un million cinq cent mille habitants, la commune compte de nombreux inconditionnels du ‘’Woody de Mama’’.
Les stigmates des affrontements
C’est pourquoi sa chute a été durement ressentie et des populations continuent de porter le deuil… Ici, on refuse d’accepter la réalité, pensant qu’un miracle «est toujours possible», selon G.T.K, une habitante de la Sicogi. Yopougon a été le théâtre d’affrontements violents et meurtriers, entre Frci et miliciens et «chiens de guerre» venus du Libéria voisin. Au terme de plusieurs jours de combats, la commune, partiellement dévastée, est tombée aux mains des Forces républicaines de Côte d’Ivoire ( Frci). Les miliciens et mercenaires ont fui par la lagune à bord de pirogues. Peu après, ce fut la réédition de quelques factions de miliciens conduites, notamment, par Magui le Tocard. C’est une commune totalement défigurée que nous avons visitée le week-end dernier. Yopougon porte encore les stigmates de ces affrontements violents. Les impacts d’obus dans les murs des habitations, des administrations dont le bâtiment principal des Impôts non loin du plus important «Parlement de la Commune», les carcasses des véhicules calcinés dont de nombreux gbakas (minicars de transport en commun), des pick-up criblés de balles, sont encore observables dans la commune. Les organisations humanitaires continuent de faire de macabres découvertes. Des charniers et des fausses communes. A Yahossehi, notamment, un musicien du groupe les «Wassiato», Zéadé Gessolo, qui a trouvé la mort, a été enterré derrière sa maison. Selon une habitante de ce quartier précaire, «de nombreuses personnes ont été enterrées dans les rues du quartier». Depuis le mercredi 5 mai 2011, les Frci ont pris le contrôle de la commune. Cet immense quartier moderne est aujourd’hui méconnaissable du point de vue des activités socioéconomiques. La plus grande contrainte, en ce moment, des habitants de Yopougon, se situe au niveau des moyens de déplacement. Les autobus de la Sotra n’ont pas encore atteint leur fréquence d’avant guerre. Très peu de véhicules de transport en commun sont en circulation. La plupart des taxis ont été volés, d’autres incendiés ou dépouillés de leurs accessoires, avant d’être abandonnés dans les rues. Le risque de braquage étant toujours élevé, les propriétaires de véhicules les ont placés sur cales…Par ailleurs, la quasi-totalité des stations-service a été saccagée et pillée. Sur les 42 stations-service que compte la commune, y compris Locodjro, seulement 5 sont fonctionnelles, souligne un operateur du secteur. De sorte qu’aujourd’hui, de nombreux automobilistes, pour s’approvisionner en carburant, se rendent dans les autres quartiers d’Abidjan, en particulier à Adjamé. Chaque jour est un supplice pour ces usagers, avec des bouchons dus aux longues files de véhicules dans les stations épargnées par les pillards. Celles-ci sont situées dans les zones tombées, au début des hostilités, sous le contrôle des Frci : Gesco, Maroc et Niangon-sud à droite. Les marchés rouvrent timidement, et des boutiquiers mauritaniens ont commencé à reprendre leurs activités. «Je suis revenu. Je n’avais pas quitté la Côte d’Ivoire. J’avais mis mes marchandises en lieu sûr », nous a confié un boutiquier à la Cité-Verte.
Couvre-feu volontaire…
Le grand marché de la Sicogi est encore désert, tout comme celui du Nouveau Quartier et de Niangon-Nord. Les vendeuses ont transformé les voies publiques en marchés de fortune. Un peu partout, dans la commune, les magasins qui n’ont pas été pillées ni incendiées gardent leur rideau de fer baissé. A la Sicogi, notamment, qui a été l’épicentre des combats, les habitants ont fui en masse. Le quartier est comme désert, presque toutes les maisons étant closes. Mais, les commerçants reviennent peu à peu. «Je suis revenu vendre. J’ai ouvert il y a trois jours quand j’ai vu que les gens ont commencé à sortir», nous a confié Moussa, un marchand d’effets vestimentaires en face de la pharmacie Wakouboué. Yopougon, c’est aussi les maquis, c’est à dire les restaurants africains. A ce niveau, la faillite est encore totale, notamment dans les quartiers de la Selmer, Nouveau-Quartier, Toits-Rouges, Terminus 40. Le maquis de renom n’ont toujours pas rouvert en ces endroits… Il en est de même pour certains hôtels dont la plupart ont été pillés et saccagés. Au plan sécuritaire, depuis l’arrivée des Frci, tous les habitants de Yopougon sont prudents. «On marche comme sur des œufs. Les contrôles d’identité tournent très souvent au drame. Nous nous sommes imposé un couvre-feu. A partir de 18 h 30, il n’y a pratiquement plus personne dehors, car il y a beaucoup d’abus de la part des Frci », témoigne M. Kanh, un juriste habitant la Selmer. Les soldats des Frci font l’objet de virulentes critiques. Il leur est reproché, notamment, de voler les biens des résidents ayant fui leurs habitations. «Dans certaines zones du quartier, la sécurité est loin d’être totale. Il y a toujours des pillages, et la présence de barrages des Frci, avec des hommes armés en uniformes disparates qui arrêtent les voitures et fouillent les coffres à la recherche d’armes, n’est pas faite pour rassurer », soutient un habitant qui a requis l’anonymat. Les Frci «fouillent des groupes de maisons à la recherche d’armes ou de treillis de miliciens. Ces fouillent s’accompagnent quelquefois de vols », selon une source. « Chaque jour, des pick-up militaires sont eux-mêmes chargés de matériel électroménager ou de meubles apparemment dérobés », accuse un habitant du quartier Millionnaire. Un officier des ex-Fds soutient «que son véhicule, une Nissan Murano, pris dans parking par des éléments des Frci, est confisqué au 17ème arrondissement» par le commandant de ce secteur. « A la place de la peinture bleue-nuit d’origine dont la voiture est revêtue, ce commandant a mis une couleur rouge-bordeaux », ajoute notre interlocuteur. «Je demande aux commandants Cherif Ousmane de m’aider à récupérer ma voiture», supplie-t-il. «Ceux qui sont venus nous débarrasser des mercenaires se transforment aujourd’hui en nos bourreaux », accuse pour sa part, Eugue-Mel, huissier de justice. «A travers la commune, les soldats des Frci sont visibles à chaque coin de rue. Avec leur tenue bigarrée, ses soldats inspirent plutôt la peur aux populations. Moi, je n’arrive pas à m’accommoder de leur présence. Ils m’inspirent la peur quand je les vois. Ils ont une façon brutale et agressive de parler aux gens, très souvent, dans une langue non officielle en Côte d’Ivoire. Ils nous contrôlent dans les véhicules privés, nous agressent, nous rackettent, demandent de quelle ethnie ou de quelle région on est. Il faut que tout cela prenne fin, parce que cela n’est pas fait pour arranger l’image du président de la République », s’est exprimé Mme Blytin, habitant le quartier Toits-Rouges, qui abrite une importante base des Frci. Les commissariats de la commune et les bridages de gendarmerie sont toujours aux mains des éléments du commandant Ousmane Coulibaly alias Ben Laden, qui fait office de «préfet de police de Yopougon». Ses hommes et lui occupent les locaux de la Bae (Brigade anti-émeute). Yopougon est surveillée par les soldats de l’Onuci, qui patrouillent quotidiennement. Ils ne font l’objet d’aucune invective, encore moins d’agression. Ils sont salués amicalement et applaudis à certains endroits. Si Yopougon renaît aujourd’hui, c’est surtout sur le plan de la salubrité publique. De fait, les montagnes d’ordures qui s’étaient amoncelées des mois durant, ont été ramassées grâce au fond d’urgence présidentiel d’un montant de 45 milliards de Fcfa, mis en place par le président Alassane Ouattara. Les tas d’immondices d’où s’élèvent des odeurs pestilentielles, sources de maladies endémiques dont la fièvre typhoïde, ont fait place à un environnement saint et vivable. Chaque jour, ce sont des centaines de balayeuses qui nettoient les rues, pendant que des jeunes gens curent les caniveaux bombés. Dans plusieurs rues, de petits groupes de femmes, portant des cache-nez, balayent les trottoirs et la chaussée. « Rien n’a été nettoyé depuis des mois, il faut rendre la commune propre », lance l’une d’elles. Au plan scolaire, les choses se mettent petitement en place. Certains établissements (privés) ont ouvert tandis que d’autres «attendent que la sécurité soit totale», indique un chef d’établissement au quartier Maroc. Une autre grosse difficulté se présente aux habitants de Yopougon. C’est la fermeture de toutes les agences des banques et des établissements de transfert de fonds, pillés au plus fort des combats. Tous les distributeurs de billets de banque (Dab) ont été éventrés, les portes en vitres des agences brisées et les bureaux pillés. Plusieurs véhicules ont été incendiés dans des garages. Cependant, les petits mécaniciens et autres artisans tentent, tant bien que mal de reprendre leurs activités. Le pillage de nombreuses pharmacies pousse des malades vers les pharmacies dites ‘’parterre’’. Yopougon a payé un lourd tribut à la crise post-électorale. Une page sombre à vite tourner. En tout état de cause, la normalité revient, petit à petit, dans cette commune où, le 4 mai, la Croix-Rouge avait ramassé des dizaines de cadavres, et où l’Onuci a découvert plus de dix fosses communes renfermant près de 70 corps.
Armand B. DEPEYLA
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