GOORE BI HUE – Fraternité Matin
Il est 10 heures ce vendredi 20 mai 2011 quand nous quittons la rédaction pour un long voyage devant nous conduire au Ghana puis au Togo. A 10h25, nous voilà à la gare de Grand-Bassam à Treichville, une des communes grouillantes de la capitale économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan. Peu de temps, nous empruntons un car de la Société des transports d’Aboisso (Sta). Direction Aboisso où nous attendait un ami qui voulait faire le trajet Aboisso-Elubo avec nous. Il vit et travaille dans cette petite ville ghanéenne à laquelle les Ivoiriens, notamment des commerçantes ont fini par donner une réputation de grand bazar d’approvisionnement en produits cosmétiques et autres articles ménagers qu’elles viennent vendre sur les marchés ivoiriens. Assis à l’extrême droite de deux dames, notre attention est attirée par les propos de ma voisine la plus proche, âgée d’environ 40 ans, et dont le rêve d’aller vivre en Europe est presque une obsession. «Ici, on souffre trop. Vraiment on souffre ! Je veux aller en Europe », clame-t-elle, l’ère sérieuse. Quelques instants après, elle se plaint de bruit du moteur de ce car qui, visiblement, a pris un coup de vieux sous le poids des passagers et innombrables bagages qu’on lui fait porter par voyage. «Je ne supporte pas le bruit du moteur de ce car! », dit-elle. Alors comment pourriez -vous vous rendre en Europe, parce qu’en y allant, vous aurez affaire au bruit du moteur d’avion? Lui avoons demandé : «Que l’avion fasse tous les bruits du monde, je les supporterai », avoue-t-elle pour souligner tous les sacrifices qu’elle est prête à consentir pour s’en accommoder.
Avec le regard vers une aventure qui ne se concrétisera peut-être jamais, la dame oublie même qu’elle partageait le siège avec sa sœur qui lui parlait vainement. Son fils de 4 ans lui aussi. En fait, elle était loin, très loin dans son rêve fou. Mais son fils, véritable perturbateur, lui la rappelle la réalité…ivoirienne et sa condition de vie présente.
Vingt barrages des hommes en armes
Notre car qui a quitté la gare depuis une quarantaine de minutes avance à peine. A cause des barrages ! De la gare de Grand-Bassam au corridor d’Adjouffou, le véhicule a déjà été contraint de marquer sept arrêts. Et à chaque fois, l’apprenti court vers le chef du poste de contrôle des hommes en armes pour revenir aussitôt. Ce scénario va continuer le long du trajet, suscitant, par moments, le grognon des passagers. Au total, une douzaine de barrages avant d’arriver à destination. Au dire de l’apprenti, «les frais de passage varient selon les barrages. « Ça dépend », dit-il. « A certains barrages, on paie 1000 Fcfa et à d’autres, 2000 Fcfa ». A-t-il exagéré ?, il nous sera difficile de le savoir. Toutefois, il est aisé de dire sur la base des taux indiqués, qu’à chaque voyage, le car laisse aux différents barrages entre 12000 et 24 000 francs Cfa sur une distance d’un peu plus de 170 km.
Ces arrêts incessants nous feront perdre plus de trois heures de temps sur cette distance. A 14h30, le car arrive, enfin, à Aboisso. Avec mon ami ivoirien vivant depuis huit mois au Ghana, nous embarquons dans un véhicule 504 Berline. Direction, Ghana pour un reportage sur la vie des réfugiés ivoiriens dans ce pays d’accueil autour d’un thème évocateur et peut-être même un peu provocateur: « Sur les traces des exilés de guerre ivoiriens au Ghana et au Togo». Il faut parcourir 56 km pour se rendre à Elubo, le point de départ de notre reportage. Mais neuf autres barrages d’hommes en armes seront encore franchis jusqu’à
Calme plat à Noé, ce jour
Cette bourgade ivoirienne qui grouillait d’habitude de monde, présente ce 20 mai, un calme de cimetière. Point de gros camions. Point d’activité au corridor ivoirien. Que se passe-t-il et qu’est-ce qui peut bien expliquer cette inactivité? «On ne se sait pas ce qui va se passer en Côte d’Ivoire. Donc, tout le monde se veut prudent à l’orée de l’investiture du nouveau Président ivoirien », répondent la plupart de nos interlocuteurs ivoiriens ou ghanéens.
Au poste frontière ghanéen, c’est une autre ambiance. La vie est, ici, présente. Des camions chargés de marchandises sont alignés. On s’active à charger de colis dans d’autres camions. On sent le business. Mais dans cette ambiance de va-et-vient, on remarque la présence d’une cinquantaine de personnes, balluchons en mains ou sur la tête. Ce sont des Ivoiriens. De nouveaux demandeurs de refuge en terre ghanéenne. En rang et disciplinés, ils remplissent les formalités et un car du Hcr attend qu’ils finissent pour les conduire au camp de transit des réfugiés ivoiriens. Ils vont sans aucun doute rallonger la liste des Ivoiriens ayant fui la guerre. «Chaque jour, pas moins de cent nouveaux arrivants sont enregistrés au camp de transit des réfugiés d’Elubo, situé à la sortie de la ville», nous apprend notre compagnon qui vit depuis huit mois dans cette région. Ce qui sera d’ailleurs confirmé plus tard par des arrivants que nous avons rencontrés. Ce dernier contingent comptait des familles entières, notamment des ressortissants de l’Ouest et Centre-ouest de la Côte d’Ivoire (Guéré, Yacouba, Wobé, Gouro, Bété). Ils affirment fuir les exactions dans leurs quartiers, à Abidjan, et dans certaines villes de l’intérieur. Mlle Carine et sa mère ainsi que le septuagénaire Guéhi P. que nous avons rencontrés le lendemain, samedi, c’est-à-dire le jour de l’investiture du Président Alassane Ouattara, semblaient traumatisés par un passé récent et en même temps soulagés d’être en terre ghanéenne. «Mon fils, je ne sais pas si je vais encore retourner à Yopougon… », soupire ce vieil homme. Avant de lancer : « je ne sais pas où se trouvent mes fils ». Quant à Carine, elle a transité avec ses parents par Bonoua où ils ont passé presque deux semaines dans une église. La situation se normalisant à Abidjan, les responsables de ce lieu de culte demandent alors aux déplacés de guerre de regagner leurs domiciles respectifs à Abidjan. Estimant ne pas savoir où rester dans la capitale économique, Carine et ses parents (au total douze personnes) ont préféré poursuivre leur fuite vers le Ghana, dans l’espoir d’un retour futur lorsque les conditions sécuritaires le permettront sûrement. Cette famille pense cependant qu’elle ne durera pas au camp de transit, espérant que le Hcr traitera leur dossier avec diligence.
De dossier, de nombreux réfugiés se plaignent de la lenteur du traitement. Certains avancent même être depuis près de deux de mois dans ce camp de transit où les conditions de vie, affirment-ils, sont réellement difficiles. « On y vit avec des serpents et autres bestioles. Il n’y a pas de toilettes et c’est souvent que des pensionnaires reçoivent la visite des serpents ». Pour beaucoup « les choses ne sont pas claires, certains demandeurs semblent faire l’objet de mépris, surtout ceux qui arrivent seuls. Ceux-là sont, pour la plupart, taxés de miliciens », soutient celui qui a préféré se faire appeler «Puissance» pour masquer sa vraie identité. Bref.
Il est 17 heures, nous venons de traverser la frontière ghanéenne à bord du taxi emprunté à Noé. Voulant vivre le plus proche possible des réfugiés, nous disons au conducteur du véhicule : «Monsieur le chauffeur, je veux loger dans un hôtel où il y a beaucoup de refugiés ivoiriens ». Sa réponse est instantanée: « Ne cherchez pas loin, voilà l’hôtel Falun qui jouxte la gare routière. C’est là que certains vivent. Il y a aussi l’hôtel Coco Ville au bord du fleuve Tanoé. « Ce sont des hôtels moins chers», nous rassure Ansarieh. Mais il y en a d’un peu plus chers à la sortie de la ville». Nous décidons de descendre à l’hôtel Falun. Très rapidement, la confiance se crée entre nous et des réfugiés. La méfiance se dissipe, en effet, au fur et mesure que nous échangeons sur les nouvelles du pays. Surtout que des réfugiés soutiennent nous reconnaître à Abidjan, soit de visu, soit à travers nos articles. La bonne atmosphère se consolide autour de quelques pots à « One Stone Spot », une buvette séparée de l’hôtel par un terrain de sport. Le décor dix jours de reportage venait ainsi d’être planté. Comment ces Ivoiriens qui ont fui la guerre vivent-ils au pays de Kwame NKruma? De quoi vivent-ils ? Et pensent-ils au retour au pays natal ?
De la vraie galère
A Elubo, la vie est dure pour les réfugiés ivoiriens. Pas parce que les Ghanéens leur soient hostiles ou leur créent de la misère, mais parce que l’argent fait cruellement défaut. Si Mme Kouakou J.L, mariée et mère de deux enfants reçoit régulièrement de l’argent de son époux vivant en Europe, beaucoup d’autres broient du noir. Trouver de l’argent pour se loger…décemment, manger ce qu’on veut, et même appeler des proches restés en Côte d’Ivoire fait partie des équations quotidiennes difficilement résolues. Se loger au camp, selon plusieurs témoignages serait un vrai calvaire ! «Dormir à quatre ou cinq sous une tente d’environ 6 m2 où chaleur et froid alternent jour et nuit, c’est vraiment dur !», relève Olivier B. Y. Malheureusement, les responsables du Hcr n’ont pas voulu nous dire leur part de vérité. Cependant la déprime visible de nombre de pensionnaires montre qu’effectivement la vie de réfugiés n’est pas rose. Et qu’on est mieux que chez soi.
Pour avoir un semblant de vie normale, des réfugiés qui attendent leur certificat provisoire délivré par les autorités ghanéennes ou définitifs fourni, le Haut commissariat aux réfugiés (Hcr), ont choisi de vivre hors du camp de transit. On en trouve dans des hôtels, des familles d’accueil ou dans des maisons louées. Quel que soit le cas de figure, chaque jour qui passe est une autre épreuve. En fait, la plupart des réfugiés ne vivent pas ; ils survivent.
Joie des hôteliers, peine des réfugiés
La nuitée des chambres des hôtels accueillant la majorité des déplacés de guerre varie entre 2 500 Fcfa (sans douche) à 3500 Fcfa (avec douche). Soit 75000 et 105000 Fcfa par mois. Véritable bataille quotidienne, celle que mènent les réfugiés pour honorer cet engagement. Car nombre d’entre eux ont quitté le pays avec seulement un pantalon, une chemise, une chaussure et sans grand sou ! « Je suis sorti du pays tel que me voyez actuellement et avec seulement un billet de 10 000 Fcfa », témoigne G., homme de médias pour qui, la fermeture des banques le 14 février 2011 a été préjudiciable à nombre de réfugiés, cadres, manœuvres ou jeunes. Cette situation a été aggravée par l’impossible transfert par Western union entre la Côte d’Ivoire et le Ghana depuis le déclenchement de la guerre à ce jour. « Seul Money gram marche ici. Mais les frais de transfert ou de retrait sont trop chers. Pour un mandat de 100 000 à réceptionner, par exemple, on te prélève 15 000 Fcfa », se plaignent ceux qui ont la chance d’avoir des parents en Europe ou au pays qui leur envoient des sous. Ce qui est beaucoup trop, estime-t-on, « dans ce pays où rien ne coûte en deçà de 300 Fcfa; c’est-à-dire 10.000 Cedis caractérisé par un billet de 1 Cedi) ». Pour Blanchard qui, depuis la mi-mars a précipitamment fui son quartier d’Attécoubé, «Tout est cher à Elubo. On y est malgré nous ». Un autre interlocuteur ne dit pas le contraire. Lui à qui manquent visiblement les chaudes nuits ambiantes de Yop City. Mais les informations provenant d’Abidjan lui indiquent que «Yop est gâté. La cité a perdu de son charme habituel». Ce qui sauve ceux qu’on pourrait aussi appeler « exilés de guerre », c’est la solidarité agissante et la générosité de ceux qui s’en sortent un peu. Ces derniers aident parfois à payer loyers ou nuitées des infortunés ou nécessiteux.
Retour au pays, pas maintenant…
Malgré tout, nombre de ces réfugiés ne sont pas, pour l’instant, prêts à retourner au bord de la lagune Ebrié. Pourquoi ? «A cause de la chasse à une catégorie d’hommes et de l’insécurité ambiante», répondent en chœur beaucoup de nos interlocuteurs qui ont insisté que leurs propos soient entourés de l’anonymat. Pour eux, le nombre élevé de nouveaux arrivants enregistrés chaque jour par le Hcr (entre 50 et 200) est la preuve que la question sécuritaire est encore loin d’être résolue. Briscard, qui a fui Attécoubé et qui s’était d’abord retrouvé à Noé le 18 mars 2011 avant de trouver refuge à Elubo après l’arrestation, le 11 avril, de l’ancien Président, est lui, incisif quand il parle de la qualité des plats qui sont servis aux camps des réfugiés ivoiriens. Leur nombre avoisine les 10 000 (environ 1500 à Elubo et plus de 7000 au grand camp d’Aiyieman).
Au fait, de quoi se nourrissent ces réfugiés? « On nous donne des plats de haricots ou de maïs mélangé à du soja aux qualités laissant à désirer», indiquent-ils. Pire, poursuivent-ils «nous mangeons une fois par jour, entre 18 et 19 heures. Nous nous mettons en rang pour être servis comme des enfants ». Et notre nombre de plus en plus croissant n’est pas fait pour arranger les choses. Le Hcr est obligé de construire de nouvelles tentes et donc d’étendre régulièrement la superficie occupée, et revoir ses provisions à la hausse.
La santé se précarise; Atta-Mills suscite l’espoir
Ici, ce n’est pas seulement la nourriture qui est critiquée, les conditions sanitaires et de logement le sont aussi. «Nous nous retrouvons comme susmentionné, parfois, à quatre voire cinq sous une tente d’à peine 6 mètres carrés. Ce qui a d’ailleurs suscité, un moment donné, la grogne des pensionnaires qui ont dû s’organiser et se rendre à Accra pour se plaindre de cet état de fait. Briscard et les autres réfugiés restent amers devant leur traitement peu enviable. Lui dont la fille tombée malade au camp n’a pu bénéficier de soins adéquats. Aussi, «ai-je fait des mains et des pieds pour l’envoyer à Abidjan pour se faire soigner faute de suivi médical adéquat du Hcr ». Malheureusement, celle-ci décédera à Attecoubé alors que, lui, se trouve encore réfugié au Ghana. «Ma fille a été enterrée à mon absence !». Le regard perdu dans la douleur et la souffrance, Briscard qui menait une vie prospère à Abidjan, a du mal à dissimiler ses larmes. «J’ai fui la mort, mais elle m’a rattrapé au camp des réfugiés à Aiyieman, pour m’arracher ma fille. J’en suis malheureux», crie-t-il sa colère, et meurtri dans sa chair.
Des malades, les deux camps en comptent, nous révèle Y. Alex, lui-même souffrant d’une grosse toux qui l’a quasiment décimé. «Nous sommes nombreux à être malades ou à être affaiblis, mais les médicaments se font rares », souligne-t-on. Mais l’espoir naissait au plan de l’amélioration des conditions sanitaires quand nous quittions précipitamment, ce 23 mai, à 16 heures, le Ghana pour la Côte d’Ivoire. En effet, le Président ghanéen, Atta-Mills, s’était rendu au grand camp le jeudi 19 mai pour s’enquérir des conditions de vie des réfugiés ivoiriens. Pour remédier au manque de médicaments, il s’était engagé à fournir en stocks suffisants tout ce qu’il faut pour une meilleure prise en charge des malades. Et ce stock devait arriver le mardi 24 mai dernier ; un geste que les pensionnaires du camp apprécient à sa juste valeur. Car, ayant regagné le Ghana quitte pour se réfugier, quitte pour demander le droit d’asile, ces Ivoiriens ont vraiment besoin d’attention. Surtout qu’une concentration d’hommes et de femmes est source de développement de nombreux vices, surtout sexuels. Même si l’on en n’en a pas la preuve formelle, c’est connu que l’extrême pauvreté fragile des catégories sociales, notamment les femmes et les jeunes.
Comme Briscard, Jumeau de Bingerville est aussi réfugié. Il a dû fuir le jour même de l’enterrement de son père. « J’ai abonné son corps entre les mains des autres pour m’enfuir parce qu’on m’accusait à tort d’entraîner des miliciens ». La seule question qu’il se pose aujourd’hui est la suivante : « Puissé-je rentrer au pays sans crainte pour ma vie? Qui était menacée par des hommes en armes ». En tout cas, à côté de ceux pour qui le retour n’est pas à l’ordre du jour, et qui en général, sont ceux qui ont vécu la bataille terrifiante de Yopougon, Duékoué et de N’Dotré, il y a ceux qui commencent à voir la nostalgie du pays. Sérieusement. Et qui demandent que la police et la gendarmerie reprennent du service pour les rassurer. «Il faut reconnaître que la vie n’est pas rose dans les camps de réfugiés, surtout pour nous qui logions dans des villas huppées d’Abidjan », regrettent certains des « exilés de guerre ». Ces « exilés de guerre » qui ont choisi de louer, individuellement ou par groupe de deux ou trois, une chambre d’hôtel, un studio ou une deux-pièces ; à des prix intéressants : 20 000 ou 30 000 Fcfa de loyer mensuel. Mais, fait savoir Jumeau. D. B., «On est obligé de payer un à deux ans de loyer d’avance ou de caution». Pour ceux qui ne le font pas, ils finissent par s’habituer à la déprime du camp de réfugiés et des tentes mais aussi à oublier, momentanément, le foutou banane ou d’igname, à la sauce graine, au gouagouassou, au biokeusseu, etc.
Les petits métiers font leur apparition
Pour joindre les deux bouts, des filles renouent avec leur métier. Prisca Tiédé et Olga Péhé, de sœurs, tresseuses de formation, en sont des modèles. Arrivées il y a deux mois à Elubo, elles se sont lancées immédiatement dans l’auto-emploi. « Nous ne voulions pas vivre au camp des réfugiés. Alors nous avons négocié avec une vendeuse de mèches afin qu’elle nous permette de nous installer devant son magasin. Ce qu’elle a accepté. Nous offrons donc ici nos services aux clientes du magasin ». Et ça marche bien pour elles. Prisca et Olga tressent entre 5 et 6 têtes par jour à raison de 40 000 cedis (1200 Fcfa). Cela leur procure au quotidien, en moyenne une recette variant entre 6000 et 7200 Fcfa. Véritable fortune dans cette galère que bien des Ivoiriennes vivent! Et elles le reconnaissent : «Nous sommes 10 mille fois mieux à l’aise que beaucoup de filles ici ». Cela leur évite d’être à la merci des prédateurs sexuels comme celle autre jeune fille à la trentaine révolue qui est sortie du camp pour venir passer la nuit avec un policier dans le commissariat où nous avons passé notre première nuit carcérale (voir papier voyage inachevé). Ces deux jeunes filles se battent si bien qu’elles s’offrent même des voyages à Accra. La plus jeune, Prisca, est serveuse dans un bistrot qui cartonne à Elubo : Zenit Nigut Club. Elle y était cette nuit de samedi 21 mai, très active. Malgré le dur labeur de la journée. Dans ce lieu de distraction d’Elubo et qui ne ressemble ni à un maquis de la rue Princesse, encore moins à un bar climatisé in, l’ambiance est bonne et la clientèle est nombreuse. C’est un…night club qui fait recette. Il est devenu le point de retrouvaille des Ivoiriens où chacun vient se donner, à cœur à joie, à quelques verres de bière sous des aires des variétés ghanéennes et ivoiriennes en vogue. Bien que se débrouillant bien, Prisca et Olga affirment en chœur, « On est mieux que chez soi ». De son côté, dame Léa, native de Daloa, elle, vend de l’eau glacée pour le compte de l’épouse du responsable de l’hôtel qui l’abrite. Sa récompense ? Le non paiement de loyer ou de nuitée. Et elle ne s’en plaint pas; loin s’en faut.
Le précieux sésame, l’attestation de réfugié
Dimanche 22 mai, à 9 heures, accompagné par coïncidence de Cynthé et Christian S., deux réfugiés ivoiriens, nous nous rendons au grand camp situé à 56 km d’Elubo, pour y rencontrer son directeur. Ce, afin qu’il nous autorise à échanger avec les pensionnaires sur « leur nouvelle vie de réfugiés » avant de nous rendre dans la capitale ghanéenne, Accra. Mais cette aventure a été des plus mouvementées. Ce fut un voyage inachevé ayant été mis aux arrêts et mis au violon, dans la tenue d’Adam, au Commissariat d’Aiyieman, sis à plus de 120 km d’Elubo (voir encadré). De même, pour de nombreux réfugiés ivoiriens, l’aventure n’est pas encore prometteuse. Parce qu’ils sont très nombreux à n’avoir pas encore obtenu le précieux certificat de réfugié ou d’exilé. Il y en a qui ont déjà passé deux mois au camp et qui ignorent, à ce jour, tout de la procédure d’obtention. Jusqu’au 23 mai dernier, il fallait se rendre à Accra pour obtenir ce document. Même à titre provisoire. Or, les gens n’ont pas d’argent. Aussi pensent-ils qu’il s’agit là d’une manœuvre visant à les rapatrier en Côte d’Ivoire une fois l’investiture du Président Ouattara faite? «Nous y opposerons un refus catégorique. Nous devons être traités comme on traite les réfugiés dans le monde entier. Pourquoi, ici le Hcr semble faire une discrimination inadmissible?», s’interroge-t-on dans les milieux ivoiriens où l’on n’hésite pas à pointer un doigt accusateur vers cette autre réfugiée ivoirienne devenue employée du Hcr, parce que maîtrisant l’anglais. Elle manœuvrerait dit-on, pour qu’une catégorie de réfugiés n’obtienne pas ses papiers. Vrai ou faux ? Nous avons voulu en discuter avec elle mais en vain. Puisque cette dame, dont nous taisons volontairement le nom, n’était pas prête pour des échanges sur ces allégations.
GOORE BI HUE
Envoyé spécial
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