Fraternité Matin vient de lancer, dans le cadre de ses Grands débats mensuels, celui portant sur le sujet suivant: quel régime politique pour la Côte d’Ivoire? Les avis sont partagés, nous voulons bien savoir votre position sur cette question.
Dans une période post-crise immédiate, ce n’est pas le moment de changer un régime politique. Cependant, l’histoire de la Côte d’Ivoire nous montre que depuis les indépendances, la Côte d’Ivoire souffre d’un Etat centralisé, omniprésent et osons le dire envahissant, hérité du modèle jacobin importé par la France. En tant que libéral, je prône un Etat minimum, c’est-à-dire un Etat qui assume ses responsabilités au niveau de la sécurité, de la justice mais qui laisse la liberté à ses populations de faire le reste. Bien sûr? l’Etat a le devoir de mettre en place l’environnement institutionnel qui permette à chacun de travailler et d’être propriétaire. Cette vision m’amène à prôner le régime parlementaire en Afrique car c’est dans la décentralisation du pouvoir que les pays africains trouveront la stabilité. Audace Institut Afrique (AIA), le think tank indépendant que je préside, travaille sur le sujet et publiera en octobre des propositions. J’ai le sentiment que rapidement, la Côte d’Ivoire aurait intérêt à s’orienter vers un régime parlementaire, d’autant qu’elle l’a déjà connu à travers la constitution de 1959.
Les pouvoirs en Afrique, sont tous, ou presque, d’essence présidentialistes, des sortes de monarchies déguisées ou des dictatures en exercice. Et les exemples montrent bien que les pays de type parlementaire, comme le Cap-Vert, ont des réussites de développement que des pays mieux lotis comme la Côte d’Ivoire envieraient. Quelle lecture faites-vous d’un tel constat?
Des chercheurs au sein d’AIA travaillent là-dessus et les premières tendances qui se dégagent de leurs travaux semblent mettre en évidence que dans les régimes parlementaires, certes peu nombreux sur le continent, la liberté économique y est plus importante et les conflits moins fréquents. Bien sûr, je ne souhaite pas tirer de conclusion hâtive mais en octobre, nous aurons avancé le travail et nous pourrons ainsi engager une discussion constructive sur les résultats.
Doit-on voir, dans nos crises à répétition, la matérialisation de cette conception du pouvoir où le Président est tout à la fois?
Il est évident qu’un Etat qui repose sur un homme ou une poignée d’hommes est un Etat fragile. Cependant, des pays comme la France ont opté pour un régime présidentiel qui, sous Sarkozy, est encore plus marqué. Il y a un président omniprésent et pourtant la France ne connaît pas les crises de l’Afrique, parce que le pouvoir là-bas est décentralisé et que les villes, les départements, les régions, ont des pouvoirs et des moyens financiers pour les exercer. Il y a certes le problème de la concentration du pouvoir, mais en Afrique, nous nous heurtons également à la mauvaise gouvernance qu’induit facilement ce modèle. Comme nous ne sommes pas responsables, il faut donc créer des limites pour protéger les populations des excès des pouvoirs en place. Le régime présidentiel complique la chose.
La crise post-électorale qui a fait des morts et d’énormes dégâts a pris fin par l’arrestation du Président Laurent Gbagbo. Regrettez-vous aujourd’hui le fait qu’il n’ait pas cédé pacifiquement le pouvoir à Alassane Ouattara reconnu par la communauté internationale?
J’ai prôné dès le début du mois de décembre 2010 une sortie de crise par le dialogue. Les deux camps adverses que j’ai rencontrés et tenté de convaincre sont restés totalement hermétiques à mes propositions. La situation était figée. Aujourd’hui, bien sûr, lorsque nous comptons les morts et les dégâts, nous ne pouvons que le regretter.
L’on semble vous reprocher votre silence face à cette crise qui aura fait, dit-on, 3000 morts?
Je n’ai pas l’impression d’être resté silencieux. J’ai tenté une médiation qui n’a pas abouti. J’en ai pris acte. La situation reposait ensuite sur des éléments que je ne maîtrisais plus, sur la volonté des hommes politiques. Le silence ne veut pas dire indifférence. Je suis au contraire profondément attristé par tous ces morts et ces souffrances. Je suis d’autant plus touché que cette situation était prévisible et que j’avais d’ailleurs mis en garde contre ces dérives possibles durant la dernière décennie dans différents discours publics et privés. A l’époque, on me reprochait de trop parler! Depuis la signature de l’accord de Marcoussis, tout s’est enchaîné logiquement pour conduire au chaos, mais le dire était devenu politiquement incorrect dans tous les camps.
Il y a même plus: que vous auriez dû démissionner de votre poste de président de l’Assemblée nationale, au lieu de vous installer dans un mutisme?
Les gens dont vous parlez sont alors ceux qui reconnaissent l’institution ! Ces derniers temps, nombre de communications officielles vont à l’inverse ! Si ma démission pouvait débloquer la crise, il est évident que je me serais empressé de le faire. Je crois que certaines personnes mélangent tous les problèmes et les rendent encore plus compliqués.
Le parlement ne fonctionne pas depuis fin avril et les députés ne seraient pas payés depuis deux mois. Quel est votre rôle?
Effectivement, les députés ne sont plus payés depuis fin avril. Le Président Ouattara a pris cette disposition considérant que, depuis le second tour du scrutin, les députés exerçaient dans l’illégalité. Décision étrange sachant que la constitution ivoirienne établit une séparation entre les pouvoirs exécutif et législatif. Dans cette logique, il est étrange également que les fonctionnaires de l’Etat n’aient pas été soumis à ces sanctions. C’est tant mieux d’ailleurs. Je ne cherche pas à polémiquer sur cette histoire de salaires. Ce n’est pas un évènement central et il faut réellement se concentrer aujourd’hui sur la réconciliation et sur les mesures qu’il faudra mettre en place pour que dans l’avenir, nos institutions ne soient plus un terrain de jeu pour les influents. Les conseillers juridiques du Président de la République qui soutiennent cette violation de la constitution doivent savoir qu’ils l’induisent en erreur et au parjure. Selon l’alinéa 4de l’article 59 de la Constitution sur laquelle le serment du Chef de l’Etat a eu lieu, les élections législatives ont lieu 20 jours au moins et 50 jours au plus avant l’expiration des pouvoirs de l’Assemblée nationale. Cela voudrait dire tout simplement que l’élection des nouveaux députés doit impérativement avoir lieu avant l’expiration du mandat des députés en place. L’élection législative n’étant pas intervenue, les pouvoirs de l’Assemblée Nationale ne peuvent prendre fin. Le Chef de l’Etat n’a pas raison de suspendre le traitement des députés. Il en est de même des émoluments des membres des autres institutions de la République.
Ils sont nombreux à s’expliquer difficilement que vous soyez libre de vos mouvements, tout comme Miaka Oureto, alors que plus de 200 cadres de votre parti sont assignés en résidence surveillée ou détenus?
Je me pose parfois la question. Je n’ai pas forcément saisi la logique des arrestations. On peut dire que certaines personnes ont été impliquées plus directement dans les excès et d’autres ne se trouvaient tout simplement pas au bon endroit au bon moment. Je ne peux répondre pertinemment à votre question. Il faudrait poser la question au Ministre de l’Intérieur, au ministre de la Défense, au Président lui-même. Je ne suis pas le seul dans ce cas.
Y aurait-il un deal entre vous et le nouveau pouvoir pour faire de vous le successeur de Laurent Gbagbo sans la volonté de la base, comme il se murmure?
Est-ce à dire que vous jugez mon envergure politique tellement faible que je pourrais être un opposant idéal pour le nouveau pouvoir ? Le Fpi n’est pas à la recherche d’un successeur. Pour l’instant, notre préoccupation est plus de réintroduire la notion de parti d’opposition et de contrepouvoir. Nous souhaitons simplement retrouver un espace d’expression pour éviter que le pays ne glisse vers le parti unique et la pensée unique. Ce sera ma contribution à l’ancrage de la démocratie dans notre pays. Le Fpi n’est pas une Pme familiale ou un club de soutien et la Côte d’Ivoire n’est pas une monarchie, autant que je sache.
Votre parti et ses alliés du Cnrd dont vous assumez le secrétariat général par intérim, depuis le 17 mai, en lieu et place de Mme Simone Gbagbo, va-t-il prendre part aux législatives de décembre? Si oui, à quelles conditions et quelles sont vos chances?
Oui, le Fpi et le Cnrd prendront part aux élections législatives et nous sommes conscients des difficultés que nous allons rencontrer. Nous savons que nos chances sont minces. Mais cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à nous renforcer en vue des prochaines échéances électorales. Notre objectif est d’être une véritable opposition d’ici à 2015. La Côte d’Ivoire a d’ailleurs intérêt à cela, car un modèle de parti unique est la voie ouverte à tous les excès.Le contre-pouvoir est le moyen de contrôle le plus efficace entre les échéances électorales dans un modèle démocratique. Notre existence est donc un enjeu important pour tous. Du moins, nous osons le croire.
Le Président du Ghana, Atta Mills, aurait oeuvré pour que le président du Conseil constitutionnel, Yao N’Dré, organise la cérémonie de prestation de serment. Y-a- t-il eu des négociations ou des pressions sur vous et Atta Mills?
Le Président Atta Mills s’est en effet impliqué en tant que médiateur ou facilitateur dans le dossier ; mais il n’est nullement question de pressions. Moi, j’ai agi parce que je voulais aller à l’apaisement et au retour des conditions de l’Etat de droit en Côte d’Ivoire, après la guerre postélectorale.
Vous parlez sans cesse de réconciliation. Cet engagement n’est-il pas contrarié par des informations selon lesquelles certains cadres de votre parti auraient à cœur de se venger de Ouattara?
Je connais peu de cadres animés d’un désir de vengeance. Il est vrai que les vainqueurs ont utilisé l’humiliation comme moyen de domination et que l’humiliation est le sentiment qui conduit naturellement à la frustration et à la violence. Les cadres avec lesquels je demeure en contact ont pourtant plus envie de revenir chez eux en Côte d’Ivoire que de vivre en exil enlisés dans le désir de vengeance. Le nombre d’Ivoiriens morts a forcément conduit chacun à l’humilité et au devoir de Plus jamais ça! Les esprits se tournent vers l’avenir et la réconciliation. J’ai foi en cet avenir qui devrait nous conduire vers une Nation.
Fraternité Matin
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