LeMonde.fr France, Royaume-Uni, les pays membres de l’OTAN et leurs partenaires se sont engagés en Libye dans le cadre politique strict des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU qui autorisait l’emploi de la force pour « protéger les populations et zones civiles menacées d’attaques » tout en interdisant « le déploiement d’une force d’occupation étrangère ». Cette formulation semblait limiter les possibilités d’action aux frappes aériennes. Cette stratégie militaire, qui a rendu de notables services en arrêtant les assauts des colonnes de blindés devant les villes insurgées et en affaiblissant le potentiel militaire de Kadhafi, est sur le point d’atteindre son seuil de réversibilité.
En effet, pour échapper aux coups, les forces régulières libyennes ont naturellement adopté les organisations et tactiques de la guerre asymétrique et n’offrent plus désormais de cibles pouvant être attaquées avec des bombes ou des missiles de croisière, aux effets collatéraux dévastateurs, aussi précis soient-ils. Les casernes sont vides, les dépôts de munitions détruits, les colonnes de chars à l’état de ferraille. Les soldats et miliciens se sont reconstitués en groupes mobiles, utilisant des véhicules civils, des armements plus légers et moins visibles mais toujours aussi meurtriers. Ils affrontent les forces combattantes du Conseil national de transition libyen, dans les agglomérations, au plus près de la population et causent toujours de sérieuses pertes. Dans ce nouveau modèle d’affrontement, les « frappes aériennes » sont inopérantes et peuvent même devenir contre-productives par les risques qu’elles font courir aux civils et par la baisse marginale de leur rapport coût-efficacité aux plans militaire, financier, politique et médiatique.
Sans déborder du cadre politique donné par le Conseil de sécurité, la coalition doit trouver les réponses militaires adaptées à cette nouvelle situation. L’annonce du déploiement d’un bataillon d’hélicoptères de l’aviation légère de l’armée de terre sur un bateau de la marine en Méditerranée est une nouvelle importante. La stratégie de « l’aérocombat » vers lequel il apparaît que France et Royaume-Uni s’orientent est en effet la réponse la plus appropriée.
Nous avons vu ces tactiques à l’œuvre en Colombie, récemment en Côte d’Ivoire avec les opérations par hélicoptères contre les forces de Gbagbo, nous les voyons tous les jours en Afghanistan contre les talibans. Il s’agit d’utiliser les capacités de mobilité et de furtivité de jour comme de nuit des hélicoptères, leurs moyens optiques, thermiques et radar de détection et d’identification de cible, leurs armements pouvant fournir des tirs précis avec des munitions au pouvoir de destruction maîtrisé (canons, roquettes, missiles) en étroite coordination avec les combattants au sol du Conseil national de transition pour éradiquer, sans dommages collatéraux, les unités de contre-insurrection du colonel Kadhafi. Basés en haute mer sur les navires porte-hélicoptères, renseignés pour préparer leurs missions grâce aux liens établis entre la coalition et les insurgés, les hélicoptères pourront se déployer pour la durée de leur mission au-dessus du sol libyen, avec un contact par radio et même parfois à vue avec les combattants terrestres, sans pour autant pouvoir être assimilés à une « force d’occupation », puisqu’ils n’auront aucune empreinte terrestre.
A bord de son hélicoptère, un équipage peut repérer, identifier et frapper, jusqu’à huit kilomètres, un pick-up chargé de mercenaires. Il peut, à partir des zones d’action des troupes au sol et en liaison avec elles, attaquer les groupes contre-insurrectionnels et apporter des angles d’attaque et une vision différente du champ de bataille. Cette conjonction va permettre de créer un climat d’insécurité permanent pour les ennemis dans la zone des combats, là où, justement, ils sont une menace et où se joue le devenir de cette guerre.
L’aérocombat, c’est aussi la capacité de conduire des actions loin des fronts, comme nous l’avons vu lors de l’action héliportée sur le mont Igman, qui avait permis de desserrer l’étau serbe sur Sarajevo, le coup de main sur Mitrovica avant l’entrée des forces terrestres au Kosovo ou l’attaque du repaire de Ben Laden au Pakistan. Il constitue une menace directe, précise et durable sur des cibles stratégiques. Les hélicoptères permettent également d’évacuer rapidement les blessés du champ de bataille ou d’apporter de la logistique en tous points d’une zone de combat. Ces différentes options ne seront pas nécessairement toutes utilisées en Libye, mais elles restent à la disposition pour la conduite de la guerre.
Au risque de perdre la guerre de Libye, la coalition doit s’adapter à la mutation des modes d’action des forces de Kadhafi. Si la décision d’engagement des hélicoptères est prise, l’initiative française pourra fournir une réponse adaptée qui sera une véritable « rupture tactique ». Au-delà du cas libyen, France et pays membres de l’OTAN devront aussi, tirant les enseignements de cette guerre, investir dans les équipements nécessaires qui sont aujourd’hui insuffisants dans les armées européennes et perfectionner leurs tactiques « d’aérocombat » en combinant étroitement actions des troupes au sol, des drones et des hélicoptères et en les incluant dans un maillage informationnel pour faire face aux défis des guerres asymétriques du futur.
Jean-Claude Allard, ancien commandant de l’aviation légère de l’armée de terre et directeur de recherche à l’IRIS
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