Charles Kouassi In L’Intelligent d’Abidjan N°329 du 6 octobre 2004
Lettre ouverte à Son Excellence Monsieur Laurent Gbagbo‘’La génération couper-décaler, farot-farot veut la paix, elle n’a pas peur de Marcoussis ni de tous les Accra’’
Après le leader du Rdr et le Président du Pdci-Rda, Charles Kouassi s’adresse à S.E.M Laurent Gbagbo dans une lettre ouverte dont le style a contribué à la renommée de l’Intelligent d’Abidjan.
Par où puis-je bien commencer cette lettre que j’ai annoncée sans l’avoir déjà écrite, m’enfermant dans un délai que je suis tenu de respecter. Mes souvenirs me ramènent à cette foi que vous tentiez de communiquer à un de vos amis en août. Nous étions à quelques semaines de l’élection présidentielle.
Revenant des funérailles dans la région de Gagnoa, votre ami a fait escale à Mama votre village que j’avais visité la première fois en 1995 pour un reportage après le boycott actif. Allou Eugène, Lida Kouassi, Sokouri Bohui, que j’ai pu identifier parmi tant d’autres étaient présents. Au retour d’un long tête-à-tête avec vous, votre ami a pris la route, très pensif ne sachant que dire. Mais comme nous étions aussi silencieux et tendus que lui, son fils et moi, il nous a fait cette confidence : ‘’Laurent vient de me dire que dans quelques semaines, il sera Président. Il dit qu’il ne peut me dire sur quoi sa conviction est fondée mais il m’a demandé de me tenir prêt pour servir la République. Ce genre de secret, de confidence, est lourd à porter. Après avoir donc vidé son secret, votre ami est devenu plus relaxe et moi mécontent. Mécontent car durant tout le séjour passé à Gagnoa et dans votre village, je n’ai, à aucun moment, manifesté le désir de vous être présenté. Et je m’en voulais d’avoir snobé le futur président ivoirien (comme FPI mais pas celui de votre collègue Dahico). En fait, le souci et la volonté pour le journaliste de toujours rester inconnu, de brouiller les pistes au niveau de ses sources, ont été plus forts que moi. Je me suis si dit que je m’étais présenté, vous auriez pu deviner mes sources et référence en me lisant souvent !
Je ne voulais pas de cela prenant plaisir à écrire et rester dans l’anonymat vis-à-vis de vous depuis lors. Pourtant, les occasions d’être à votre table n’ont pas manqué ! Cela a suffi, ainsi que quelques articles non laudateurs, pour que dans votre entourage, l’on me fasse passer pour un anti-Gbagbo. C’est à la fois vrai et faux. Vrai parce que je ne fais pas partie de ceux qui ont voté pour vous en Octobre 2000. Rassurez-vous je n’ai pas voté pour Guéi, je suis plutôt resté à l’abri chez moi, loin de l’agitation qui s’annonçait et que je pressentais. L’avenir de la Côte d’Ivoire se jouait à cette date et j’étais étonné par le gros risque que vous aviez pris de ‘’dealer’’ avec Guéi. J’avais peur pour vous, car si le général Guéi avait réussi son hold-up, vous auriez été grillé à jamais, vous auriez été politiquement fini. Votre crédibilité aurait foutu le camp. En fait, le Rdr aussi bien que le Pdci et bien d’autres souhaitaient la victoire de Robert Guéi. Un putschiste qui fait des pseudo élections pour se légitimer est plus facile à combattre au niveau des arguments et à balayer qu’un roublard, un boulanger qui n’a que la ruse pour avancer et dont on ne vend pas cher la peau. Proche du Pdci-Rda et revendiquant surtout un houphouétisme peu courant chez des jeunes de ma génération, j’ai compris et accepté comme beaucoup d’Ivoiriens qu’il fallait mieux faire avec vous que de brûler le pays.
Affi N’guessan a repris cette façon de faire plus tard en parlant de trêve
Presque quatre ans après, qu’avez-vous fait de cette victoire à l’arrachée, de cette victoire que vous avez refusé qu’on vous vole ?
D’abord, il y a eu le complot de la Mercedes noire, le complot de la cabine téléphonique, les alertes incessantes au coup d’Etat et finalement le 19 septembre 2002, un coup d’Etat manqué mué en rébellion ayant pris le contrôle d’une grande partie du pays, la Côte d’Ivoire non utile mais la Côte d’Ivoire quand même. Que de gâchis ! Que d’occasions manquées ! Je retiens simplement le forum pour la réconciliation nationale. Un bon business, un bon topo dont les résolutions non appliquées constituent la trame des accords de Marcoussis et de tous les Accra. Si pour vos adversaires et détracteurs vous êtes le Président dont le mandat a coïncidé avec la guerre, pour ne pas dire crûment que vous avez apporté la guerre dans notre pays, moi je plaide pour que vous soyez aussi et surtout le Président qui conduit à la paix. Quel sacrifice n’avez-vous pas déjà fait ? Ce qui reste à faire me paraît moins difficile que ce qui a été fait. Comme M. Jourdain, vous faites de l’houphouétisme en le niant, vous appliquez également Marcoussis en le niant sauf quand vos adversaires veulent vous prendre à défaut. Excellence M. le Président de la République, j’ai l’impression que vous faites un peu trop et exagérément de la politique.
Je plaide pour que vous soyez l’homme qui construira la paix.
Etre Abraham Lincoln demande davantage de sacrifices que ce que vous avez déjà fait. Vous serez le premier bénéficiaire de la paix ! Faites la paix Excellence ! J’en vois qui diront que vous en avez déjà assez fait et que c’est aux autres, au G7 de faire leur part de sacrifice. Non Excellence aucun effort n’est de trop car les autres n’ont rien à perdre, ils ont plutôt à vous mettre les bâtons dans les roues pour davantage gâcher votre mandat et prendre votre place. MM. Bédié et Ouattara ont trouvé suffisamment de raisons pour taire leurs différences et se rassembler contre vous. Cela est à la fois une force et une faiblesse. Mais il vous revient de voir votre part de responsabilité dans ce mariage insolite entre le père de l’ivoirité (de cette ivoirité que vous avez récupérée à votre manière) et la victime de l’ivoirité. Sur le papier, cette alliance fait beau mais elle est bien tardive et surtout choquante et révoltante pour toutes les victimes de ce combat ! Si en Afrique du Sud, Frederick De Klerk a fait la paix avec Mandela, c’est bien parce que ce n’était pas lui l’instigateur de l’apartheid. Frederick De Klerk a hérité d’un système et il a estimé que ledit système ne pouvait plus prospérer. Gorbatchev et De Klerk n’étaient pas les concepteurs et les cerveaux des systèmes dont ils ont précipité la chute. Le père de l’ivoirité ne peut pas tuer lui-même l’ivoirité.
M. Bédié devait en tirer les leçons et se retirer pour confier ce mea-culpa salvateur à quelqu’un d’autre. Peter Botha en Afrique du Sud et d’autres barons du système soviétique se sont d’ailleurs toujours gardés de se renier ! Enfin, le pardon et la réconciliation de M. Bédié auraient été grands et généreux si lui-même n’était plus dans l’arène politique. Il ne pardonne pas pour la Côte d’Ivoire, pour le cœur ; mais il se réconcilie sur l’autel de ses ambitions. Et M. Ouattara la victime de toujours peut bien donner tous les honneurs à Bédié, flatter son ego pour jouir bien de la vengeance et du plaisir du mea culpa même tardif de Bédié. C’est comme ça la vie et le destin de M. Ouattara : ses détracteurs d’hier deviennent vite ses thuriféraires. On a l’exemple des journalistes qui ont attaqué Ado et sont devenus après, ses hommes de main. Pas besoin de les citer.
Au pouvoir, Guéi l’a vilipendé comme Bédié pour se dédire après ! Un vrai brave tchê cet homme ! Mais le peuple n’est pas dupe. Face à cette situation, Excellence qu’attendez-vous pour faire la paix en appliquant ce qui reste d’Accra et de Marcoussis ? Alors que vous avez résisté dans la guerre et qu’ils n’ont pas pu avoir raison de vous avec les armes et toutes les adversités du monde, comment croyez-vous que, la paix retrouvée, vos adversaires vont vous terrasser ?
Impossible !
Allez à la paix et à leurs conditions, à toutes leurs conditions, car ils savent bien qu’une fois qu’ils auront déposé les armes et que la paix sera revenue, il leur sera difficile de reprendre encore les armes pour un oui ou pour un non. Déjà, je devine votre nom d’après la guerre mais faites un effort pour ne pas tout remettre en cause.
La génération couper-décaler, zouglou, farot-farot, peut vous être acquise. Elle veut la paix, elle a besoin de paix pour aller aux élections et pour faroter dans la paix.
Le radicalisme qu’il y a souvent autour de vous fait peur et semble faire le jeu de vos adversaires qui en applaudissent. Ils comptent les jours et sont pressés d’arriver en octobre 2005, pour s’appuyer sur la partie de la constitution qui les arrange : la fin légale et constitutionnelle de votre mandat.
Même si c’était dans des conditions calamiteuses, vous aviez toutefois été élu en 2000 et reconnu comme tel par la communauté internationale après quelques tergiversations internationales et surtout lorsque vos partisans ont pacifié le pays fut-ce au prix d’un charnier et d’autres morts aujourd’hui oubliés au profit des nouveaux martyrs du G7, ceux du 25 mars 2004. Malgré cette légitimité, certes calamiteuse, qu’ils n’ont jamais vraiment acceptée, vos adversaires vous ont combattu et ont même fait la guerre. A partir d’octobre 2005, ils auront davantage la bouche pour parler si les élections n’ont pas lieu dans les délais impartis. Selon eux, vous ne pourrez plus revendiquer de légitimité dès le dernier jour de votre mandat. La bataille constitutionnelle qui va s’engager pourrait ne pas séduire la communauté internationale qui trouvera enfin l’occasion de vous transformer en Reine d’Angleterre pour avoir un contrôle sur le processus électoral.
Un million de voix
Songez à cela pour ne pas aller trop doucement ! Songez également aux plus d’un million d’Ivoiriens qui vous ont voté en 2000, et dont je ne fis pas personnellement partie. Quoi qu’en disent vos adversaires, qui pensent que le surplus de cinq cents mille voix sur votre maximum depuis le temps d’Houphouët, est plus dû à la volonté de chasser Guéi que de vous voir au pouvoir, (alors que tel n’était pas le calcul des états-majors qui ont appelé au boycott et qui souhaitent que Gbagbo se débatte seul), quoi qu’ils disent donc, vous disposez d’un potentiel de voix d’au moins un million. Vous le pourtant minoritaire ! Quelqu’un qui croit encore au vote tribal m’a même dit que le surplus de voix est constitué des Baoulé qui ont voté pour vous parce que vous aviez promis le retour de Bédié dès votre accession au pouvoir ! Je crois plutôt que vous aviez fait le plein de voix à Abidjan et dans des zones stratégiques et que vous détenez la liste de répartitions des suffrages. En relisant cela, vous deviez enfin comprendre que vous avez intérêt à aller à la paix hic et nunc et surtout être étonné que vos adversaires prennent pour du buff, l’idée de votre réélection en 2005. Les ambitions et les préoccupations des états-majors politiques sont souvent loin des sentiments profonds des peuples. Je ne sais pas dans quel sens l’article 35 sera modifié après le référendum qui est obligatoire, mais j’ai la conviction que dans un premier tour Gbagbo-Ado-Bédié, c’est le dernier cité qui perdra. Il subira le vote sanction de toutes les victimes de coup d’Etat, des ivoiritaires non encore repentis qui pullulent dans le Pdci et qui, pour éviter des risques inutiles, iront voter pour vous en masse pour empêcher que l’ancien nouveau frère de M. Bédié, en l’occurrence M. Ouattara accède à la Magistrature suprême. Les N’Zi Paul David, c’est-à-dire les nouveaux et futurs judas, il en existe beaucoup dans le pays et dans le Pdci-Rda. Après le Fpi et l’épisode du parti unique, après le Rdr, en attendant les pro Fologo, les pro Banny, à côté des N’Zi Paul David (les pro-Gbagbo minoritaires de Pdci), donnez-vous enfin le temps du répit pour savourer la lente mort du serpent Pdci malgré la réconciliation parisienne des Houphouëtistes !
Part de devoir
Excellence M. le Président de la République, j’ai fait ma part de devoir envers vous et envers les deux autres principaux leaders politiques du pays. Ma part de devoir mais aussi de vérité. Du docteur Alassane Ouattara, J’ai prédit qu’il est en route pour la présidence de la République. On a cru que je négociais sérieusement un poste alors qu’il s’agissait de mettre chacun devant ses responsabilités afin que plus personne ne se dérobe et refuse d’assumer désormais. Afin que nul n’en ignore, pour parler comme les juristes.
L’alerte ayant été publique ! Oui tout le monde a été prévenu que M. Ouattara peut être Président, contre vents et marées, envers et contre tous.
Avec M. Bédié, j’ai soldé quelques comptes et j’ai suggéré un peu plus de recul car j’ai le sentiment que toutes les leçons de 1999, n’ont pas été tirées à temps. Et là, voici mes vérités pour vous. Bien entendu ni à vous, ni aux autres leaders, je ne peux avoir tout dit ni tout perçu en l’espace d’une lettre mais je crois avoir exprimé aussi bien le sentiment de vos détracteurs que de certains de vos partisans qui ont certes de l’admiration pour les plus radicaux et durs de vos partisans ; mais qui estiment qu’il y a une autre voie pour la victoire dans et par la paix, même si celle-ci est aux couleurs et aux conditions de Marcoussis et d’Accra. Ceux-là sont des transfuges du Pdci-Rda, des patriotes à leur manière, des patriotes et pro-Gbagbo non militants. Parmi eux, quelques-uns revendiquent d’avoir été parmi ceux qui ont voté pour vous en 2000. Ecoutez leur silencieuse détresse Excellence ! et leur soutien non tapageur…
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