L’universitaire ivoirien Jean Gondo Tompihé lance un cri d’alarme et appelle au respect des droits de l’homme dans son pays.
Après cinq mois de crise, à la suite de l’élection présidentielle contestée du 28 novembre 2010, la situation sécuritaire reste précaire en Côte d’Ivoire et le problème humanitaire préoccupant. Les besoins les plus pressants sont d’ordre médical, en eau potable et pour la prise en charge des réfugiés. Certes, les besoins sont importants, mais le handicap majeur pour la reconstruction d’une Côte d’Ivoire nouvelle reste la question de l’impunité et des violations des droits de l’homme. Si la Côte d’Ivoire faillit à résoudre ce problème qui dure depuis longtemps, le risque de regain de violence serait élevé.
Le test pour Ouattara
Ainsi, le test pour la nouvelle administration du président Alassane Ouattara sera de savoir comment elle abordera la question des massacres qui ont eu lieu dans la partie Ouest du pays. Comme largement rapporté dans la presse, la Fédération internationale de la Croix-Rouge et l’organisation de charité catholique Caritas ont estimé respectivement à 800 et 1.000 civils tués entre le 27 et 29 mars dans la ville de Duékoué. Pour sa part, l’ONU avance le chiffre de 330 personnes tuées dans un quartier qui était contrôlé par les combattants des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Mais il a ajouté que sur les 330 morts, 100 ont été tués par des mercenaires pro-Gbagbo. Ces crimes étaient fondés sur l’appartenance ethnique.
A noter que les violations des droits humains dans de nombreux endroits ont été perpétrées par les forces loyales à Gbagbo ou au président Ouattara. Mais ce qui s’est passé à Duékoué aurait pu au moins être évité. Car une des bases de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) est à 1 kilomètre seulement de cette ville. L’ambassadeur de Côte d’Ivoire en France, Ally Coulibaly, a accusé l’ONU d’être aux «abonnés absents» lors des massacres, quand les FRCI ont pris le contrôle de Duékoué. Mais l’Onuci ne devrait pas être blâmée seule. Avant l’arrivée des forces républicaines, les miliciens de Gbagbo et les mercenaires libériens ont protégé les autochtones d’ethnie guéré, mais ils ont tué des membres des autres tribus et des étrangers ouest-africains considérés comme pro-Ouattara.
Pour ainsi dire, le manque d’anticipation a permis aux informateurs locaux d’identifier les partisans de Gbagbo et les membres des groupes ethniques pro-Gbagbo qui ont été exposés aux vengeances. Ces indications, fondées majoritairement sur la base ethnique, expliquent pourquoi, à Duékoué, les gens ont été tués systématiquement, de quartier en quartier.
En tous les cas, le désir forcené de vengeance présageait que si rien n’était fait avant leur arrivée, les forces pro-Ouattara allaient s’adonner à des exactions graves, foulant ainsi aux pieds les règles élémentaires du droit international humanitaire. Et se poser une question du genre «où était Amnesty International quand Gbagbo massacrait ses compatriotes», comme Konaté Sidiki, un des acteurs majeurs de la rébellion, ne peut justifier les crimes contre l’humanité et absoudre les responsables des massacres.
Toutefois, ce qui est encourageant, c’est que le président Ouattara a ouvertement pris ses distances par rapport à ces atrocités et a demandé à la Cour pénale internationale (CPI) d’enquêter sur ces massacres. Cet engagement est prometteur. Les forces républicaines qui lui sont loyales sont accusées d’avoir commis certains de ces crimes qui ont eu lieu notamment lors de leur offensive victorieuse.
Stop à l’impunité en Côte d’Ivoire
Aussi, à haute voix, nous disons stop à l’impunité en Côte d’Ivoire! Depuis 2000, notre pays souffre de violations chroniques des droits de l’homme qui prennent leur source dans l’idéologie de «l’ivoirité», un concept ultranationaliste qui divise le pays en «Ivoiriens purs» (les indigènes dits originaires) et «Ivoiriens de circonstance » (les immigrants et leurs descendants), les membres des tribus nordistes et les étrangers ouest-africains en général. Cette idéologie «ivoiritaire» a été à la base de la guerre civile de 2002.
Puisque, pendant huit ans, le Sud du pays a été sous contrôle des forces pro-Gbagbo et le Nord sous celui des troupes des forces républicaines, il était prévisible que l’appartenance à un camp ou à un autre pouvait être préjudiciable. On a commis l’erreur de croire qu’après la chute de Gbagbo et le contrôle du pays par les forces républicaines, la population allait retrouver la quiétude. Que non! Nous assistons plutôt à des perquisitions de domiciles, à une chasse à l’homme cruelle suivie de viols, à des exécutions sommaires, des pillages de biens publics et privés dans les quartiers sous le contrôle des FRCI. On va jusqu’à cibler ouvertement les Guéré et les Bété, comme si les membres de ces ethnies étaient tous estampillés miliciens ou supporters de Gbagbo.
Tourner la page sur toutes ces années d’atrocités ne peut s’accomplir que si les deux parties en conflit sont tenues, de façon impartiale, pour responsables des crimes contre l’humanité. Le gouvernement Ouattara se doit de mettre tout en œuvre pour que la CPI enquête sur tous les crimes contre l’humanité commis depuis 2000 et punir les responsables avec rigueur et impartialité. Déroger à cette ligne serait ni plus ni moins faire le lit à la commission d’autres crimes sur des bases identitaire et ethnique. Toute chose qui, comme au Rwanda, aura pour conséquence non seulement d’exacerber la méfiance entre les différents groupes ethniques mais aussi et surtout d’alimenter de plus en plus la violence.
Jean Gondo Tompihé, universitaire ivoirien
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