Les déplacés de guerre ne sont plus aussi nombreux qu’ils l’étaient au début des évènements, dans la cours de l’école Saint-André de Yopougon. Jeudi aux environs de 11heures, nous avons rencontré quelques groupes sur les lieux. «Nous sommes environ 88 personnes. Nous ne recevons pas de nourriture ici. Dans la journée, certains vont quémander pour manger. Nous vivons de mendicité». Celle qui tient ces propos est Goué Giselle, une ménagère qui a fui les tristes évènements de Duékoué pour se réfugier chez des parents à Yopougon, au quartier Gesco. Mais elle y a été rattrapée par la guerre. Certains membres de sa famille se sont exilés au Ghana. Faute de moyens financiers, elle et les siens ont dû rester dans l’école de la cathédrale qui malheureusement, ne peut plus les garder, à cause de la reprise des cours. «On nous demande de partir. Nous ne savons pas où aller», déclare-t-elle. Son fils Kohon Serges Dominique en classe de terminale dans un lycée de Yopougon est également sur le site. «Nous cherchons à rentrer au village», dit-il. Quand on lui parle d’école, il répond : «La situation n’est pas très stable. Nous préférons aller au village. Malheureu-sement, à Bangolo, on a tout pillé chez nous», ajoute-t-il. Goualia Pulcherie est également sur le site avec son époux et ses jumelles. Leur maison située au quartier Gesco a été détruite. Un peu plus loin, nous sommes interpellées par un pasteur originaire de Man, qui voit en nous son dernier espoir : «On ne nous donne pas à manger. Nous voulons bien retourner chez nous, mais nous n’avons pas d’argent». Nous dit-il, en espérant être entendu.
Deux mois sans nourriture
Une jeune fille au visage amaigri et malade sans soins, nous apprend que cela fait deux mois que les déplacés résidant dans cette école n’ont pas reçu de nourriture. A la question de savoir si la Caritas, le service social de l’Eglise catholique, ne passe pas par là, elle répond : «C’est seulement hier (ndlr : mardi 11 mai) que la Caritas est venue».
Le décor est tout autre à la paroisse Saint-Ambroise du Jubilé d’Angré. Il n’y a plus de déplacés sur le site, en dehors de quelques personnes qui viennent en consultation, sous des abris où les attend un personnel de santé qui leur donne gratuitement des soins. Selon Dr Tahi Brice, pharmacien, membre de la Caritas paroissiale, depuis le 27 février, il y a environ 5425 personnes qui ont transité sur le site de cette paroisse. Ces personnes d’origines diverses venaient principalement d’Abobo, où ont débuté les premiers combats à Abidjan. «A un moment donné, compte tenu du fait qu’il y avait beaucoup de personnes sur le site et des cas de maladies, le gouvernement d’alors a décidé de le désengorger en créant un autre au Collège Lemania aux Deux Plateaux. Environ 2000 déplacés y ont été adressés», explique Dr Tahi.
Des convois ont également été organisés par l’ancien gouvernement et des personnes de bonne volonté pour transporter ces populations sur différentes villes: Yamoussoukro, Abengourou, etc.
D’autres déplacés ont rejoint des quartiers d’Abidjan qui étaient plus calmes. Notamment Port-Bouet, Marcory et même Yopougon avant que la situation ne s’y aggrave.
Les déplacés qui n’ont pu rejoindre le site de Lemania ou aller ailleurs sont restés sur la paroisse. Environ 1500 personnes y étaient prises en charge, a travers une assistance médicale, avec l’unité de soins qui a été mise en place sur le site. Des soins primaires. Mais, il y a aussi eu beaucoup d’accouchements. «Nous avons des pédiatres et des sages-femmes. Donc, nous avons eu 27 enfants qui sont nés sur le site», relève notre interlocuteur. Les médicaments sont achetés par la Caritas paroissiale, une autre partie vient des dons de paroissiens, et l’autre de la Croix-Rouge. Les déplacés recevaient également de la nourriture. Dr Tahi affirme cependant qu’à partir du 11 avril, la situation du pays s’est dégradée, avec l’intrusion régulière des hommes en armes dans l’église, ainsi que des coups de feu.
Aussi, pour la sécurité des déplacés, le curé, l’Abbé Désiré Eliasson, a décidé, avec le conseil paroissial, de les placer sous la responsabilité des communautés ecclésiales de base (Ceb), où des familles ont accepté de les accueillir . 1000 personnes ont ainsi été placées dans des foyers, avec des adresses précises, avec le nombre de personnes reçues par le chef de famille, etc. «C’est sur cette base de données que nous travaillons. Du fait que ces personnes n’ont rien et que depuis le mois de mars, il n’y a vraiment pas d’hôpital à Abidjan, particulièrement dans la commune de Cocody, nous avons maintenu l’unité de soins pour permettre à ces personnes-là de recevoir des soins primaires. Parce qu’elles n’ont pas les moyens d’aller à l’hôpital», explique Dr Tahi.
La paroisse ne pouvant plus faire la cuisine collective, les dons sont désormais distribués aux familles, 70 au total pour environ, 1029 personnes. Chaque jour, trois sacs de riz sont également déposés au collège Lemania. «Nous gérons les déplacés ici, et nous continuons d’assister ceux qui sont au Lemania», souligne le docteur.
Au siège de Caritas Côte d’Ivoire, une réunion a été tenue mercredi par le coordonnateur des opérations humanitaires de l’institution, Jean Djoman, avec les diocèses de la province d’Abidjan, notamment Yopougon, et le secteur Sud du diocèse de Grand-Bassam, pour faire le point des activités et voir comment réorienter le travail dans la phase actuelle de la situation humanitaire. «Il fallait revoir nos stratégies dans différents secteurs d’activité: distribution alimentaire, santé, hygiène, assainissement, éducation, protection, etc., afin de voir la suite des actions que nous allons mener sur le terrain».
Au niveau du diocèse d’Abidjan, la Caritas a en charge deux sites de déplacés: Saint-Joseph d’Attécoubé, et Saint-Augustin de Bingerville. Dans le diocèse de Youpougon, il y en a sept. Saint-Sauveur, Saint-Marc des Toits Rouges, Saint-Bernard d’Adiopo-doumé et Saint-Joseph de la gare. Soit un total de neuf sites.
Le nombre de déplacés sur les sites de Yopougon est estimé à environ 5000. A Attécoubé, ils sont autour de 1700 personnes, et 1200 à Bingerville.
Pas de sécurité
La question de la sécurité des sites est cependant préoccupante. Les déplacés ne s’y sentent pas en sécurité. Pour cela, malgré l’accalmie qui règne dans la cité, certains déplacés préfèrent ne pas retourner chez eux. «D’autres continuent de venir sur les sites. Parce que ceux d’entre eux qui ont essayé de repartir à la maison, disent n’y avoir pas trouvé la sécurité», souligne le coordonnateur des opérations humanitaires de Caritas Côte d’Ivoire. Qui dénonce le fait qu’aucune mesure sécuritaire n’ait été prise sur le site. Il ajoute également que la question est traitée au niveau de la coordination humanitaire. Car «la sécurité concerne aussi bien les populations déplacées que les acteurs humanitaires qui interviennent sur le terrain». La preuve, le responsable de la Caritas de la paroisse d’Ananeraie, M. Aboya, a été tué par une balle perdue durant les heures chaudes des combats à Yopougon. «Pendant la période des affrontements, les humanitaires que nous sommes avions la préoccupation d’aller secourir la population restée cloîtrée à la maison, ainsi que les nombreux déplacés sur les sites, qui vivaient aussi les affrontements, et qui n’avaient pas de quoi manger, ni de médicaments… Malheureusement, le couloir humanitaire n’a pas été organisé dans les délais, et les populations sont restées sans assistance», souligne-t-il. Dans certains quartiers, la Caritas a repris ses activités à la mi-avril dès que la circulation a été possible.
Selon M. Djoman, les communautés des sites d’accueil doivent en principe s’organiser pour la prise en charge des déplacés, comme cela se fait à Saint-Ambroise du Jubilé d’Angré. Malheureusement, les moyens dont ces communautés disposent ne leur permettent pas de prendre tout le monde en charge au plan alimentaire. «Lorsqu’il y a un peu de vivres que l’on pense en priorité aux personnes vulnérables : les personnes âgées, les femmes enceintes, les enfants. Parce que les autres peuvent sortir pour aller chercher de la nourriture», indique M. Djoman. Il explique par ailleurs qu’avec l’appui du réseau Caritas mondial, l’organisation a pu mobiliser des ressources qui vont permettre de renforcer les actions sur les paroisses ayant accueilli des déplacés. C’est plus de 495 tonnes de vivres qui seront mobilisées pour la prise en charge des populations sur une période de trois mois. Il précise que l’assistance va s’organiser autour des populations sur les sites, dans les familles d’accueil et même lorsqu’elles seront retournées chez elles.
Le coordonnateur des opérations humanitaires de Caritas Côte d’Ivoire a aussi indiqué que l’organisation est en contact avec les nouvelles autorités. Des réunions se tiennent, pour ensemble voir comment orienter l’action humanitaire. «Le gouvernement est progressivement en train de prendre le pouls de la situation. Des stratégies de collaboration vont être définies, lorsque les choses seront totalement mises en place», fait-il savoir, en indiquant que dans ce créneau-là, la communauté humanitaire discutera avec les autorités gouvernementales de leurs attentes. Et Caritas fera également ses doléances. Mais pour lui «selon les principes directeurs édités par Ocha, sur les personnes déplacées, les autorités gouvernementales en sont les premiers responsables». C’est donc normal, estime –t-il, qu’il y ait une synergie d’actions entre le gouvernement et les acteurs humanitaires qui ne font qu’appuyer le gouvernement dans son travail sur le terrain.
MARIE-Adèle Djidjé
Fraternité Matin
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