Toulepleu comme Duékoué, Rivalité interethnique, Peur et destruction

Refugiés à Duékoué par Connectionivoirienne.net

En Côte d’Ivoire, le souvenir des massacres pèse toujours

Selon nos informations, le département de Toulepleu, dans l’ouest du pays, près de la frontière avec le Liberia, aurait été victime du même scénario qu’à Duékoué.

À Duékoué, l’une des plus grandes villes de la région, plusieurs centaines de personnes auraient été tuées après l’entrée des forces pro-Ouattara.

Des dizaines et des dizaines de villages sont totalement ou quasiment vides dans le département ivoirien de Toulepleu (35 000 habitants), à la frontière du Liberia, peuplé historiquement par l’ethnie guérée. Seuls les chiens et les cochons errent en liberté entre les greniers brûlés, les cases ouvertes, les puits pollués. « Sur les 60 villages alentour, plus de 90 % ont été attaqués », explique Marcel Thiehi Koueyyon, un agent recenseur de la ville.

Dans certains endroits, comme à la sous-préfecture de Tioubli, on ne trouve qu’une dizaine de personnes : les soldats FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire, pro-Ouattara) chargés de sécuriser et de rassurer les « déplacés ».

Peine perdue, pour l’heure, puisque personne ou presque n’a pris le chemin du retour. Le village de Bésoudi compte un habitant ; ceux de N’Guiglo et Naisombe, une poignée. Lorsqu’on y entre, des femmes et des enfants s’enfuient précipitamment dans la forêt.

À Toulepleu, seuls 1 500 des 13 000 habitants seraient de retour. Les autres se sont réfugiés dans la brousse ou au Liberia. Ils vivent dans la terreur de ce qu’ils ont vécu.

À Péhé, à quelques kilomètres, Maxime, de passage pour quelques heures avant de rentrer dans son campement en brousse, confie discrètement : « On a tué 120 des nôtres ici. Après l’arrivée des FRCI, les Yacoubas ont fait le ménage. » Parmi les morts, dit-il, le chef du village, Gilbert Kah Gnangbeei. « Il y a encore des corps », dit un autre. Pas très loin de l’école, gît un cadavre, les mains attachées par une corde verte.

Rivalité interethnique

De nombreux rescapés de l’ethnie guérée qui acceptent de parler racontent la même chose : les FRCI se sont appuyés sur une milice composée de Yacoubas, une ethnie rivale, pour s’emparer de la région en mars dernier, avant leur grande offensive du 28 mars en direction de l’est du pays qui a abouti à la chute de l’ex-président Laurent Gbagbo. Les miliciens se sont servis au passage, tuant et pillant en toute impunité.

Une version qui ne correspond pas à la thèse officielle. « Ceux qui ont brûlé, pillé et tué ? Mais ce sont les miliciens guérés et les mercenaires libériens qui, chassés par les FRCI, ont tout saccagé sur leur passage avant de se réfugier au Liberia », affirme Mara Laciné, chargé de communication des FRCI dans la région.

« Mais pourquoi nos frères miliciens, d’ici ou du Liberia, tous guérés, s’en seraient-ils pris à nous ? Pourquoi détruire les maisons, les écoles, les villages de leurs parents ? », rétorque un villageois de Péhé. « Et pourquoi nombre d’entre nous se sentent-ils plus en sécurité au Liberia, dans le pays de leurs soi-disant persécuteurs, plutôt qu’en Côte d’Ivoire ? », ajoute un autre.

Selon nos informations, le département de Toulepleu aurait été victime du même scénario qu’à Duékoué, l’une des plus grandes villes de la région, où plusieurs centaines de personnes auraient été tuées après l’entrée des FRCI, ce qui a déclenché une enquête de l’ONU. Les forces pro-Ouattara se seraient appuyées sur une rivalité interethnique pour s’emparer de la zone et n’auraient pas été capables d’éviter les règlements de comptes qui s’en sont suivis.

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Camp de miliciens Guéré Pro Gbagbo à Duékoué par Connectionivoirienne.net

Les Guérés, grands perdants de la crise

En 2002, lors du précédent conflit entre nord et sud du pays, les Guérés étaient déjà du côté de Laurent Gbagbo et les Yacoubas du côté des Forces nouvelles (premier nom des FRCI). Pendant les combats, les miliciens guérés s’en étaient directement pris à la population yacouba : on leur attribue notamment la mort de 40 personnes dans la mission catholique de Zouan-Hounien. Des crimes que les Guérés ont vraisemblablement payés cette année.

« À cela, il faut ajouter le comportement des miliciens guérés avant et après la campagne présidentielle de l’automne 2010, souligne un observateur indépendant. Ces jeunes gens surarmés se sont crus les rois du monde.

Leurs chefs les ont chauffés à blanc, les appelant à attaquer directement les FRCI qui stationnaient dans la région yacouba, au nord de Toulepleu. Le 24 février, 87 d’entre eux ont été tués par l’armée d’Alassane Ouattara. S’ils avaient gagné, tout le monde sait ici qu’ils s’en seraient alors pris aux Yacoubas. C’est pourquoi certains Yacoubas ont voulu se débarrasser de cette menace en soutenant les FRCI. »

Si, dans la région de Toulepleu, les Guérés sont les grands perdants de la crise post-électorale, leur milice est elle aussi responsable d’exactions graves, comme le soulignent les nouvelles autorités. Notamment dans les environs de Bloléquin, à 60 km à l’est de Toulepleu.

Peur et destruction

« Pour nous, le calvaire a véritablement commencé lorsque les Guérés de Bloléquin ont appelé leurs frères du Liberia pour nous chasser. Le 9 mars, les mercenaires libériens sont venus dans nos campements. Ils nous reprochaient d’avoir voté pour Ouattara. Ils ont tué deux des nôtres. Nous nous sommes aussitôt enfuis dans la brousse », se souvient Kariakou N’Guessan, un planteur.

« Après quatre jours de marche, nous nous sommes installés dans la périphérie de Bloléquin, où stationnaient les FRCI. Elles ont attaqué la ville le 21 mars. Obligés de décrocher, les miliciens guérés s’en sont pris aux allogènes (1) : Burkinabés, Maliens, nordistes. Un carnage ! » Un autre témoin raconte avoir vu une quarantaine de cadavres dans la ville, le 24 mars.

Kariakou a, depuis, trouvé refuge dans la mission catholique de Zouan-Hounien, avec 1 000 autres déplacés des alentours de Bloléquin. Mais eux, contrairement aux déplacés de Toulepleu, sont désormais du côté des vainqueurs. Ils n’attendent qu’une chose : qu’on leur donne les moyens de retourner chez eux et de cultiver leur parcelle.

Pour les Guérés, le retour n’est pas encore d’actualité. « Pourtant nos conditions de vie sont éprouvantes. J’ai perdu un enfant de 8 ans. Nous souffrons de la faim, nous n’avons pas de soins. Mais nous avons eu trop peur. Nous préférons mourir de faim dans la brousse que de retomber entre les mains des Yacoubas, explique Geneviève, en brousse depuis deux mois. Et puis revenir pour quoi faire ? Tout est détruit chez nous ! »

(1) Nom donné en Côte d’Ivoire aux habitants non autochtones d’une région.

LAURENT LARCHER, à Toulepleu
la-croix.com

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