Ghana-Côte d’Ivoire – La reconstruction va bon train en Côte d’Ivoire et la réconciliation se poursuit. En attendant d’être installé, Alassane Dramane Ouattara (ADO), le chef de l’Etat élu en novembre dernier, renforce chaque jour sa maîtrise du pays au plan sécuritaire. Pourtant, pays voisin et frère, le Ghana n’a jusque-là pas joué la carte de la transparence. Cela sème la confusion et les partisans de Gbagbo cherchent à profiter de la situation. L’on se souvient des tiraillements entre les partisans d’ADO, vainqueur de l’élection présidentielle ivoirienne, et ceux de son adversaire Laurent Koudou Gbagbo, mauvais perdant.
A l’époque, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait ressenti le besoin de chasser Gbagbo du palais d’Abidjan. L’homme avait été gagné par la boulimie du pouvoir. Le Ghana fut parmi les plus récalcitrants, arguant qu’il entendait demeurer neutre. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire cherche à tourner la page. Reconnu par la communauté internationale, ADO est à la veille d’être investi officiellement dans ses nouvelles fonctions de président de la République. Mais alors que l’heure est à la restauration de l’autorité de l’Etat républicain et à la justice, les autorités ghanéennes, elles, semblent vouloir pêcher en eaux troubles. En effet, sauf erreur de notre part, Accra n’a jusque-là pas reconnu officiellement la victoire d’ADO aux élections. Une conduite qui ne devrait pas surprendre, Accra se situant dans la même perspective qu’au tout début de la crise ivoirienne. Le Ghana manquerait-il de courage ? En tout cas, l’équipe d’Atta Mills semble avoir du mal à se ranger. Pourtant, elle aurait pu arrêter de tergiverser pour appuyer celui qui porte le sceau de la légalité, ne serait-ce que par mesure de prudence.
Mais sans que l’on sache pourquoi, Accra a choisi de jouer les Ponce Pilate. Cela est d’autant plus décevant que, comme la plupart des étrangers, bien des Ghanéens ont dû souffrir le martyre, du temps où les partisans de Gbagbo faisaient la pluie et le beau temps en Côte d’Ivoire. Pourquoi donc ce jeu ambivalent ? Pourquoi offrir l’asile à de grands délinquants, comme Blé Goudé coupable d’avoir levé et géré des milices responsables de massacres de populations civiles, innocentes et désarmées ? Les actes posés à Accra et le silence qui les entoure suscitent de réelles inquiétudes. Au gouvernement ghanéen de jouer la carte de la transparence. Il lui faut faire une déclaration officielle pour situer les Africains. Le passé parle contre le Ghana. De telles ambiguïtés sont de nature à encourager des opposants ivoiriens déclarés et à les inciter à constituer au Ghana une base-arrière susceptible de s’en prendre au nouveau régime en place.
En tout cas, si des opposants ivoiriens notoirement connus regagnent le Ghana, c’est qu’ils sont sûrs d’y trouver un havre de paix. Ceci, après avoir transformé leur pays en enfer pour les autres. Il ne faut point faciliter la tâche à de tels individus. Ils sont sans scrupules. A moins que le Ghana ne veuille profiter d’un éventuel pourrissement de la situation pour se substituer à la Côte d’Ivoire à la tête des pays recordmen de la filière cacao.
Pour l’heure, la terre natale de N’krumah apparaît comme un refuge idéal pour la grande majorité de prédateurs ivoiriens. S’ils y vont, c’est bien parce qu’ils sont assurés d’y trouver écoute et bon accueil. Mieux qu’ailleurs dans la sous-région, sans doute ! Les autorités d’Accra sauront-elles les extrader le moment venu ? On attend de voir. Nombre d’entre eux doivent avoir des choses à se reprocher, et donc des comptes à rendre à la justice. Ben Ali, le président tunisien déchu, avait tenté en vain de trouver refuge en France, pays des droits de l’Homme et qui a donné asile à de nombreux exilés. D’où vient-il donc que le Ghana serve de tanière à des individus aussi sanguinaires ? Certes, entre le Ghana et la Côte d’Ivoire, les frontières sont poreuses. Mais la question se pose aussi de savoir si les intrigues actuelles ne trouvent pas leurs sources dans l’histoire.
Par le passé en effet, une certaine tension avait marqué les rapports entre les deux pays, notamment du temps de Félix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne. Ce dernier avait vu d’un mauvais oeil l’avènement d’un certain Jerry John Rawlings à la tête du Ghana voisin. L’acharnement du remuant jeune chef d’Etat à mettre un terme à l’aplatissement devant les anciennes puissances coloniales, à la corruption rampante et au clientélisme, avait alors conduit le Ghana sur le chemin des mesures propres à l’Etat d’exception, notamment les exécutions sommaires. Le risque était donc grand de voir Rawlings faire des émules dans les autres pays. Du haut de son éclat, le « Vieux » n’avait pas hésité à prendre ses distances vis-à-vis de ce régime, complètement à l’opposé de ses principes.
Aujourd’hui, ses fidèles, les houphouëtistes, rassemblés au sein du RHDP, sont de nouveau au pouvoir. De l’autre côté, au Ghana, les héritiers de Rawlings sont également de retour. Comment donc ne pas croire que les vieux démons des rivalités mesquines sont également de la partie ? ADO et ses partisans pourraient donc bien faire les frais de vieux règlements de compte par personnes interposées ! Si cela se vérifiait, Accra prendrait alors le risque de se mettre à dos le pouvoir ivoirien. Car, le contexte, les hommes et les enjeux ne sont plus les mêmes. Toutefois, on peut supposer que c’est par pragmatisme que les autorités ghanéennes font actuellement profil bas : le temps qu’ADO soit officiellement investi dans sa nouvelle fonction.
Par ailleurs, avec les charniers qui se découvrent au fur et à mesure en Côte d’Ivoire, et les langues se déliant, tôt ou tard, Blé Goudé et compagnie seront pris à leurs propres pièges. Après tout ce qu’ils ont dit, fait et fait faire, il est hors de doute que ces individus deviendront partout des personnages fort encombrants. Et le Ghana qu’ils mettent dans une posture inconfortable aujourd’hui, va devoir se ranger le moment venu. Ses autorités n’ont guère le choix. Aucun des héritiers de N’krumah ne voudra tourner le dos aux principes républicains, encore moins contribuer à freiner l’avancée de la démocratie et de la liberté sur ce continent.
Le Pays/06/05/2011
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