Par Esther Kouablan
J’ai lu un article, dans lequel l’auteur pose la question du devenir de la FESCI, à savoir s’il fallait la dissoudre ou pas?
En tant qu’ancienne militante de ce syndicat, anciennement SG de yopougon, sous Ahipaud Martial, puis Djué et Blé Guirao, je tenais à apporter ma contribution.
La FESCI, Fédération Estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, à l’origine est un syndicat estudiantin qui devait lutter pour les conditions de travail et de vie des élèves et étudiants. Sous le pouvoir PDCI en son temps, la lutte fut âpre. Avant l’ascension de Blé Goudé à la tête de la FESCI, ce syndicat avait eu à poser des actes valables pour essayer d’améliorer les conditions des élèves et étudiants de notre pays. Personne à cette époque n’avait roulé dans une 4×4, personne à cette époque n’a eu en sa possession un pistolet ou une kalachnikov. Les seules armes dont nous, nous disposions étaient la parole et les « lacry baoulé » pour dissuader les étudiants de suivre des cours, quand il le fallait. C’était l’époque où être un leader de ce syndicat était synonyme de représailles. Des camarades sont partis en exil, d’autres ont été radiés des écoles, et pour certains la vie scolaire s’est arrêtée là. Mais nous avions la conviction que les objectifs à atteindre étaient nobles et communautaires. Nous ne recherchions pas à être riches, à avoir des villas, ou des comptes en banques fournis. Nous voulions tout simplement pouvoir faire nos études dans des conditions plus acceptables. Nous voulions plus d’amphis et plus de salles de classes. Nous voulions que nos parents soient moins taxés sur leur participations financières à nos écoles dans un pays où on disait que l’école était gratuite. Nous voulions que l’argent du pays serve à construire des classes, des universités, offrir des bourses d’études aux plus méritants pour aider notre jeunesse à faire de bonnes études et à participer à la vie de notre nation en passant des concours dont les résultats ne seraient pas monnayés. Moi personnellement et beaucoup avec moi, ont cru à cela, d’où notre engagement. Les arrestations ne nous ont pas empêché de croire en cela, car pour nous le combat était plus contre un système qui ne permettait pas à l’élève et à l’étudiant de vivre sa scolarité dans des conditions dignes et honorables, pouvant un jour les conduire à avoir un travail convenable.
A cette époque, nous n’ignorions pas qu’à certains concours, avec un peu d’argent on pouvait arriver à figurer sur les listes des reçus si on avait le bon tuyau. Mais le phénomène était moins grave, car seule la minorité y parvenait de cette façon. Puis il y a eu « Blé Goudé », et est arrivée la machette à l’université. La violence gratuite est devenue le premier moyen de persuasion. Puis il y a eu l’arrivée du FPI au pouvoir. Et là tout a basculé.
La question que nous devons nous poser avant de discuter, de débattre d’une certaine dissolution de la FESCI est celle là : qu’est ce qui s’est passé entre 2000 et 2010? Pourquoi en un temps record, si rapidement après que le FPI ait pris le pouvoir, la FESCI s’est transformé en ce monstre que nous avons connu ces dix dernières années? A mon analyse, la raison est toute simple. Certainement des réponses à rechercher sur la légitimité du pouvoir FPI en 2000 et de son besoin d’avoir un bras séculier pour se maintenir au pouvoir.
Je ne pense pas avoir oublié les textes fondateurs de la FESCI. Et pour mémoire, le FPI n’était pas membre fondateur de la FESCI à sa création, ni aucun de ses responsables d’ailleurs et je crois que Marial Ahipeaud, Djué Eugène, Blé Guirao, Soro Guillaume… pour ne citer que ceux là, pourront le confirmer.
Le FPI a corrompu ce syndicat, par le biais d’étudiants devenus carriéristes à la fesci et à l’université, peu soucieux d’allier études et militantisme syndical, pour sortir leur épingle du jeu de la vie. La FESCI je le rappelle n’a pas été créée pour servir le FPI et d’ailleurs elle n’a pas été créée pour servir aucun parti politique, quel qu’il soit. Les responsables de la FESCI, sous le pouvoir de Gbagbo l’ont été par simples calculs politiciens, pressés d’arriver avant même d’avoir commencé la course. Sinon, comment comprendre que des soi disant représentants des élèves et étudiants ou de jeunesse et autres soient devenus soudain les « tous puissants seigneurs », aussi intouchables qu’intraitables dans leur volonté coûte que coûte d’aider l’ex pouvoir d’antan à instaurer un climat de peur et d’utiliser la violence comme seule voix de recours. Pourquoi certains n’ont pas pu continuer leurs études, alors que tous autant, on a été en prison dans les années 90, on a raté des UV, certains d’entre nous ont dû reprendre une année ou deux d’études, mais ceux qui le voulaient, et il y en a, ont pu continuer leurs études, avoir des diplômes, réussir des concours et travailler honnêtement sans avoir été obligés de se tremper dans des agissements macabres et scabreux. Ils ont fait le choix inacceptable d’allier une lutte syndicale qui n’en était plus une à un projet politique égoïste et personnel doublé d’un culte à une personnalité politique. Tout ce qu’en son temps nous avons combattu, au péril de nos études et parfois de nos vies.
Le FPI de l’opposition qui dans ses années d’opposition avait promis de construire des universités, des écoles, des hôpitaux si il arrivait au pouvoir, et qui une fois installée sur la plus haute magistrature de notre pays n’a semé que désolation et désespoir dans la population.
Si la FESCI est devenue ce montre c’est à cause de ce FPI devenu subitement sangsue, gourmand et vorace, pressé de dilapider les deniers publics, oubliant que être au pouvoir, ce n’est pas se servir dans les caisses de l’Etat, mais plutôt mettre ces caisses au service du bien-être du peuple, en réalisant des œuvres pour le développement socio-économique de son peuple afin que notre pays joue sa partition dans le concert des nations.
Si la FESCI est devenue un groupe d’étudiants arrivistes qui y ont vu le moyen de s’enrichir, de façon rapide et illégale, sans passer par la case départ, c’est à dire, finir leurs études, passer des concours, travailler ou mettre en place un projet, et vivre de leur activité professionnelle. Si la FESCI n’avait pas accepté d’être ce monstre-allié du FPI, si la FESCI avait continué à revendiquer de meilleures conditions de travail et de vie pour les élèves et étudiants, elle serait encore ce syndicat avec des idéaux qu’on lui a connus.
Je n’en suis pas très fière, beaucoup d’anciens camarades n’en sont pas très fiers, et nous avons jugé toujours inacceptable ce nouveau monstre, complètement en dehors des réalités que nous avons connues, et qui, au lieu d’aider les élèves et étudiants, les a spoliés de leurs chambres sur les campus et les a parfois tués parce qu’ils n’étaient pas du même bord politico-syndical, les a nargués et s’est moqué d’eux.
Inacceptable que ce soit un syndicat estudiantin qui attribue des chambres sur un campus universitaire!
Inacceptable que les espaces verts aux abords des campus et cités aient été transformés en parcelles, qui pour un maquis-restaurant, qui pour un bar…!
Inacceptable que ces syndicalistes d’un nouvel acabit soient devenus des percepteurs d’impôts!
Inacceptable que ces syndicalistes soient devenus des agents immobiliers ayant à leur actif des portefeuilles de chambres dans les différentes cités universitaires en les louant au prix fort au détriment des vrais étudiants !
Inacceptable que les responsables de l’université aient été incapables de prendre leurs responsabilités dans ce magma d’actes relevant de la pure mafia d’un âge révolu!
Inacceptables que le régime de Laurent Gbagbo, non seulement ait laissé faire mais pis ait créé les conditions pour que cela se fasse et l’ait cautionné!
Dans le nouvel ordre qui se met en place en Côte d’Ivoire, il est plus que nécessaire que les responsables de tous les actes crapuleux paient pour ce qu’ils ont fait, autant les tenants de l’ancien pouvoir qui ont trempé par des actes délictueux et d’ignominie que les étudiants qui ont contribué à semer la désespérance dans nos écoles et universités en se servant de la FESCI. Ils sont responsables, qu’ils soient jugés et paient pour leurs actes.
Nonobstant tout ce qui précède, la FESCI en tant que structure, de mon humble avis ne doit pas être dissoute. Le dérapage dont elle a été l’objet doit servir de leçon pour l’avenir, et en punissant les responsables d’un tel dérapage, c’est la meilleure leçon qu’on puisse donner à notre jeunesse, afin qu’elle prenne réellement conscience que seul le travail, le vrai, le travail sincère et honnête peut sortir l’homme de la misère.
En permettant à la FESCI de continuer à exister, c’est permettre aussi et désormais à d’autres syndicats de se créer et d’exister, afin de lutter encore et toujours pour de meilleures conditions de vie et d’études pour les élèves et étudiants. Tout comme le parti unique, un syndicat unique est toujours un risque d’abus et de musèlement, or quand il y a contradiction saine dans un contexte démocratique vrai, la pluralité au lieu de disperser sert les vraies causes des communautés et des nations en créant des dynamiques fortes et sincères.
Le parti politique, dans sa lutte continuelle a pour objectif final la prise du pouvoir en vue de mettre en œuvre son projet de société, sinon ce n’est pas un parti politique. Alors que l’objectif primordial du syndicat est de lutter pour de meilleures conditions de vie de ses adhérents. L’un et l’autre peuvent collaborer à certains moments pour apporter des solutions viables pour la société, mais jamais un syndicat ne doit et ne peut devenir une section « sui generis » d’un parti politique comme ce fut le cas du FPI et de la FESCI.
Aujourd’hui notre jeunesse a besoin de se reconstruire car pendant dix longues années elle a été l’objet d’acharnement sans précédent. Notre école est malade, nos universités sont malades, notre système éducatif est à l’agonie et je garde l’espoir que sa prise en charge par le nouveau pouvoir sera effectif afin de le réhabiliter et lui redonner ses lettres de noblesse, afin de permettre à nos jeunes frères et sœurs de bénéficier de l’instruction nécessaire pour la reconstruction d’une Côte d’Ivoire nouvelle et forte où le travail deviendra un mot d’ordre permanent.
Esther Kouablan
Ancienne SG de Yopougon (92 et 93)
fkouablan@yahoo.fr
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