Le pays tente de retrouver, très laborieusement, sa voie après la chute de l’ancien régime. Les choses ne seront pas aisées pour le pouvoir actuel si tant est que certains fieffés charlatans avaient prédit qu’après Gbagbo, ce serait le chaos comme si la destinée d’un pays se résumait et se confondait à celle d’un seul homme. Mais l’on a oublié que du chaos renaît la vie .N’est-ce pas que du rien, il y a toujours quelque chose? Le rien n’est-il pas lui-même ce qui est, ce quelque chose qui s’appelle le rien par la volonté de l’intelligence? L’Intelligence ne donne-t-elle pas sens et vie au chaos?
Si le chaos tant souhaité est arrivé le 28 novembre, force est d’admettre, aujourd’hui, qu’une nouvelle vie a commencé à renaître depuis le 11 avril 2011. Pour la Côte d’Ivoire, l’histoire ne serait jamais un perpétuel recommencement si le peuple et surtout, les nouveaux dirigeants, savent se souvenir. À la vérité, si les acteurs de notre histoire récente demeurent les mêmes, les rôles ont, certainement, changé. Mais ce qui pourrait inquiéter, ce sont les pratiques, les mises en scènes, les partitions que chacun d’entre- nous devrait jouer non pour une fin de l’histoire mais pour un commencement nécessaire vers un but nécessaire. Cela suppose que chaque acteur mesure la plénitude de ses responsabilités et qu’il comprenne que chaque pas qu’il pose est un pas sacré pour son pays et que l’histoire de ce pas est l’histoire-pour la Côte d’Ivoire. Chaque pas et chaque pensée de chaque ivoirien ne doivent plus consister, comme le dit Claude Lévi-Strauss, «à aller toujours plus loin dans la même direction; ils s’accompagnent de changement d’orientation, un peu à la manière du cavalier des échecs qui a toujours à sa disposition plusieurs progressions mais jamais dans le même sens.» C’est ainsi que la Côte d’Ivoire sera plus démocratique et plus, économiquement et socialement, épanouie.
Le progrès de notre pays dépendra, à coups sûrs, des mentalités des nouveaux acteurs du changement, de leurs rôles et de leurs fonctions. On sait qu’en Afrique, le slogan : «l’homme qu’il faut à la place qu’il faut» est un leurre. Mais le Président Ouattara se doit de nous montrer ses capacités de dépassement et prouver au monde que l’Afrique peut sortir des sentiers battus en s’imposant une éthique de la politique, une éthique de la vie et de la responsabilité. La question n’est plus de savoir si Ouattara réussira ou pas. Il doit réussir, c’est un impératif catégorique. Le peuple de Côte d’Ivoire ne veut plus continuer à être déçu de ses intellectuels devenus présidents. Le chef de l’État doit faire sa possibilité et montrer que la Côte d’Ivoire ne doit plus continuer à vivre d’espérance mais elle doit se res-sourcer d’angoisse et de certitude. Angoisse du travail et du souvenir de ceux qui sont morts pour LA RE-NAISSANCE et certitude du développement économique, social et culturel pour forger la nouvelle nation ivoirienne du vivre-ensemble. Pour ce faire, le président Alassane Ouattara doit savoir poser ses pas. Poser ses pas ne signifie pas, ici, mettre un pas à côté de l’autre pour avancer car avancer peut signifier aussi reculer ou partir n’importe où pour faire n’importe –quoi. Avancer, c’est faire attention à ses prises de décisions; c’est analyser avec minutie les choix des hommes, leurs rôles et leurs fonctions. À toute chose, il faut une méthode et celle du nouveau président devrait être d’éviter d’être l’otage de ses propres hommes, de son entourage, des faiseurs de rois et des griots de tous acabits. Il faut le dire tout de suite, ce qui a fait perdre M. Laurent Gbagbo, c’est son entourage, ses prétendus conseillers qui l’ont conduit dans l’abîme. Malheureusement, il faudra encore, pour le nouveau pouvoir, se méfier de l’opium de ces intellectuels qui sont autour du pouvoir et auprès du pouvoir et dont les conseils sont faucilisés. Alassane Ouattara se doit de se souvenir de ce conseil de HEGEL : « Tu ne seras pas mieux que ton temps, mais ton temps tu le seras au mieux.» Il est maintenant temps qu’en Afrique, on ne continue plus de parler des grands hommes du passé et au passé; la grandeur de l’homme se vit au présent pour le bonheur de son peuple actuel, présentement présent. Ne serait –il pas mieux d’être honoré aujourd’hui que de l’être à titre posthume? Le présent juge le futur et le futur se consolide du présent. Le jugement du présent n’est-il pas aussi meilleur que celui du passé? L’histoire récente de notre pays a montré la perversion de l’éthique du savoir et de la politique. Des souris sont devenues des chats; des agneaux devenus lions; des valets devenus rois. Le savoir a été inversé, le pouvoir aussi. Le palais s’est transformé en pâle-lueur pour n’advenir que comme une plaie béante, puante et purulente. Il faut craindre que ce qui a tué Gnahoré ne tue aussi Sékongo.
Le Président Ouattara pourrait réussir à condition qu’il se méfie de l’opium des intellectuels et qu’il fasse de l’éthique la mesure de son gouvernement et de son pouvoir car, actuellement, en Côte d’Ivoire, il n’y a plus de repères. L’ÉTHIQUE n’existe nulle part. Or, qu’est- ce qu’une société qui a perdu ses repères les plus élémentaires? Comment mettre fin à ce n-importe-quoi-isme? Nous pensons qu’il faut revoir tout notre système éducatif. La Re-naissance de notre pays dépendra en totalité de la capacité de nos ministres de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ainsi que de celui de la culture à instaurer dans nos établissements scolaires le changement des mentalités, la re-conversion des valeurs en donnant à l’éthique toute la place qui est la sienne. Il ne faut plus poser les mêmes pas. Il faut un nouvel ordre politique, social et culturel décent. Pour la Côte d’Ivoire de demain, chaque pas compte et tout pas posé doit être un pas d’espoir pour le vivre-ensemble mais un pas comme le retour du même, est un pas perdu et rendra puantes les plaies de cette Côte d’Ivoire balafrée.
Pr. Samba DIAKITÉ,
Maître de Conférences Habilité,
Université de Bouaké-Côte d’Ivoire
diaksambah@yahoo.fr
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