« Ma joie est grande, d’autant plus que s’ouvre pour les populations ivoiriennes longtemps opprimées, une nouvelle ère de démocratie, de liberté et de respect des droits humains, avec la brillante élection du Dr Alassane Ouattara à la Magistrature suprême.(…). J’ai demandé une audience au président Alassane Ouattara, afin d’aller lui affirmer de vive voix mon soutien et lui dire que mes hommes et moi sommes à sa disposition ». Ces propos, le désormais général de division Ibrahim Coulibaly, alias »IB », chef du commando invisible, les a tenus depuis le mardi 19 avril dernier. Date à laquelle il a fait son apparition publique pour non seulement convaincre ceux qui restaient encore sceptiques que ce sont ses troupes qui ont tenu tête au Forces de défense et de sécurité (FDS) fidèles à l’ex-président Laurent Gbagbo dans les communes d’Abobo, d’Anyama et une partie de Cocody, depuis le mois de décembre dernier. Mais également exprimer sa reconnaissance au pouvoir Ouattara qu’il aura aidé à installer et à qui il entendait faire allégeance, lui et ses hommes. Une semaine après, le patron du commando invisible continue de courir après l’audience qu’il a demandée au nouveau président de la République. IB et ses hommes ne sont pas encore arrivés à rencontrer le président Ouattara. Mais, plus, aucun signe ne peut donner à espérer à ces combattants d’Abobo qu’ils auront accès au successeur de Laurent Gbagbo. Au contraire, IB et ses hommes vont se trouver encore désillusionnés par la réaction en leur endroit, du chef de l’Etat au cours de la rencontre qu’il a eue le vendredi 23 avril dernier avec les généraux des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI, la nouvelle armée qu’il a créée). Le président Ouattara montrera moins de disponibilité à recevoir le commando invisible qu’il identifie aux résistants armés de Yopougon, refusant d’admettre la chute de Laurent Gbagbo. «(…) Quant aux foyers de belligérance, je demande à monsieur le ministre de la Défense et à monsieur le ministre de la Sécurité d’y mettre fin, que ce soit à Yopougon ou à Abobo. Je vous instruis de demander aux chefs miliciens et au commandant Ibrahim Coulibaly de venir vous voir et de déposer les armes». En clair, le nouveau tenant du pouvoir renvoie IB et ses hommes à ses collaborateurs tandis que ce dernier tente vaille que vaille de le rencontrer en personne, pour lui faire allégeance et poser ses préoccupations pour désarmer après la »mission accomplie ».
L’effet des rancunes et des antécédents
Il est vrai, le président Ouattara doit fière chandelle à IB et à son commando invisible qui se sont illustrés à Abidjan comme la force ayant fait trébucher le régime Gbagbo avant sa chute. Mais, s’il se retient à recevoir les combattants d’Abobo, le président de la République a de sérieuses raisons de le faire. Pour rétablir l’équilibre face à Laurent Gbagbo et aux FDS dans les heures chaudes du bras de fer autour du fauteuil présidentiel, l’actuel chef de l’Etat a été obligé de recourir aux services de Guillaume Soro, Premier ministre sortant qu’il a reconduit à son poste tout en lui confiant le ministère de la Défense. Alassane Ouattara a opté pour cette solution, qui lui permet de compter sur l’armée des Forces nouvelles dont M. Soro demeure le secrétaire général incontesté. La preuve, quand le dialogue va se trouver enlisé entre les protagonistes à un moment de la crise, on verra le Premier ministre et ministre de la Défense descendre sur le terrain pour occuper le maquis avec ses troupes depuis l’Ouest contre les FDS fidèles à Gbagbo. Guillaume Soro restera dans ce maquis jusqu’à la capture par ses hommes, du tenant de l’ancien régime à Abidjan. Un exploit qui fait de lui l’homme fort aux côtés du président de la République qui le maintient à ses postes, malgré la promesse faite, durant les campagnes, pour le portefeuille de la Primature au PDCI. Cette présence, et non des moindres, de Soro auprès du président Ouattara, qui se trouve très redevable aux FRCI – forces constituées essentiellement des combattants des Forces nouvelles et leurs chefs de guerre occupant tous les postes de commandement dans la ville d’Abidjan – complique la tâche à »IB » dans sa tentative de rencontre avec le chef de l’Etat. L’on ne saurait ignorer les antécédents entre le chef du commando invisible et le Premier ministre, leader des FN. On se souvient encore de la friction au sein de l’ex-rébellion, qui avait viré à des batailles rangées ayant fait plusieurs morts dans chaque camp. Se réclamant père de la rébellion, IB viendra à perdre la main sur ces troupes qui vont continuer la route avec Guillaume Soro, leur secrétaire général. Ces moments de tensions ont laissé des plaies profondes entre les deux hommes et leurs éléments, qui depuis lors, se regardent en chiens de faïence. En témoignent des propos virulents que leurs entourages ont laissé transparaitre parfois dans les médias. Aujourd’hui, si IB veut rencontrer le président de la République et non son ministre de la Défense, il n’en demeure pas moins qu’il se met dans sa peau de »leader » des ex-rebelles dont Guillaume Soro à qui il n’entend point faire allégeance. Tout acte de ce genre pouvant s’assimiler à une humiliation de sa part.
Querelle d’égos et menaces
Pour sa part, le président Ouattara se trouve pris au piège de ces égos et ne peut se permettre de rencontrer directement le patron du commando invisible, dont il ne peut ignorer l’action courageuse et suicidaire à la limite, qui a permis de bouter le régime Gbagbo du pouvoir. Le faisant, il se mettrait à dos les FRCI et son Premier ministre, ministre de la Défense, qui tient là, lui aussi, l’occasion d’imprimer son leadership à celui qui se réclame jusque-là son supérieur hiérarchique. Du coup, l’on se retrouve dans un schéma complexe avec un président de la République pris dans l’engrenage des égos, face à son devoir de pacification du territoire, en particulier de la ville d’Abidjan. Pendant toute une semaine, toutes les tentatives de rapprochement du commando invisible des FRCI sont restées vaines. On a même frôlé par moment l’affrontement entre ces deux forces. IB et ses hommes ayant dénoncé une offensive contre leurs positions par les troupes des FRCI. Dimanche soir, quand la cellule de communication du commando invisible annonce à la presse que son chef rencontre le président Ouattara le lendemain à 11h, l’information est très vite démentie par le porte-parole du ministère de la Défense, le capitaine Allah. Ce dernier, dans un communiqué lu aussitôt à la télévision, fait savoir plutôt les dispositions prises par le ministre pour recevoir »IB », qui brillera par son absence. Réplique pour réplique, le lundi, une conférence de presse est animée à Abobo PK 18 pour dénoncer »une campagne d’intoxication des hommes de Soro », par le commando invisible qui, renouvelant sa disponibilité au président Ouattara, estime n’avoir jamais eu de convocation à se présenter au Golf. Jeu de passe-passe ou jeu du chien à la souris, qui dit vrai? Toujours est-il que la situation reste en l’état, et le commando invisible sur ses positions. Toute chose qui fait planer de gros nuages sur la Côte d’Ivoire déjà meurtrie par ces derniers mois d’horreur. En effet, dans son adresse aux officiers généraux qu’il recevait, le président Ouattara n’a pas hésité à préconiser l’usage de la force, si besoin en était, pour désarmer tous les détenteurs illégaux d’armes dans le District d’Abidjan. Allusion faite aux »miliciens de Yopougon » , mais aussi aux combattants du commando invisible d’Abobo. Face à l’enlisement de la situation aujourd’hui, va-t-on recourir à cette solution? La Côte d’Ivoire peut-elle se payer le luxe d’une autre guerre fratricide, après ce qu’elle vient de traverser? Les populations d’Abobo vont-elle fuir encore leurs biens et domiciles dans les jours à venir? Voilà qui devrait pousser à taire les égos pour mettre fin à toutes les formes de violences et préserver encore des vies humaines. «Il est impérieux que nous transcendions nos egos afin de sceller l’union sacrée, car c’est fort de cette union, à n’en point douter, que nous permettrons à notre mère Ivoire malade de recouvrer sa santé économique dans un souci de développement; ce qui permettra à nos compatriotes et amis de la Côte d’Ivoire de mieux vivre ensemble pour le bonheur de chacun et le progrès pour tous parce que nous avons un père qui a des solutions, il faut l’aider; résolument. La Côte d’Ivoire doit demeurer cette terre d’espérance promise». Belle analyse, lundi, du capitaine Aka Meyo, porte-parole du commando invisible, qui appelle à la réflexion, mais aussi à un dépassement de soi pour qu’enfin toute menace soit levée sur la ville d’Abidjan et le pays tout entier pour que place soit faite à la réconciliation. Cette réconciliation, préalable à la reconstruction que le président Ouattara inscrit dans ses priorités, vivement que la rencontre entre lui et le Commando Invisible ait lieu pour que la Côte d’Ivoire la connaisse. La balle est dans le camp du nouveau président de la République, qui doit pouvoir trouver la formule qui vaille pour éviter une toute autre escalade de violence, si tôt, sous son régime.
Félix D.BONY
Linter
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