Le président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, a choisi la voie des armes pour déloger le patron du « commando invisible » qui a été le premier a opter pour la solution militaire contre Laurent Gbagbo, en harcelant ses troupes dans le quartier d’Abobo à Abidjan. Ibrahim Coulibaly, dit « IB », traîne la réputation de spécialiste des putschs. De la résolution de son cas semble dépendre le retour définitif de la sérénité dans le pays.
L’information n’a sans doute pas surpris les chroniqueurs de la crise ivoirienne, qui connaissent les relations compliquées, entre Ibrahim Coulibaly et les autres chefs des ex-Forces nouvelles, l’ancienne rébellion ivoirienne, aujourd’hui au pouvoir à Abidjan. Leur histoire entamée en 2002 est jalonnée de violents désaccords. Les nouveaux combats qui risquent d’ensanglanter Abidjan déjà lourdement meurtrie par près de quatre mois d’un conflit fratricide rentre dans cette logique. Mercredi, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), l’armée constituée peu avant la chute de Laurent Gbagbo par Alassane Ouattara, le nouveau président, a lancé une attaque dans les quartiers d’Abobo et Ayaman d’Abidjan, contre le « commando invisible », du général autoproclamé Ibrahim Coulibaly, qui l’a pourtant aidé à conquérir le pouvoir. Motif invoqué : celui-ci aurait pris fait et cause pour le dernier carré des guerriers de Laurent Gbagbo encore en activité à Yopougon, le fief de l’ancien président. « Depuis quelques minutes, nos positions à Abobo et Ayaman sont attaquées par des éléments des FRCI qui nous accusent d’aider les miliciens pro-Gbagbo à Yopougon », a déclaré IB à l’agence Reuters.
Il fallait sans doute s’y attendre. La veille, lors d’une conférence de presse, le chef de guerre avait assuré Alassane Ouattara de sa loyauté. Il s’était déclaré prêt à se mettre à son service, jurant avoir enterré la hache de guerre, dans le conflit qui l’oppose au Premier ministre Guillaume Soro. Mais son offre d’allégeance était assortie d’une condition quasi résolutoire : que le président reconnaisse au commando de cinq mille hommes qu’il chapeaute son rôle éminent dans le dénouement du conflit postélectoral contre Laurent Gbagbo, et lui montre sa gratitude. « Le commando invisible, ce sont des enfants de ce pays, des Ivoiriens, on ne peut pas les exclure », avait-t-il déclaré. Et de poursuivre : « C’est le commando invisible qui a déstabilisé l’état-major de Côte d’Ivoire. […] Pour qu’il y ait assaut final, il faut qu’il y ait un début (…) Les vrais acteurs de l’assaut final, c’est la [force française] Licorne et l’Onuci ». Il avait prévenu le nouveau maître d’Abidjan : « L’avenir du commando invisible dépend du chef suprême de l’armée (…) Nous sommes allés en exil pour des problèmes d’exclusion, si tu les laisses dehors, attends-toi à une rébellion un jour »
Ibrahim Coulibaly un allié devenu gênant ?
En choisissant la méthode forte pour tenter de déloger le « Général IB », Alassane Ouattara, engagé dans la consolidation de son pouvoir acquis de haute lutte, ne souhaite visiblement pas conserver dans sa chaussure, un caillou aussi gênant que cet homme qui fût son loyal garde du corps, avant d’être un des principaux chefs de la rébellion qui, pendant près de dix ans, a tenu la Côte d’Ivoire coupée en deux.
Car Ibrahim Coulibaly n’est pas un homme facile à manœuvrer. Personnage insaisissable, ondoyant et divers, éternel insatisfait, toujours prêt à se rebeller lorsqu’il n’est pas d’accord. D’où les multiples conflits de personnes, qui ont souvent fait de lui « l’homme à abattre », même au sein de ses alliées. Une chose est sûre : loin du simple statut de sous-officier auquel on pourrait vouloir le confiner, IB a toujours montré sa détermination à faire entendre sa voix. Si ses détracteurs lui dénient volontiers les caractéristiques d’un fin stratège politique, ils lui reconnaissent cependant celles d’un grand chef de guerre. Son nom est cité dans les coups d’État et tentatives de coups d’État qui ont douloureusement meublé la vie politique tumultueuse du pays des Eléphants, ces dix dernières années. De sorte que l’appellation de « professionnel des putschs » lui irait comme un gant.
Allié puis adversaire de Robert Guéï
IB naît à Bouaké, dans le nord agricole de la Côte d’Ivoire, le 24 février 1964. Il choisit de faire carrière dans l’armée. Sous Houphouët Boigny, le premier président du pays, les bruits de bottes sont rares, sauf lorsqu’il s’agit de descendre sur les campus pour pacifier étudiants et enseignants qui mènent la fronde contre le « père de la nation ». Avec un certain Laurent Gbagbo alors prof d’histoire, dans le rôle d’inspirateur et de meneur. Le 7 décembre 1993, Houphouët Boigny meurt, et la Côte d’Ivoire s’engage dans une difficile transition. Un conflit de succession pourrit les relations entre les prétendants au trône. Alassane Ouattara alors Premier ministre, et dont IB est l’un des garde du corps, souhaite accéder au trône, en lieu et place du successeur constitutionnel, Henri Konan Bédié. C’est ce dernier qui l’emporte. Le règne de Bédié, qui s’achève dans la violence en 1999 est entaché de bruits de corruption au sommet de l’État. L’unité nationale chère au président Houphouët Boigny s’effrite aussi rapidement. Henri Konan Bédié a lancé le concept d’ivoirité, dans le but inavoué d’écarter Alassane Ouattara de l’élection présidentielle de 1995. Bédié est élu lors d’un scrutin fortement boycotté. Mais trois ans plus tard, IB alors sergent-chef et quelques autres sous-officiers le renversent lors d’un coup d’État militaire. Depuis lors, le nom d’Ibrahim Coulibaly a été régulièrement cité dans toutes les nombreuses tentatives de putschs de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire.
Le général Robert Guéï, à qui les mutins ont confié le pouvoir, se méfie de ce sous-officier trop remuant. Une crise ouverte éclate rapidement entre les deux hommes. IB accuse Guéï de menacer l’unité du pays. « Celui que les Ivoiriens ont surnommé le « Père Noël en treillis » [Robert Guéï, ndlr] élimine le clan des originaires du Nord, réunis autour d’Ibrahim Coulibaly, raconte le sergent-chef. Il part en exil, alors que Robert Guéï a lancé un mandat d’arrêt contre lui. Ses pérégrinations le mèneront tour à tour au Benin, au Burkina Faso, en France et en Belgique. Cependant, son ombre continue de planer sur la vie politique de la Côte d’Ivoire.
Forces nouvelles
Il refait ainsi parler de lui lors d’une tentative de coup d’État orchestrée en septembre 2002 par les rebelles des Forces nouvelles (FN), qui ébranle le pouvoir de Laurent Gbagbo, élu deux ans plus tôt. Il se revendique de la paternité de cette rébellion qui débouche sur la partition du pays en deux. Dans le Nord qu’ils tiennent, les rebelles se dotent d’un organe politique, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), dont ils confient la direction à Guillaume Soro. Sous la houlette de la France, Laurent Gbagbo et les rebelles signent les accords de Marcoussis et s’engagent dans un processus de normalisation via un partage du pouvoir. IB, qui salue ces accords, est cependant arrêté fin août 2003 à Paris. Il est accusé par les autorités françaises d’avoir tenté de recruter des mercenaires pour fomenter un coup d’État en Côte d’Ivoire. Il dément. Libéré et placé sous contrôle judiciaire, il est interdit de quitter le territoire français. Cependant, il se rend en Belgique d’où il annonce son souhait de rentrer en Côte d’Ivoire.
Frère ennemi de Guillaume Soro
Cependant, un conflit de leadership qui l’oppose à Guillaume Soro au sein du MPCI l’en empêche. IB est accusé de piloter des mutineries au sein des FN, le bras armé du mouvement, pour en prendre la direction. La rupture avec Soro est consommée. Fin juin 2007, ce dernier, devenu Premier ministre deux mois plus tôt sort indemne d’un attentat. IB est soupçonné d’avoir piloté à distance les hommes qui ont ouvert le feu sur son avion à Bouaké. Fin janvier 2008, le gouvernement de Laurent Gbagbo lance un mandat d’arrêt international contre IB, accusé d’avoir fomenté un coup d’Etat. Le 4 juin de la même année, la justice française le condamne à quatre ans de prison ferme pour la tentative de coup d’Etat contre Laurent Gbagbo, d’août 2003. Pendant ce temps, le « Général Ibrahim Coulibaly » s’occupait sans doute à organiser son « commando invisible », révélé par la guerre de succession entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara.
Après l’attaque de ses troupes par les FRCI, Ibrahim Coulibaly a réitéré, à l’endroit d’Alassane Ouattara, les accusations de chasse aux sorcières qu’il avait lancées contre Robert Guéï en l’an 2000, avant de s’en écarter. « Comment quelqu’un qui a combattu des miliciens qui ont tué des populations civiles à Abobo peut-il se mettre de leur côté pour combattre son propre camp après la victoire ? (…) Ce sont des arguments fallacieux qui ne tiennent pas, c’est une cabale pour nous écarter », a-t-il déclaré. Sera-t-il neutralisé par les FRCI ? Va-t-il reprendre le chemin de l’exil comme il y a un peu plus de dix ans ? Va-t-il contribuer à animer la fronde militaire contre Ouattara, son ancien patron et allié ? IB vient en tout cas de s’ériger en troisième homme, dont l’irruption inopinée sur la scène prolonge la crise ivoirienne. L’aboutissement du processus de réconciliation dans ce pays dépendra, en tout cas, en grande partie de la résolution du problème qu’il pose.
Les commentaires sont fermés.