Une journée au Golf hôtel : Dans l’antichambre du « Palais présidentiel »

C’était une « prison » pour le président élu, ses proches et une foule de partisans. Depuis la chute de Laurent Gbagbo, l’hôtel du Golf est devenu le cœur du pouvoir en Côte d’Ivoire. Incursion dans l’antichambre du Palais présidentiel. Une forteresse qui ne dit pas son nom…

Tout a vraiment changé. La voie express, qui mène au Golf Hôtel, en venant de Cocody centre, n’est plus entièrement accessible aux automobilistes. Certes, le blocus installé au niveau de la résidence de Marie-Thérèse Houphouët-Boigny a été levé, et la route totalement libérée. Mais le tronçon qui borde la résidence privée du Chef d’Etat est fermé désormais à la circulation. Disposition sécuritaire oblige.
N’empêche, une file de véhicules arpente, en ce samedi 16 avril 2011, cette route qui était encore périlleuse, voire dangereuse, il y a à peine trois semaines. Signe que l’ère Gbagbo dont les soldats avaient soumis l’hôtel à un blocus, est assurément révolue. Il est environ 12h30. Sous un soleil plomb, des soldats onusiens tiennent un check-point, à hauteur d’un centre Eveil de la petite enfance. Les consignes sont strictes. « Ouvrez s’il vous plaît le coffre », lance un militaire de l’Onuci, visiblement membre du contingent sénégalais à l’endroit des automobilistes. Tour à tour, ces derniers s’exécutent. Puis, ils sont priés de se faire enregistrer auprès de deux autres soldats onusiens.

Un hôtel qui rythme la vie du pays

Assis autour d’une table, ces hommes en tenue notent avec minutie le nom du conducteur et l’immatriculation de son véhicule. Sous le regard attentif de quelques éléments FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) qui campent de l’autre côté de la voie.
Fini cette formalité, cap maintenant sur le Golf hôtel. Un détour par la gauche, le temps de contourner la résidence privée du Chef de l’Etat, et nous y voilà.
Le parking, situé à gauche de la ruelle qui mène à l’esplanade de ce complexe hôtelier, est bondé d’engins à quatre roues. De petites voitures aux grosses cylindrées, un fana d’autos aurait l’embarras du choix. Trouver un petit espace, pour immobiliser son véhicule relève d’un vrai parcours du combattant. Il faut conduire serré. A deux pas se trouve le court de tennis. On y aperçoit, à travers la grille qui ceint l’endroit, des hommes, le torse nu, assis sur le macadam, certains sous une chaleur étouffante. Renseignement pris, ce sont les combattants pro-Gbagbo capturés lors de la bataille d’Abidjan. « Il y a des miliciens, et aussi des mercenaires. On a même pris un sniper », souffle l’un de leurs geôliers.
Quelques pas plus loin au bord de la lagune, plusieurs autres soldats pro- Gbagbo y sont détenus, dans deux camps. L’un, tenu par les FRCI, et l’autre par les soldats de la paix. Le chapiteau dressé lors de la campagne électorale par le candidat Ouattara et qui servait de centre de presse est toujours débout. Cette fois, il sert de chambrée aux soldats FRCI.
L’entrée de l’hôtel n’est plus aussi aisée, qu’il y a trois mois. Des barbelés de fer ont été posés sur la petite voie d’accès à l’esplanade. Là encore, un check-point a été installé. Les visiteurs, à l’exception des journalistes, doivent y déposer leur pièce d’identité.
Dans le hall, ce n’est plus la grande affluence de décembre dernier, où les bruits de causerie fusaient de partout et où pour avoir un siège pour s’asseoir, il fallait patienter longtemps et espérer que quelqu’un se lève.
Pas donc une foule impressionnante, mais quand même un petit monde. Ça devise par petits groupe et aussi par affinité, pour ne pas dire amitié. On y reconnaît des visages connus, pour la plupart des cadres du RHDP, comme par exemple, les Professeurs Alphonse Djédjé Mady et Maurice Kakou Guikahué, le ministre Ehui Bernard Koutouan, le ministre Adjoumani, Cissé Aladji… Et aussi de haut gradés de l’armée, comme le général Detho Letho, commandant des Forces terrestres, ou encore le général Kouakou Nicolas, patron du CCI (Centre de Commandement Intégré). Bien entendu, les collaborateurs du président Ouattara, les membres de son gouvernement y sont également présents. Depuis décembre, cet hôtel était le siège du gouvernement du président élu démocratiquement. Il incarne, avec la chute de Laurent Gbagbo, le symbole de la présidence ivoirienne. Le président Ouattara y accorde ses audiences, dans une salle réservée pour la circonstance, y tient son conseil de ministres…Bref, toutes les grandes décisions du pays sont prises actuellement au Golf hôtel, qui abrite également la TCI (Télé Côte d’Ivoire), qui relaie les activités du gouvernement.
L’ambiance est visiblement bon enfant dans ce complexe ce samedi. Singulièrement, dans le hall. Les uns devisent tranquillement. Les autres se retrouvent chaleureusement. Accolades par-ci. Eclats de rire par-là, avec à la clé de chaleureuses poignées de mains. Sur les visages se lit la délivrance, la joie ô combien immense d’être libérée du joug sanglant de la refondation.
« Oui, nous sommes soulagés », confesse A.D. Le séjour dans ce luxueux complexe hôtelier n’a pas été aisé pour beaucoup de ces hommes et femmes. « Ça a été dur à un moment donné. On ne pouvait pas sortir. L’enfermement est vraiment pénible » ajoute t-il.
Mais plus que la liberté, ce qui les réjouit c’est l’éviction du pouvoir de Laurent Gbagbo. « C’est une victoire inoubliable pour nous. C’était le combat de notre vie », renchérit B.K.
Depuis l’arrestation de Gbagbo, les conversations sont désormais tournées vers l’après-Gbagbo, du moins le règne Ouattara. On rêve déjà à d’intenses bonheurs. En filigrane, on prépare discrètement son positionnement. « Des gens viennent chercher des postes. Mais c’est trop facile d’attendre que la lutte soit finie, pour courir ici », se plaint O.T. Qu’importe, chacun vient tenter sa chance. La victoire dit-on, a plusieurs papas…
La vie a aussi changé au Golf Hôtel, depuis l’arrivée lundi dernier des personnes arrêtées dans la résidence de Gbagbo. De 107, le nombre a atteint le cap de 120, avec les arrestations du Général Dogbo Blé, patron de la garde républicaine sous Gbagbo et de Jean Jacques Béchio ou la reddition de Gnamien Yao, conseiller diplomatique de l’ex-chef d’Etat. « Ils sont prioritaires sur tous les autres pensionnaires de l’hôtel. Tant qu’ils ne sont pas servis, nous ne mangeons pas », fait remarquer Abou.
Effectivement, sur instruction du président Ouattara, les proches et collaborateurs de Laurent Gbagbo bénéficient d’une attention particulière. Des médecins sont à leurs petits soins, afin de « retaper » ceux qui sont bastonnés ou sont encore sous le choc des événements de lundi. Le personnel de l’hôtel a été également mobilisé pour qu’ils soient bien traités. Ils ont droit à trois repas quotidiens et doivent les prendre avant les autres pensionnaires de l’hôtel. Le président Ouattara a même fait acheter des vêtements de rechange pour eux. Ce n’est pas tout. Ceux qui ne sont plus très utiles ont été priés de céder leurs chambres aux détenus prestigieux.
Les autres ont été installés dans le bar de l’hôtel, où ont été aménagées des couchettes pour eux. L’endroit est soigneusement bouclé, histoire de les mettre à l’abri des regards indiscrets et moqueurs. Il est même formellement interdit de les voir. Seuls, les médecins et les personnes commises à leur sécurité peuvent entrer dans cette « prison » de fortune. Selon une indiscrétion, le président Ouattara ne veut pas, au nom de la réconciliation, que certains dignitaires du régime FPI essuient, des quolibets. « Il tient à respecter leur dignité et leur intégrité physique », assure un autre « habitant » du Golf Hôtel. C’est aussi une façon de montrer aux prisonniers que la roue tourne, pense notre interlocuteur, qui a requis l’anonymat.

Des détenus mieux traités que les « geôliers »

Toutefois, nous avons la chance d’apercevoir Mme Bro-Grébé, présidente des femmes patriotes, traverser péniblement le hall, à l’aide de deux béquilles, pour se rendre aux toilettes. Les yeux baissés, cette farouche, partisane de Laurent Gbagbo, apôtre des thèses xénophobes, évite de croiser les regards rivés sur elle. Sans doute par honte, après avoir traité de tous les péchés d’Israël, les militants RHDP (Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix). En fin d’après-midi, près de 70 « prisonniers », pour la plupart des mineurs et le personnel de la résidence, ont été libérés. Ils ont ainsi pu regagner, dans une joie immense, leur domicile. « On a été bien traité, on mangeait trois fois par jour. On est content de pouvoir rentrer chez nous, on remercie beaucoup les autorités », s’extasiait l’une des détenues devant le micro de TCI, peu après leur remise en liberté.
Au Golf hôtel, il n’y a pas que le hall qui vit quoiqu’il soit animé. Dans les jardins, de ce complexe hôtelier, c’est un tout autre décor, qui rappelle avec force la guerre.
Plusieurs tentes y ont été dressées. Certaines avec des climatiseurs, d’autres pas. Des sanitaires de circonstance y ont également été installés. Partout on y trouve des soldats. Des Sénégalais aux Bangladeshis en passant par les Jordaniens. L’endroit ressemble fortement à un camp militaire, avec ces chars, et ces barbelés de fer qui ceignent l’espace, juste au bord de la lagune Ebrié. Pas moins de 800 casques bleus protègent cet hôtel, conformément au mandat de l’Onuci en Côte d’Ivoire.
Sous le vaste préau situé à une poignée de mètres de la piscine, sont couchés des soldats FRCI. Environ une vingtaine. La plupart d’entre aux ont durablement livré bataille à Abidjan, comme ce jeune garçon la vingtaine environ, les deux pieds enveloppés au niveau de la cheville par un bandage blanc. « J’ai été touché par des éclats de RPG7 au cours de l’assaut contre la résidence de Gbagbo », témoigne t-il, l’air quelque peu éreinté. A côté de lui, certains de camarades dorment profondément. L’heure est à la récupération. La bataille, il est vrai, ne fut pas de tout repos.
Dans quelques jours, le président Ouattara quittera cet hôtel pour le Palais présidentiel du Plateau. Pour tous ceux qui ont été enfermés avec lui, collaborateurs et sympathisants, il ne restera que des souvenirs. Des bons et aussi des mauvais. Mais, ils se souviendront toujours de cette « prison » pas comme les autres…

Y. Sangaré
Le Patriote

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