L’UNION AFRICAINE EST-ELLE UNE INSTITUTION AFRICAINE ? AXELLE KABOU TENTE DE REPONDRE A CETTE QUESTION, POUR LE MOINS INSOLITE, EN CONVOQUANT LA LONGUE HISTOIRE D’UNE COOPERATION… EURAFRICAINE ISSUE DE L’EPOQUE OU NEGRIERS AFRICAINS ET NEGRIERS EUROPEENS DECIDAIENT DE LA REPARTITION DU POUVOIR POLITIQUE EN AFRIQUE, A COUP D’ALLIANCES ET DE CONTRE-ALLIANCES MORTELLES POUR LES AFRICAINS. ELLE EXPLIQUE EN QUOI L’UNION AFRICAINE, CREEE EN 2002, EST, MALGRE SES NOUVEAUX ATOURS, UNE INSTITUTION ETRANGERE, ANACHRONIQUE, DECALEE DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS, HISTORIQUEMENT INAPTE A MOBILISER LES AFRICAINS AUTOUR D’UN REVE ACTIF DE PROSPERITE ET DE PAIX. ELLE PROPOSE DEUX MESURES URGENTES POUR QUE CETTE ORGANISATION PUISSE ETRE UTILE A L’AFRIQUE, EN ATTENDANT QUE DES DYNAMIQUES A L’ŒUVRE SUR LE CONTINENT SECRETENT DES INSTITUTIONS NEES DE SOLIDARITES PANAFRICAINES BENEFIQUES POUR LE PLUS GRAND NOMBRE.
L’ATTRAIT DE L’IMPUISSANCE
Doit-on, pour parler de l’Union africaine en 2011, recourir à une vieille tradition d’exégèse juridique ? Gloser sur des objectifs collectifs plus ou moins atteints, plus ou moins désirés, plus ou moins avoués ? Ou parer, plus poétiquement, l’Afrique à venir de mille feux brillants ? On peut choisir, – une fois n’est pas coutume – de mettre en perspective le déficit de solidarité chronique de l’Union africaine (qui succède à l’Organisation de l’Unité Africaine) ; de l’inscrire dans le long passé d’une impuissance interafricaine, historiquement construite : historiquement choisie. Cette impuissance, issue en droite ligne de l’économie de comptoir et de troque sous voiles, que signalaient l’improvisation permanente, l’arbitraire, le bricolage, le mépris de soi, la cruauté, la cupidité, la dépendance assumée à l’égard de l’extérieur, en échange de rentes et de prébendes, se traduit par la faible institutionnalisation persistante des règles de conduite des affaires et de gouvernement : par une éternelle aspiration à la subordination rentière dans le système international. Pour tenter de comprendre pourquoi ce continent plein de sève et réputé riche à en mourir, peine à se trouver des dénominateurs communs ; pourquoi les Etats membres de l’Union africaine restent rétifs à toute proposition susceptible de les doter de ressources pérennes, il faut, en effet, revenir à ces alliances et contre-alliances meurtrières dont est tissée l’histoire, fondatrice, de l’insertion des systèmes politiques africains, dans les relations intercontinentales. Il faut convoquer cette époque inaugurale où les princes marchands africains des rives de l’Atlantique et d’Afrique centrale, imitant leurs homologues et prédécesseurs soudanais et du Mwenemutapa, ont choisi d’entrer dans la modernité à reculons : en tournant résolument le dos aux habitants de leur continent.
L’UNION AFRICAINE : UN PROJET EUROPEEN?
Rien n’illustre mieux le mépris de la classe politique africaine pour les leçons de notre histoire que les budgets troués de la défunte Organisation de l’Unité Africaine (OUA) ; que les 55 millions d’euros alloués sur plusieurs années par l’Union européenne à l’Union africaine : que la provenance – très étrangère – des ressources financières d’une Union africaine dont la mission proclamée est d’installer l’Afrique dans le troisième millénaire en habit de lumière. Le budget de l’Union africaine, financé de l’aveu même de Jean Ping, Président de la Commission Africaine, à la vertigineuse hauteur de 77 % par des ressources extérieures, et 15 % par un seul pays (la Libye, en passe d’être irakisée) serait, rapporté à l’appellation de cette institution, proprement stupéfiant… si l’on oubliait, qu’en Afrique, la solidarité intra-continentale est une idée neuve et… urticante. L’insensibilité des pays membres de l’Union africaine à toute proposition susceptible de doter cet organe de ressources pérennes n’a rien de surprenant. Au moment où la solidarité régionale fait, partout ailleurs, de grandes enjambées, contre vents et marées, ce budget montre clairement que la majorité des Etats africains n’a toujours pas besoin de l’Union africaine pour exister au niveau international. Pour de vieilles raisons qui n’ont pas disparu de notre paysage politique et diplomatique.
LES LEGS DE L’HISTOIRE
Les luttes intra-africaines pour la domination politique, que l’Union africaine restitue fort bien, n’ont pas commencé avec le conflit post-électoral ivoirien : elles restent structurées par la logique des traites négrières et ses prolongements coloniaux. Ces luttes, dégelées par les indépendances, ont, en effet, installé ou renforcé de puissantes inimitiés, d’abord de l’Afrique du Nord au Sahel en passant par le Sahara, dès le VIIIe siècle ; sur les côtes et l’hinterland de l’Afrique occidentale, dès la fin du XVe siècle ; sur les côtes et l’hinterland de l’Afrique orientale dès le XVIe siècle ; en Afrique centrale et dans la région des Grands Lacs, dès 19e siècle. Ainsi, la partition récente du Soudan, imputée à de bien réelles convoitises énergétiques, minières et géostratégiques, n’en consacre pas moins la fin de la lutte de peuples Noirs réduits depuis la nuit des temps à une condition servile. Les guerres intra-africaines ont affaibli des structures politiques plus habituées à lutter les unes contre les autres qu’à s’unir pour combattre un ennemi extérieur commun ; plus enclines à se liguer avec l’étranger, pour l’emporter sur l’ennemi local, qu’à résoudre leurs problèmes sur place. La prévention des conflits reste, sous ces latitudes, un produit exotique.
En fournissant à la Méditerranée, à l’Europe, l’Asie et l’Amérique des esclaves sur plus d’un millénaire, les couches dominantes des sociétés africaines ont massivement participé au vasselage de leurs sociétés. Elles ont construit leur prospérité sur le mode de la subordination de leur pays à leurs propres intérêts et à ceux de leurs partenaires étrangers ; en dissociant, toujours davantage, l’intérêt général de l’intérêt particulier. Or, cruauté suprême, pour avoir structuré l’économie mondiale, au-delà de la découverte de l’or américain, l’or africain n’a jamais permis à ses fournisseurs Wangara, Akan, Shona, etc. de se hisser à la première ou à la deuxième place, dans cette conversation tripartite qu’entretiennent l’Occident, l’Orient et l’Afrique depuis les VII-VIII ème siècles. Cette ambition est donc à inventer de toute urgence. Loin de refléter un besoin organique de solidarité, porté par des acteurs désireux de mutualiser leurs ressources afin d’en tirer le maximum de profit, comme en Asie, la stratégie de financement de l’Union africaine, à l’instar de celle de l’OUA qui l’a précédée, s’inscrit dans une très vieille tradition de collaboration des couches dominantes des sociétés africaines, avec leurs partenaires extérieurs, au détriment de leurs populations. Ainsi, au début des années 1980, le Plan d’action de Lagos, emblématique de la volonté de déconnexion de l’Afrique par rapport à l’ordre mondial de l’époque, devait être financé à 80 % par des ressources extérieures. Le Nouveau Partenariat (mort-né) pour le Développement de l’Afrique(NEPAD) n’est de même, rien d’autre qu’un instrument de mobilisation de ressources extérieures ; qu’une façon de continuer à s’inscrire dans le monde… par le bas. Il y a donc fort à parier que le projet de création des Etats-Unis d’Afrique, dont le juvénile président du Sénégal, Abdoulaye Wade, fait des gorges chaudes en ce moment, ne déroge pas à la règle ; que les statuts du futur Fonds monétaire africain, contestés actuellement par sept pays africains, en quête de clarification ou, plus probablement, de voie de défection, ne soient pas adoptés de sitôt.
UN MODELE DE PARTENARIAT SURANNE
Le modèle de partenariat eurafricain, forgé, à partir de la fin du XVe siècle, dans des instances africaines de négociation hégémonique, plus ou moins secrètes, où négriers africains et négriers occidentaux décidaient de la répartition du pouvoir en Afrique ; fabriqué à l’époque où le sort de nationalismes européens, officiellement mercantilistes, se jouait autant dans des alliances ourdies dans les ports de Nantes, Bordeaux, Liverpool que dans les forts et les comptoirs des côtes africaines, continue d’avoir la préférence en Afrique. Ce modèle de collaboration apparu à la faveur du commerce transsaharien, avant d’essaimer sur les côtes africaines occidentales et orientales et leurs hinterlands respectifs, s’est rétréci, au détriment des marchands africains, dans les Equity Courts créées pour encadrer le commerce « légitime », au moment de l’abolition de la traite extérieure des esclaves. Désormais marginalisées sur leur propre sol, les couches dominantes des sociétés africaines n’ont retrouvé des coudées relativement franches qu’avec la « modernisation », au moment des indépendances, de vieux mécanismes d’arrimage de l’Afrique à l’Europe (Convention de Yaoundé et ses avatars togolais, Commonwealth, etc.), dont l’Union africaine est une traduction.
UN DEFICIT DE CREDIBILITE
Le budget de l’Union africaine reflète, en effet, cette tradition dite d’extraversion de couches dominantes de sociétés africaines, structurellement, irrémédiablement intermédiaires, qui n’ont, pour ainsi dire, jamais eu besoin du travail rémunéré de leur population pour prospérer. La mise au travail des populations africaines, en échange d’un salaire, est effectivement une idée neuve sur ce continent habitué à exporter ses forces vives ou à les tondre en échange de rien. Faute d’impôts, de crédibilité interne, face à la propension des couches dominantes de ce continent à investir davantage à l’étranger que chez elles, la coopération interafricaine risque de souffrir d’une anémie prolongée de financements africains. Plus grave : face à l’augmentation d’opportunités d’enrichissement rapides fournies par la mondialisation des échanges de produits criminalisés ; à l’extrême atomisation des acteurs subsahariens porteurs de projets d’émancipation, il est à craindre que la solidarité continentale, dans cette région, reste également, pour longtemps, une idée neuve. De fait, contrairement à une tendance historique observée à divers degrés, ailleurs les couches dominantes des sociétés africaines n’ont cessé de s’autonomiser par rapport à leurs populations. Leur surdité aux besoins de ces dernières s’en trouve vertigineusement renforcée.
L’UNION AFRICAINE PEUT-ELLE DEVENIR UN POLE D’EXCELLENCE INTELLECTUELLE POUR L’ACTION ?
Une Union africaine utile aux populations africaines n’émergera, par conséquent, que de l’enracinement de la démocratie économique et politique en Afrique : de la possibilité que se donneront les Africains d’entreprendre et jouir du produit de leur travail chez eux, sans danger. Cette possibilité pourrait provenir d’un dynamisme démographique porteur de densification ; lourd d’orages pour des régimes politiques africains autoritaires et engoncés dans leur morgue depuis le début des traites négrières. Ce mouvement pourrait accoucher de dénominateurs communs aux Africains d’ici à 2050, horizon auquel le continent africain devrait compter 2 milliards d’habitants, plus enclins à se déployer chez eux, qu’à émigrer ; plus prompts, donc, à exiger des comptes à leurs représentants politiques que par le passé. En attendant ce moment béni, l’Union africaine pourrait s’efforcer de devenir, au moins, un pôle d’excellence, un phare intellectuel, une maison ouverte à la pensée, vouée à la réflexion sur le présent et les futurs possibles de l’Afrique : elle devrait avoir pour mission première de mobiliser des cerveaux africains et des bonnes volontés en vue de l’action. Pour ce faire, il lui faudra d’abord quitter cette Ethiopie raciste, assise depuis les années 1960, sur des rentes diplomatiques issues de splendeurs impériales défuntes ; cette Ethiopie où n’importe quel pékin peut traiter un étranger à peau noire de « singe » (zingero) et « d’esclave » (barya), en toute impunité ; où les possibilités, pourtant énormes, d’émergence d’une véritable société « afropolitaine » sont volontairement étouffées par une xénophobie omniprésente. Une Union africaine digne de ce nom devrait lutter vigoureusement contre le racisme interafricain au lieu de le subventionner ; prévenir les pogroms et les charniers ; s’installer dans une capitale africaine accueillante, conviviale, suffisamment dynamique pour irriguer, alimenter, sustenter une réflexion scientifique, plus qu’opportune, visant à mettre en évidence les fondements possibles d’une solidarité africaine active. Cette réflexion devra être mue par une vision pétrie d’ambitions tonifiantes. Elle devra, pour être séduisante, être baignée de réalisme, de dignité, de concorde, de fierté, de sueur et de soleil. La contribution de l’Union africaine à la réflexion sur la place de l’Afrique dans le monde qui vient, reste trop proche du sol, trop confidentielle pour être visible et audible par le plus grand nombre. Si l’Union africaine renonçait à sa mission historique, qui fédérerait les Africains autour d’un rêve actif de prospérité ? L’Union européenne ? La Chine ? L’Inde ? Le Brésil ?
Par Axelle Kabou, essayiste –
Source: journaldebangui.com
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