Pour tous les observateurs avisés de la vie politique ivoirienne, il était évident que l’ancien président ivoirien irait jusqu’au bout de sa stratégie. Elle est considérée par certains comme suicidaire et par d’autres comme courageuse. Peut-être qu’elle est les deux à la fois. Elle s’est profondément enracinée dans des convictions et des certitudes qui rendaient toute autre logique inconcevable et inadmissible. Conseillé par de nombreux pasteurs évangélistes à la moralité douteuse et aux comptes bancaires biens remplis, ainsi que par les faucons les plus redoutables de son clan « chauffés à blanc » par son épouse, L. Gbagbo, en « animal politique » aguerri, « enfermé » dans des considérations de « fin stratège » que lui reconnaissent bon nombre d’observateurs politiques, a vite compris l’intérêt qu’il pouvait tirer de ce désastre post-électoral ivoirien qui se refermait de plus en plus sur lui comme un piège mortel.
Cette détermination obsessionnelle a considérablement renforcé sa conviction « qu’il ne faut jamais renoncer et se battre jusqu’aux portes de l’enfer »
Après tant d’années de rudes combats politiques acharnés, son accession au pouvoir avec ruse, lui a donné le sentiment d’un destin hors du commun qui doit le faire rentrer dans la Grande Histoire de la Côte d’Ivoire. Opposant historique et déterminé, L. Gbagbo s’est construit une légitimité incontestable dans son rapport de force brutal et courageux avec le président Félix Houphouët Boigny qu’il a combattu jusqu’à sa mort. Cette détermination obsessionnelle qui a fini par aboutir au prix de nombreuses vies humaines en 2000, a considérablement renforcé sa conviction « qu’il ne faut jamais renoncer et se battre jusqu’aux portes de l’enfer ». Dans cette logique, la construction psychique de sa personnalité l’amène à considérer qu’une cause dite perdue d’avance, peut toujours se retourner à son avantage à condition d’exploiter toutes les zones d’incertitudes ainsi que les faiblesses des uns et des autres. C’est ce qu’il a habilement fait entre 2005 et 2010 en s’arrangeant pour reporter à six reprises l’élection présidentielle. Il ne se cachait pas pour dire à qui voulait l’entendre que, « si j’avais su que l’argent pouvait acheter les hommes, je n’aurais pas tant investi dans les armes ». Malheureusement, personne n’a donné d’importance à cette déclaration. On peut reconnaître un mérite à L. Gbagbo, il dit très souvent d’avance ce qu’il va faire. Et il le fait en disant, « j’avais prévenu ». A plusieurs reprises il avait averti qu’il donnerait l’ordre de tirer sur les manifestants de l’opposition qui réclamaient des élections. Ce qu’il a fait sans se soucier de quoi que ce soit. On se souvient encore du massacre de 2004 à Abidjan. Avant le premier tour de l’élection qui a vu la victoire de président Ouattara, il avait prévenu. « J’y suis et j’y reste ». Là, encore, personne n’y avait prêté attention. En tant qu’historien et fasciné par les légendes des « Grands Hommes » dans l’histoire, il n’est pas du tout impossible qu’il ait lui-même orchestré, dans sa « toute puissance », sa propre fin de règne dans le chaos. Constatant de plus en plus sa solitude et l’inefficacité de ses multiples réseaux internationaux qui lui garantissaient que la communauté internationale finira une fois encore par céder, le doute a commencé à l’envahir. Les soi-disant révélations divines de ses pasteurs qui ont solidement consolidé ses convictions de « Destin unique » et l’ont enfermé dans des illusions mégalomaniaques. Elles s’effondraient au fur et à mesure que la pression et l’étau militaire se resserraient autour de lui. De ce fait, il lui fallait une fois encore, en véritable joueur d’échecs, avoir un coup d’avance et préparer une sortie mise en scène en espérant faire la une des médias du monde entier.
Pris dans son propre piège de pourrissement de cette crise post-électorale L. Gbagbo a donc fait le choix de se positionner en « Martyr »
Face à cette brutale réalité qui venait ébranler des années de certitudes et d’illusions qui ont fini par créer des confusions schizophréniques dans son esprit, afin de sauvegarder le mythe du « guerrier », du « libérateur du continent africain » contre le colonisateur, il a choisi l’affrontement extrême. Depuis les accords de paix de Marcoussis de 2003, en dépit de relations fluctuantes entre les conflits ouverts et les rapports de séduction avec la France (nombreux contrats octroyés, Bolloré, Bouygues, Total, Vinci, Veolia etc.), il s’est toujours bien gardé de basculer de l’autre côté du miroir. Ces entrailles abyssales où le retour devient quasiment impossible. L. Gbagbo a toujours entretenu des relations troubles avec l’ex-puissance coloniale, à la manière d’un amoureux déçu, mais espérant toujours. Ce n’est un secret pour personne. Cet homme admire la France où il a fait une partie de ses études universitaires. Il y a vécu et a même épousé une française avec qui il a eu son fils Michel. Malgré ses nombreuses amitiés en France, sa fascination pour les grands penseurs et hommes politiques français, il a toujours déploré que l’ex-puissance coloniale n’ait pas les mêmes égards à son encontre.
Pris dans son propre piège de pourrissement de cette crise post-électorale, face à lui-même, dévoré de l’intérieur par ce désir compulsif de rentrer dans la Grande Histoire de ce pays aujourd’hui meurtri, L. Gbagbo a donc fait le choix de se positionner en « Martyr » de l’ex-puissance coloniale. Lui, le Bété, ce peuple qui a résisté et combattu les français pendant la colonisation, il s’est donc lancé corps et âme dans une aventure à haut risque, mais réfléchie et calculée. Son objectif, s’inscrire dans l’inconscient collectif du peuple Bété et de la Côte d’Ivoire comme celui qui a résisté et s’est battu avec courage et détermination contre l’envahisseur et colonisateur « Blanc ». En décidant de prendre pour cible l’ONU et notamment la France, l’ancien opposant au « Vieux » sait qu’il va toucher une partie des intellectuels ivoiriens et africains, pour qui la France restera à jamais l’unique source de tous leurs malheurs. Cette stratégie semble avoir fait son effet notamment auprès de certains intellectuels camerounais qui se sont lancés dans cette cause en prenant position pour le « défenseur » de la dignité africaine. Calixte Béyala et Gaston Kelman demeurent les principaux soutiens de l’ancien chef d’Etat dans cette crise post-électorale. Après la chute de celui-ci, on peut espérer qu’ils feront de même au Cameroun, leur pays d’origine avec autant de véhémence contre Paul Biya qui s’apprête encore et encore à se succéder à lui-même, dans une indifférence totale après près de 30 ans de pouvoir.
Gbagbo s’est lui-même positionné comme le digne successeur de l’illustre Kragbé Gnagbé
En envoyant des tirs de roquettes sur l’ambassade de France, puis celle du Japon avec des hommes en armes dans son enceinte, et ensuite celle de Mauritanie, L. Gbagbo savait que la réplique serait violente et immédiate. Comme si ces actes ne suffisaient pas à provoquer l’indignation et la condamnation de la communauté internationale, voilà qu’il utilise, comme Al Quaïda, la méthode de l’enlèvement des étrangers pour susciter une réaction brutale et rapide, notamment de la France, dont deux de ses ressortissants font partie des personnes enlevées. Pire encore, ses miliciens se sont mis à brûler vifs des ressortissants Ouest-Africains dans des gestes de provocations. Ce qui a eu pour effet d’obliger de fait les dirigeants des pays dont ils sont originaires à durcir le ton et demander une résolution de l’ONU pour mettre fin à ces exactions. La réaction attendue par Gbagbo a été du coup à la hauteur de ses espoirs. C’est à dire, rapide, violente et ciblée, tout en restant dans le cadre légal imposé par la résolution 1975 des Nations-Unies. En fin connaisseur de la vie politique française, il sait aussi que sa stratégie va provoquer une vive polémique au sein de la classe politique française, à un an de l’élection présidentielle. Là encore, ses vœux sont exhaussés. La polémique fait rage en France. Le parti socialiste où il a de nombreux soutiens, toutes griffes dehors, tente d’exploiter cette zone d’ombre orchestrée par le « camarade » Gbagbo pour mettre en difficulté le président Sarkozy, déjà affaibli sur le plan national. Toujours en créant cette situation de chaos et de désastre, il avait aussi pour objectif stratégique de rendre l’arrivée au pouvoir du nouveau président élu, aussi « calamiteuse » que la sienne en 2000.
Tous les ivoiriens, et en particuliers le peuple Bété, se souviendront encore longtemps des images humiliantes et dégradantes du couple Gbagbo en pleine déchéance. Lui, l’enfant de Mama, dont des pasteurs et autres guides spirituels avaient prédit un avenir hors du commun pour la « libération des peuples africains », sait que ses images désastreuses de lui en maillot de corps peuvent contribuer à construire sa légende dans le temps. On se rappelle qu’en pleine crise post-électorale, son épouse et ses partisans ont osé le comparer à Patrice Lumumba. On se souvient encore tous, des images humiliantes et violentes de la fin de règne de ce héros de l’indépendance du peuple congolais. Le « Mythe et la légende » étaient alors en construction. L’historien qu’il est sait que les mythes et légendes se bâtissent très souvent sur des faits de résistance qui sont ensuite amplifiés, déformés et inscrits dans la mémoire collective des peuples qui ont toujours besoin de références historiques pour reprendre la suite du combat politique. En véritable opportuniste et avide de gloire éternelle, Gbagbo s’est lui-même positionné comme le digne successeur de l’illustre Kragbé Gnagbé. Le massacre de la population Bété dans les années 69-70 par l’armée de Félix Houphouët Boigny a laissé des traces indélébiles dans l’inconscient collectif Bété. Pour capturer cet opposant au régime d’Houphouët, son armée n’a pas hésité à faire un carnage au sein de la population qui refusait de dire où se cachait Kragbé Gnagbé. Il est devenu aujourd’hui un véritable mythe et le symbole de la résistance et de la lutte contre la France qui avait soutenu l’action du « Vieux » contre les Bétés. Simone, la « Dame de Sang », a elle aussi vite compris l’intérêt qu’elle avait à se construire une légende de « combattante politique », ancrée dans la foi et la croyance, telle une Jeanne D’arc. Les images de cette femme, co-fondatrice du FPI avec son mari, échevelée et entourée des soldats qui ont ruiné eux-mêmes leur propre gloire en s’acharnant avec violence sur elle, ne pouvait que renforcer la construction du mythe que ses partisans édifieront dans le temps et dans l’espace.
Macaire Dagry
15 Avril 2011
macairedagry@yahoo.fr
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