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Amanda Breuer Rivera
La fin de Laurent Gbagbo semble imminente. Pourtant, le risque d’une guerre civile en Côte d’Ivoire est patent. Jean-Pierre Dozon, anthropologue et spécialiste de l’Afrique de l’Ouest, pointe le rôle des responsables religieux dans cette crise.
Laurent Gbagbo est entouré de pasteurs évangéliques et Alassane Outtara est de confession musulmane. Avec les massacres perpétrés entre les deux camps présidentiels, ne s’agit-il pas d’une guerre de religion cachée?
Non! Ce pays traverse une période extrêmement brutale depuis bientôt plus de dix ans. Il existe des oppositions régionales, politiques. Mais même si les questions religieuses dans ce pays demeurent importantes et qu’on a eu ici et là des imams attaqués, nous ne sommes pas dans une guerre de religion. Les évêques catholiques sont très partagés sur la défaite électorale de Laurent Gbagbo.
Un prêtre, Mgr Bernard Agré, soutenu par le Vatican, lui a apporté son soutien, mais ce n’est pas le cas de tous les évêques catholiques de Côte d’Ivoire. Quant au monde musulman ivoirien, il est lui-même très diversifié. Certes, Alassane Ouattara est musulman, mais il a une pratique de l’islam très séculière et il est marié avec une femme israélienne. Il n’y a pas de guerre entre islam et chrétienté en Côte d’Ivoire.
Si Alassane Outtara a une pratique séculière de sa religion, peut-on en dire autant de Laurent Gbagbo?
Depuis plusieurs années, Laurent Gbagbo et sa femme sont entourés de pasteurs évangéliques. Issus de la troisième vague pentecôtiste, ils sont des conseillers très actifs qui se mêlent de tout. Ils assurent que l’Esprit saint est tombé sur eux, mais aussi sur Laurent Gbagbo. Le langage courant de ce pouvoir est très inquiétant : par exemple, Simone Gbagbo nomme tous ses adversaires politiques « le diable » : Nicolas Sarkozy, Barack Obama ou les Nations unies.
Autre exemple de cette ferveur évangélique, au plus haut sommet de l’Etat, la télévision pro-Gbagbo a invité les Ivoiriens – donc au fond les partisans de Gbagbo – à prier et à lire un verset de la Bible concernant l’Apocalypse. C’est un peu spécial car au fond, ils jouent sur cette image pour expliquer la situation ivoirienne. Ces derniers jours, on sait que dans son bunker, Laurent Gbagbo, sa famille et ses proches n’arrêtent pas de prier. Il est dans la position du martyr en quelque sorte. Or beaucoup de personnes autour de lui pensent qu’il est habité par l’Esprit saint et que même s’il n’a pas été élu par le peuple, il a été élu par Dieu.
Quel est le pourcentage de la population évangélique en Côte d’Ivoire?
Il est très difficile de le savoir. Il y a plusieurs courants évangéliques et l’on passe souvent de l’un à l’autre. Peut-être 10%, mais c’est un chiffre très approximatif. Bien que minoritaires, ils restent très actifs. Depuis ces dernières années, les évangéliques ont beaucoup de succès. Ils convertissent beaucoup de catholiques et, à moindre échelle, ils attirent aussi de vieilles mouvances protestantes, dont luthériennes.
Les évangéliques sont plus attractifs car ils sont beaucoup plus dans « l’émotion ». Ce phénomène est de grande ampleur et ne touche pas seulement la Côte d’Ivoire ou les autres pays africains. L’évangélisme n’est pas un phénomène spirituel, mais il est un phénomène à effets politiques importants, dont on en voit les conséquences en Côte d’Ivoire.
Le Vatican a réagi face à la crise ivoirienne en envoyant le cardinal Peter Turkson comme émissaire fin mars. Le pontife a-t-il un rôle à jouer dans cette crise?
On peut comprendre que le pape s’est ému de la situation ivoirienne. Mais l’Eglise catholique est dans une position difficile. Car Simone Gbagbo était catholique dans sa jeunesse, tout comme Laurent Gbagbo qui a fait les séminaires. Or, malgré leurs formations catholiques, ils sont passés à l’évangélisme et au pentecôtisme. Ce mouvement est très anti-catholique. Pour eux, l’Eglise catholique n’est plus du tout à la hauteur. Actuellement, l’Eglise est divisée et de nombreuses voix discordantes s’élèvent surtout depuis la fameuse élection présidentielle.
C’est-à-dire que malgré la décision du diocèse ivoirien de rester neutre, certains évêques ont pris ouvertement parti pour un camp ou l’autre. Il me semble que le pontife agit un peu tard, il aurait dû s’en mêler plus tôt dès que son évêque Mgr Bernard Agré a soutenu Laurent Gbagbo, par exemple. Car il appartient à l’Eglise catholique d’être beaucoup plus raisonnable dans cette histoire que les évangéliques. Quoiqu’il en soit, le Vatican n’a pas forcément la main sur cette affaire car la mouvance évangélique étouffe son pouvoir.
Quelle est la responsabilité des pasteurs pentecôtistes dans cette crise?
Ces pasteurs étaient devenus des conseillers à tout faire, ils n’étaient pas uniquement dans la spiritualité, ils étaient aussi dans la matérialité. Ces personnes ont une responsabilité très lourde, en particulier le pasteur de Laurent et de Simone Gbagbo. Il doit répondre de cette façon qu’il a eu d’accentuer les choses, de diaboliser les adversaires. Mais ça, c’est une autre paire de manches parce qu’il faut qu’on arrive à ce que Laurent Gbagbo sorte de son bunker.
On peut souhaiter que rien n’attente à sa vie parce qu’il est dans une logique messianique. Elle consiste à penser que son meilleur sort serait d’être tué en martyr, mais cela rendrait impossible la réconciliation ivoirienne. Il ne faut surtout pas tuer ces gens-là, parce qu’ils sont dans une logique sacrificielle comme s’ils voulaient s’inscrire en holocauste pour le peuple dont Laurent Gbagbo dit être le représentant élu, pas seulement par les hommes, mais par Dieu.
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