Côte d’Ivoire – Le cauchemar des Libanais

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Depuis jeudi matin, les Libanais de Côte d’Ivoire sont bloqués chez eux. À l’instar de tous les étrangers, leurs maisons et leurs commerces sont pillés et vandalisés.

Hier en journée, les Libanais de Côte d’Ivoire, confinés chez eux depuis jeudi matin, se demandaient comment ils passeront la nuit. La veille, des maisons et des commerces ont été pillés et vandalisés et tout au long de la journée ils entendaient des coups de feu en plein Abidjan… ainsi que les histoires de leurs compatriotes qui racontaient comment dans la nuit de jeudi à vendredi les miliciens ont saccagé leurs domiciles, leurs commerces et leurs autres biens. Ils préfèrent parler de faits, ne pas évoquer leur peur pour ne pas inquiéter la famille qui est au Liban et aussi pour se donner du courage ; ils savent qu’ils sont bloqués jusqu’à nouvel ordre dans ce pays qui les accueille depuis plus d’un siècle et que beaucoup considèrent comme le leur, comme une seconde patrie.
C’est que les ports, les aéroports et les frontières terrestres de la Côte d’Ivoire sont bloqués et les Libanais, comme toujours, n’ont personne vers qui se tourner, l’État figurant aux abonnés absents. En cas d’urgence, ils contacteront l’Onuci, les Casques bleus stationnés en Côte d’Ivoire ou la force française, Licorne.
Élie Abijaoudé, qui travaille dans une multinationale, raconte que les Libanais ont mis en place un réseau d’entraide. « Grâce aux téléphones portables, nous sommes au courant au moment même de ce qui se passe. Nous nous passons l’information et nous essayons d’aider », dit-il à L’Orient-Le Jour. Il évoque les combats et note que jusqu’à présent son travail et son domicile ont été épargnés. « Jeudi matin, les miliciens sont entrés dans la zone 4 d’Abidjan. C’est un quartier qui abrite le siège du Front populaire ivoirien, le parti de l’ancien président Gbagbo, ainsi que beaucoup de commerces. Dans cette zone les maisons et les magasins des Libanais ont été vandalisés et pillés. Dans la nuit de jeudi à vendredi, des miliciens ont fait irruption dans des villas appartenant à des Libanais. Ils étaient à la recherche d’argent liquide surtout », note-t-il.
« Il y a beaucoup de vandales armés, des pillards. On sait qu’il ne faut pas leur résister. S’ils entrent chez nous, pour rester en vie, il faut les laisser faire. S’ils prennent ce qu’ils veulent, ils nous épargneront », ajoute-t-il.

Démonter le moteur
Marie-Rose Mouaness vit avec son mari et ses trois enfants depuis 35 ans en Côte d’Ivoire. Jointe au téléphone par L’Orient-Le Jour, elle raconte que depuis jeudi, 9 heures, personne n’est plus sorti de chez lui. « Il y a quelques jours, nous avons fait des provisions qui peuvent nous suffire un mois. Nous sommes confinés chez nous. Nous n’osons même pas regarder dehors », dit-elle. « Mais on entend les pillards qui passent dans la rue, qui cassent tout sur leur passage ; on entend aussi des échanges de coups de feu », affirme-t-elle. « Nous savons que nous pouvons appeler les forces françaises et les Casques bleus. Hier, un groupe de jeunes gens libanais du Hezbollah nous a communiqué un numéro de téléphone que l’on peut composer en cas d’urgence », raconte-t-elle.
« Mon mari a un magasin, il a été pillé il y a un mois et demi. Il ne va plus au travail. Mais nous sommes là pour être avec nos enfants qui sont nés en Afrique et qui vivent ici avec leurs familles. Ma fille est mariée à un Français. Elle sera la première à être évacuée », ajoute-t-elle.
Marie-Rose parle des pillages : « Hier, ils ont volé beaucoup de voitures à côté de chez nous. Il y a des véhicules qui ne démarraient pas. Ils ont alors démonté le moteur en gardant la voiture sur place. Ils ont frappé à la porte de mon voisin, lui ont demandé la clé de sa 4×4 et de sa petite voiture. Ils ont pillé des villas la nuit dernière, non loin de chez moi. J’ai peur que ce soit notre tour ce soir. »
Marie-Rose raconte que depuis quelques semaines, nombre de Libanais sentant la situation se détériorer sont partis. « À l’école de ma petite-fille, ils étaient 28 élèves libanais en classe, avant-hier il n’y avait plus que 15. »
Ils seraient plus de 20 000 Libanais sur les 80 000 vivant en Côte d’Ivoire à avoir quitté le pays au cours du mois de mars.
« Durant deux semaines, la MEA avait affrété des vols tous les jours pour l’évacuation vers Beyrouth et il y a beaucoup qui sont partis au Togo, au Sénégal et au Ghana », raconte Ali Bahsoun.

Rester en vie
Le jeune homme a appris par le biais de ses amis que son commerce, situé dans la zone 4, a été pillé. « J’ai ouvert ce magasin d’électroménagers et de matériel informatique il y a quatre mois. Je ne peux pas sortir pour estimer les dégâts. Vous savez, l’argent ne compte pas, l’important c’est de rester en vie. »
Ali est toujours en état de choc. Vendredi vers 2 heures du matin, deux villas appartenant à des Libanais, ses voisins les plus proches, ont été volées.
« J’ai vu les miliciens entrer. Ils avaient une 4×4. Ils ont défoncé les portails et ont fait irruption dans les maisons habitées. Mon voisin vit avec son père et sa mère. Sous la menace des armes, ils leur ont pris l’équivalent de 1 060 dollars. Mon voisin leur a tendu l’argent avec son ordinateur Apple. Ils ont pris l’argent et la télévision et ont laissé l’ordinateur. Les miliciens ont clairement dit : « Nous sommes là pour l’argent. » Ils ont volé l’équivalent de 3 000 dollars de mon deuxième voisin qui vit avec sa femme et ses enfants en bas âge. Ils lui ont aussi pris la voiture, l’espace de quelques heures. En partant, ils étaient en train de crier : « Nous reviendrons demain » », indique-t-il.
« Hier, quand j’ai vu tout ça, j’ai appelé l’armée française. Personne n’est venu. Je pense que même si j’étais français, personne ne serait venu… », ajoute-t-il, désabusé.
Lamia Basma a été évacuée hier par hélicoptère à la base française de Bima.
« J’habite la zone 4. Notre immeuble, qui abrite 27 appartements occupés par des Libanais, a été le premier à être occupé par les miliciens. Nous avons couru d’un palier à l’autre, prenant la fuite. Nous étions effrayés. Les miliciens progressaient à l’intérieur du bâtiment et puis nous nous sommes retrouvés, tous les habitants de l’immeuble, sur le toit et nous avons fermé la porte à clé. Nous sommes restés des heures comme ça, dehors, à attendre les secours. Nous avons appelé l’armée française. Elle est venue avec ses hélicoptères, à plusieurs reprises. Les militaires ont atterri sur le toit de l’immeuble. Ils ont d’abord évacué les femmes et les enfants, ensuite les hommes », raconte-t-elle.
« Les Français ont été très humains, très corrects. Nous ne sommes pas français ; rien ne les obligeait à nous évacuer vers leur base et à nous servir des repas », note-t-elle. Il convient de signaler que les deux tiers des ressortissants étrangers protégés par la force Licorne sont libanais.
« Comme tous mes voisins, je suis partie avec mon passeport et une petite somme d’argent. Je n’ai même pas eu le temps de faire ma valise. Aujourd’hui, des Libanais de notre quartier nous ont appelés. L’immeuble a été pillé ; les miliciens ont même démonté les cadres en aluminium des fenêtres. Ils ont cassé ce qu’ils n’ont pas pu emporter. Plus rien ne reste dans les appartements. Nous n’avons même plus de vêtements de rechange », ajoute-t-elle.
Au Liban, les familles s’inquiètent. Joanna Abijaoudé, la sœur d’Élie, n’a pas fermé l’œil de la nuit. Elle tente par les moyens mis à sa disposition d’aider la famille et les amis bloqués en Côte d’Ivoire, du moins en exposant la situation et en mettant des personnes en contact.
Rania-Alice Raheb est au Liban. Elle est propriétaire d’une usine à Abidjan. Hier sa maison et sa fabrique de bière ont été pillées. « Mon père a fui quelques instants avant la fermeture de l’aéroport vers le Burkina Faso », dit-elle. « Heureusement, il est hors de danger », soupire-t-elle.
Ce n’est malheureusement pas le cas de dizaines de milliers de Libanais qui sont bloqués à Abidjan et qui ne savent pas ce que leur réserve le lendemain.

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