Côte-d’Ivoire: «Le dernier carré de Gbagbo n’a plus rien à perdre» Thomas Hofnung

Liberation.fr

Légaliste/Déontologue. En ne s’interposant pas à la reprise des combats au-delà de la ligne de front, d’une part, et lors de l’attaque du commando invisible en zone urbaine, l’Onuci a-t-elle respecté son mandat de protection des populations civiles?
Thomas Hofnung. L’Onuci a, effectivement, appliqué son mandat de manière très restrictive. Alors que ce mandat prévoyait l’usage de la force pour protéger les civils, elle n’a quasiment rien fait à ce niveau. L’Onuci, pas plus que d’autres forces onusiennes, n’est véritablement outillée pour faire la guerre, malgré ses moyens et ses effectifs. Il y a à ce propos, en Côte-d’Ivoire comme ailleurs, une hypocrisie générale sur ce que peut faire l’ONU dans une guerre civile.

Bouky. Gbagbo a-t-il les hommes pour résister?
De sources concordantes, il ne lui reste plus que les hommes de la garde présidentielle et les forces spéciales du Cecos (Centre de commandement des opérations de sécurité), ce qui ferait, environ, 1500 à 2000 hommes. C’est très peu, mais ce dernier carré n’a plus rien à perdre et pourrait bien résister jusqu’à la mort. Les combats ne sont donc pas terminés.

Lebaldesdupes. Sommes-nous obligés de croire que Ouattara, qui est loin d’être le saint dépeint par certains occidentaux, va œuvrer pour la Côte-d’Ivoire?
Ouattara, pas plus que d’autres leaders politiques, n’est un saint. Il devra être jugé sur ses actes. D’ores et déjà, il va se trouver face à une situation très critique: il n’y a plus de force de sécurité dans les rues d’Abidjan, les pillards s’en donnent à cœur joie, et des actes de vengeance sont à craindre dans les quartiers. Il lui faudra d’urgence imposer toute son autorité pour éviter de démarrer son mandat dans le sang.

Koefran. J’ai une amie expat à Abidjan, zone 4, qui me confirme les pillages et tirs dans le quartier. Est-il question de rapatrier les Français en urgence ?
Pour le moment, non. Les militaires français affirment que ces désordres sont ponctuels, et le fait de bandes crapuleuses. Il n’y a là rien d’organisé. Contrairement aux événements de 2004, aucun appel n’a été lancé par le clan Gbagbo à s’en prendre aux Français. En revanche, depuis hier la force Licorne a exfiltré plusieurs centaines d’étrangers, dont environ 150 Français, qui se sentaient menacés. Ils sont actuellement sur la base militaire française d’Abidjan.

Typiak. Pourquoi la France a t-elle choisi d’intervenir en Lybie et non en Côte-d’Ivoire?
Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 2004: une quasi guerre entre la force Licorne et le régime de Gbagbo. Des représailles contre les ressortissants français, et l’épisode de l’hôtel Ivoire, où des soldats français ont dû tirer à balles réelles pour se dégager face à une foule menaçante. Cet épisode reste un traumatisme pour Paris. Il n’était donc pas question d’être en première ligne cette fois ci. En revanche, il n’est pas interdit de penser que l’ancienne puissance coloniale voit d’un bon œil la chute finale de Gbagbo.

Typiak. Le pays va-t-il garder d’importantes séquelles de cette crise?
Il mettra du temps à cicatriser ses blessures liées à dix ans de crise. Ouattara devra réconcilier les Ivoiriens avec eux-mêmes. Il a une bonne carte à jouer car il a le soutien du groupe ethnique le plus important, les Baoulés. Mais il devra aussi tendre la main à tous ceux qui soutenaient Gbagbo. Rappelons que lors des dernières élections Gbagbo a rassemblé 45% des suffrages, selon la commission électorale indépendante et l’ONU. Il faudra aussi qu’il relance l’économie du pays, sinistrée par des années de divisions agravées par quatre mois de crise post-électorale.

Ax. Pourquoi Laurent Gbago a-t-il laissé tomber si vite après tant de résistance?
Ce n’est pas lui qui a laissé tomber, mais bien son armée qui a fait défection. Gbagbo a, semble-t-il, toujours cru pouvoir s’en sortir, mais cette fois, tout s’est ligué contre lui et pas seulement la communauté internationale. Même si ses partisans le nient, on a vu lors des dernières élections une vague anti-Gbagbo submerger le pays. Les gens voulaient le changement.

Mbaky. N’oubliez-vous pas le facteur IB (Ibrahim Coulibaly, chef du commando invisible)? Car le commando invisible sont ces hommes et ce sont eux qui se battent aujourd’hui contre les forces de Gbagbo à Abidjan. Que représente-t-il dans l’équation?
Il semble que ce commando invisible rassemble effectivement des partisans d’IB, mais pas seulement. Mais que représente véritablement l’ex-rebelle? Difficile à dire, mais vous avez raison il faudra intégrer cette donnée dans l’équation de l’après-crise.

Peterson. Quelle est la raison de l’adoubement de Ouattara par certains Occidentaux ?
Votre question est réductrice, Ouattara n’est pas adoubé seulement par les Occidentaux, mais bien par la quasi totalité des Etats africains. Que Ouattara soit proche des Français et des Américains, ce n’est un secret pour personne. Pour autant, je pense qu’il n’oubliera pas la période d’après les accords de Marcoussis où Paris a été tenté de jouer la carte Gbagbo pour ramener la paix. Il devrait être avant tout le président de tous les Ivoiriens.

Coco. Ouattara une fois au pouvoir pourra-t-il fédérer le pays?
Espérons qu’il en ait la volonté. Mais il faudra aussi que les partisans de Gbagbo acceptent son autorité. Ce n’est pas gagné tant les haines alimentées par une propagande virulente sont profondes à son encontre. Mais pour terminer sur un note d’espoir, souscrivons au jugement de nombreux Ivoiriens qui mettent en avant la capacité de leurs compatriotes à aller de l’avant. Merci à tous et à bientôt.

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