Retranscription de l’interview de Choi sur TCI: « La crise se terminera très bientôt par l’acceptation de la vérité par tout le monde »

Retranscription de l’interview accordée à Télé Côte d’Ivoire par le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Côte d’Ivoire,
M. Y. J. Choi (Abidjan, le 23 mars 2011)

NATIONS UNIES
Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire

ONUCI
UNITED NATIONS
United Nations Operation in
Côte d’Ivoire

Pascal Aka Brou : Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs Bonsoir. Télé Côte d’Ivoire a le plaisir de recevoir aujourd’hui le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU [pour la] Côte d’Ivoire, M. Y. Jin Choi.

Y. J. Choi : Bonsoir

Pascal Aka Brou : Merci d’avoir accepté notre invitation. Avec vous ce soir, bien sûr, nous allons parler de la crise postélectorale qui a débuté le 28 novembre 2010 avec aujourd’hui des centaines de morts et des milliers de déplacés. Et avant d’aborder ce thème central, je voudrais qu’on fasse un peu l’historique avec vous. Pouvez-vous nous rappeler l’implication de la communauté internationale dans la résolution de la crise en Côte d’Ivoire ?

Y. J. Choi : Nous sommes là, en Côte d’Ivoire, depuis déjà sept ans (2004). Mais, les sept ans pourraient être divisés en deux périodes. Première période, c’est de 2004 à 2007 au mois de mars, avec l’Accord de Ouagadougou. Les trois premières années, la communauté voulait elle-même gérer les affaires en Côte d’Ivoire. Depuis l’Accord de Ouagadougou, notre rôle a changé, c’est l’accompagnement. Que vous, les Ivoiriens eux-mêmes, se chargent de leurs affaires.

Pascal Aka Brou : Avec accompagnement du processus électoral.

Y. J. Choi : Electoral et aussi la protection des civils, tout le maintien de la paix. Ce sont les Ivoiriens, l’autorité et le peuple, qui sont responsables. Nous sommes là pour accompagner, assister.

Pascal Aka Brou : Très bien. Alors, ces derniers temps M. Choi, il y a un mot que les Ivoiriens connaissent bien, c’est le mot certification. Qu’est-ce que cela signifie et comment ce terme est-il arrivé dans notre processus électoral ?

Y. J. Choi : C’est une bonne question puisque c’est un phénomène assez nouveau. C’est-à-dire qu’il n’y a eu que trois certifications dans l’histoire. L’ONU a fait une certification tout d’abord à Timor l’Est. Il y a aussi le Népal. Et la Côte d’Ivoire ; ce n’est que le troisième, mais le premier en Afrique. Tout était invité par le peuple. C’est-à-dire que la certification n’est pas imposée au peuple ivoirien, à l’Etat ivoirien. Nous sommes invités à la faire. Donc, il faut comprendre deux choses. C’est-à-dire, ce n’est pas du tout des phénomènes répandus. Deuxième chose, nous sommes invités à certifier par l’autorité, le peuple ivoirien.

Pascal Aka Brou : Donc en termes clairs, ce sont les Ivoiriens qui, d’un commun accord, ont convenu de la certification de l’élection en Côte d’Ivoire ?

Y. J. Choi : Exact.

Pascal Aka Brou : Et quelle est la place de la certification par rapport à la Constitution ?

Y. J. Choi : C’est très simple. La certification c’est quoi ? On certifie quand tout le processus est terminé. Donc, quand la Commission Electorale Indépendante (CEI) prononce le résultat provisoire, quand le Conseil Constitutionnel prononce le résultat définitif, après nous certifions si tout a bien marché ou non. C’est ça le processus. Comme nous sommes à la fin de tout le processus national, nous intervenons avec notre certification. Ça a été d’ailleurs accepté par tous les protagonistes, y compris le Président Gbagbo.

Pascal Aka Brou : Il y a aujourd’hui une polémique quand on écoute les Ivoiriens parler. Pour certains, M. Choi a fait preuve d’un courage exceptionnel dans cette crise. Pour d’autres, vous avez outrepassé vos compétences. Comment vous vivez cette polémique ?

Y. J. Choi : Merci pour toutes les qualifications, mais je n’ai fait que mon travail. C’est-à-dire que j’ai été invité par les politiciens ivoiriens pour certifier leur propre élection. Donc, j’avais ma responsabilité de trouver la vérité. C’est ce qui s’est passé le 28 novembre. Pour cela, j’ai déployé trois moyens indépendants de la CEI, du Conseil Constitutionnel. Donc, je n’ai certifié le résultat, ni de la CEI ni celui du Conseil Constitutionnel. J’avais mes propres moyens qui sont totalement indépendants pour trouver la vérité de ce qui s’est passé le 28 novembre. La vérité était simple. Le camp de Ouattara a gagné avec +8% l’élection, qui était très démocratique, très ouvert, transparent, tout à fait acceptable. Cette vérité, c’était mon travail. Si on qualifie que j’ai outrepassé ma compétence, c’est faux. Puisqu’ils ont demandé que je fasse ma certification. J’ai fait un travail courageux ? Merci beaucoup. Mais avec mes collègues, nous n’avons fait que notre travail que le peuple ivoirien a demandé.

Pascal Aka Brou : Depuis le déclenchement de cette crise postélectorale, vous êtes allé dans plusieurs rencontres internationales. On vous a vu à l’ONU, on vous a vu à Addis-Abeba. On vous a vu dans d’autres capitales. Et partout où vous avez été invité, vous êtes allé démontrer que c’est bel et bien M. Ouattara qui a gagné l’élection présidentielle.

Y. J. Choi : Puisque j’ai fait un engagement au peuple ivoirien. Si vous voyez le panneau électoral diffusé par l’ONUCI, c’était « allons voter, le gagnant sera le gagnant ». Donc allons voter, c’était le peuple ivoirien qui a pris l’engagement, qui l’a fait avec une attitude magnifique. Plus de 80% de taux de participation, pas de fraude, très peu d’irrégularités. C’est-à-dire qu’il y a des exactions ici et là, mais minimes. C’est maintenant notre tour de faire prévaloir que la volonté du peuple ivoirien sera respectée.

Pascal Aka Brou : Alors, depuis ce deuxième tour de l’élection présidentielle et puis la contestation, on assiste à des scènes de violences extraordinaires. Des massacres, des tueries à grande échelle. Et on vous reproche à vous, pas individuellement, à l’ONUCI, de regarder les populations massacrées et de ne pas agir.

Y. J. Choi : J’aime beaucoup le concept de la vérité et réconciliation ; c’est-à-dire, la crise sera terminée dès que tout le monde acceptera la vérité du 28 novembre. Qui a gagné ? Qui a perdu ? Aussi, si quelqu’un est hostile à la vérité et ne l’accepte pas, c’est le camp de ce monsieur-là qui est responsable de la crise, des massacres, de l’utilisation des armes lourdes. Ce n’est pas l’ONUCI. Mais nous avons des responsabilités. Sur le plan de la protection des civils, on a deux volets. Premier volet, si vous lisez l’Accord de Ouagadougou et les résolutions du Conseil de sécurité attentivement, vous allez trouver que la responsabilité incombe bien aux autorités ivoiriennes. Celui qui détient la force militaire tire sur sa propre population. Il faut le coupable, le faire responsable. C’est ça notre premier mandat. Donc, nous sommes en train de documenter toutes les violations des droits de l’homme pour informer le Conseil de sécurité. Deuxième volet, quand il y a des dangers imminents de massacres de civils, nous intervenons directement avec notre patrouille. C’était le cas d’ailleurs à Abobo, Koumassi. Quand nous avions des renseignements, des informations, des certitudes, qu’il y aurait des violations, nous sommes intervenus à chaque fois. Même à 2 heures ou 3 heures, on était là à Abobo.

Pascal Aka Brou : Est-ce que vous savez, M Choi que des populations sont massacrées chaque jour, qu’il y a des exactions qui sont commises, qu’il y a des gens qui sont brulés vifs. Ça vous le savez ?

Y. J. Choi : On est déjà dans le quatrième mois de la crise postélectorale. Donc plus de 100 jours. Nous avons plus de 440 morts. Ce n’est pas acceptable, c’est trop. On ne peut pas continuer. Mais pourtant, notre présence en Côte d’Ivoire, à Abidjan, Abobo, Attecoubé, à tous les endroits, était bien la preuve de notre présence, d’une force de dissuasion. Donc nous avons réussi à prévenir les massacres à grande échelle. Prenons l’exemple des 12 et 13 janvier. Le 12, il y avait un accrochage entre pro-Ouattara et pro-Gbagbo et les forces spéciales pro-Gbagbo ont essuyé une grande défaite. Le lendemain, le général Mangou a prononcé un couvre-feu. Nous avons eu l’information qu’il est en train de ramasser les forces spéciales pour faire une vengeance. La nuit du 13 janvier était très critique pour nous. Donc nous sommes allés avec une forte patrouille à Abobo pendant toute la nuit. Nous avons rencontré trois fois les forces spéciales pro-Gbagbo. On les a écartées. Nous avons brisé au moins 12 barricades routières pour arriver à Abobo à 1 heure du matin. Donc, si nous n’étions pas le soir même à Abobo, il pourrait y avoir un massacre de civils à grande échelle. Ça aurait pu être notre échec de l’ONUCI. Mais nous avons réussi quand même chaque jour et chaque nuit. Vous savez, nous envoyons à peu près 800 patrouilles par semaine. C’est-à-dire plus de 100 patrouilles par jour. Donc quand même, on est là partout pour démontrer notre présence, pour assurer au peuple ivoirien que nous sommes là pour vous protéger, pour montrer aux forces spéciales du camp du Président Gbagbo que ‘vous ne pouvez pas vraiment faire ceci ou cela avec impunité’.

Pascal Aka Brou : Que pensez-vous de l’usage disproportionné de la force pour réprimer les manifestations pacifiques ?

Y. J. Choi : Nous avons pris une position très claire et très forte concernant l’usage des armes lourdes, telles que les forces spéciales du Président Gbagbo ont utilisé, des mitraillettes, pour tuer les femmes pacifiques. Ça peut être un crime contre l’humanité. Aussi il y a quelques jours, du camp commando militaire à Abobo, ils ont tiré des mortiers dans le marché. Il n’y avait que des populations civiles qui menaient une vie tout à fait pacifique. Comment peut-on imaginer quelqu’un tirer des mortiers sur sa propre population civile. Je cite les deux cas. Mais si les forces spéciales du Président Gbagbo continuent à utiliser les armes lourdes pour tuer leur propre population civile, je crois que c’est une mesure extrême qui pourrait signifier la perte de contrôle de ses propres forces.

Pascal Aka Brou : En ce qui concerne le 1er massacre du 03 mars 2011, la marche pacifique des femmes, certains journaux ont parlé du complot du bissap, c’est-à-dire la négation totale de ce qui s’est passé, on a parlé de montage.

Y. J. Choi : C’est pour éviter la responsabilité, je crois. Ils savent que c’est un crime très lourd. Donc, ils voulaient nier que c’était eux qui l’ont fait. Nous avons des preuves. Nous avons des documentations qui prouvent bien que ce sont les forces spéciales du Président Gbagbo qui ont tiré les mitraillettes.

Pascal Aka Brou : Est-ce qu’aujourd’hui, on peut parler de génocide ou alors c’est trop tôt de parler de génocide ?

Y. J. Choi : On parle beaucoup de guerre civile, de génocide. Mais je dirai plutôt qu’il y a des accrochages, des tueries inacceptables chaque jour. Surtout à Abobo. Aussi dans l’ouest. Et des tragédies d’une dimension humanitaire. Aussi on parle beaucoup de la guerre civile, mais sur le plan national encore, les combats sont limités, localisés dans un endroit spécial à Abidjan et dans l’ouest extrême.

Pascal Aka Brou : Donc il est trop tôt de parler de guerre civile ou de génocide ?

Y. J. Choi : Ça dépend, s’il y avait des spécialistes qui ont fait d’une façon très concrète des cas humanitaires, droits de l’homme, violation tout cela, ils pourraient dire que c’est un cas de crime contre l’humanité. Tout cela. Mais il faut aussi mettre ce crime, cet acte, dans les perspectives. C’est inacceptable. Ça pourrait constituer un crime contre l’humanité. Mais aussi, il ne faut pas dire que, sur le plan national, tout le monde s’engage au combat avec tous les armes disponibles. On n’en est pas encore là.

Pascal Aka Brou : Est-ce que vous avez découvert des charniers depuis le déclenchement de cette crise ?

Y. J. Choi : Nous avons des informations qu’il pourrait y avoir trois ou quatre charniers suspects. Le premier, c’était à N’dotré-Anyama, près d’Abobo et trois dans l’ouest. Et nous avons visité un près de Daloa. Mais on n’a pas trouvé de charnier. Les deux, on n’a pas encore visité dans l’Ouest, l’endroit suspect. Nous avons visité N’dotré deux fois tout récemment avec les experts. Nous n’avons pas trouvé de traces de charniers à N’dotré, ni les corps dans les morgues. Mais il faut continuer à évaluer les évidences, les preuves qui pourraient surgir.

Pascal Aka Brou : L’ONUCI a obtenu récemment des renforts en hommes et en matériels. A quel objectif cela répond ?

Y. J. Choi : Depuis que le camp du Président Gbagbo nous a demandé de quitter, nous travaillons dans un environnement hostile. Et en cela, l’ONUCI est devenue la premiere mission de maintien de la paix dans l’histoire – 60 ans – qui dit ‘non’ à l’autorité de facto, l’autorité militaire, qui nous demande de quitter. Cela veut dire que nous opérons dans un environnement hostile. Il y a des tirs directs sur nos casques bleus, ils brûlent nos voitures, ils pillent les résidences de nos staffs, ils attaquent et humilient nos staffs. Tout cela. C’est pour cela que nous avons demandé 2.000 renforts avec trois hélicoptères armés. Les hélicoptères sont tous arrivés et les 2.000 hommes, nous allons les avoir bientôt. C’est pour mieux faire notre mandat. C’est-à-dire qu’il y a quatre volets. Documenter les abus et violences des droits de l’homme, faire des patrouilles plus robustes, intervention directe au cas où les civils sont en danger imminent. Aussi la protection de l’Hôtel du Golf. Nous consacrons à peu près la moitié des effectifs à Abidjan à la protection du Golf. C’est très important. S’il n’y a pas notre protection, les ministres seront obligés d’aller à Bouaké. Cela signifie la division du pays et peut être la guerre civile à grande envergure. Nous ne voulons pas ce phénomène. Et quatrième élément, c’est la certification. C’est-à-dire la sauvegarde des résultats de l’élection. C’est pour cela que nous avons joint un renfort que nous allons recevoir bientôt pour mieux nous acquitter de notre mandat.

Pascal Aka Brou : Alors, depuis que l’ancien Président Monsieur Laurent Gbagbo vous a demandé de partir, vous êtes là. Il a demandé que vos appareils ne volent plus, vos appareils volent. Vous entendez continuer votre mission jusqu’à la fin ?

Y. J. Choi : Nous recevons notre mandat du Conseil de sécurité, qui nous a demandé de rester pour continuer à faire les quatre éléments importants de notre mandat. Aussi pour maitriser les libertés de mouvement dans l’air. Donc nous continuons à assurer notre liberté de mouvement dans l’air.

Pascal Aka Brou : Vous avez rappelé tout à l’heure, M. Choi, ce que vous faites pour protéger les populations civiles qui pensent, beaucoup d’Ivoiriens aussi, que vous n’en faites pas assez. Monsieur Alain Juppé, le Ministre français des affaires étrangères, a rappelé récemment que votre mandat est suffisamment précis pour protéger les populations. Comment se fait-il que ce que vous faites on ne le perçoit pas ? On attend plus de vous et on ne vous voit pas souvent. A Koumassi, dans d’autres communes, à Yopougon.

Y. J. Choi : Vous savez, nous sommes à peu près 8.000 effectifs aujourd’hui. A peu près 3.500 sont à Abidjan, dont la moitié est consacrée à la protection de l’Hôtel du Golf. Avec 1.500, nous avons envoyé six patrouilles à un moment donné. Donc qu’est-ce que vous voulez, nous pouvons envoyer une patrouille à Koumassi, une patrouille à Abobo, Attecoubé, Cocody, Yopougon. Donc si vous ne voyez pas souvent notre présence, c’est parce que vous ne nous suivez pas.

Pascal Aka Brou : Qu’est-ce qu’il vous faut pour que vous fassiez d’avantage. Faut-il un changement de mandat ?

Y. J. Choi : C’est une question très importante. Mais c’est le Conseil de sécurité qui doit réfléchir et prendre une décision. C’est-à-dire qu’il y a des demandes incessantes pour qu’on fasse plus. Mais pour cela, quand on lit attentivement les demandes, il faut changer carrément notre mandat. C’est-à-dire nous avons aussi le Chapitre 7, c’est vrai, mais dans le Chapitre 7, il y a deux possibilités : le maintien de la paix où nous sommes aujourd’hui et l’imposition de la paix. C’est-à-dire, on fait le combat, carrément le combat, contre les forces hostiles. Il faut carrément changer le mandat pour qu’on nous donne le mandat d’imposition de la paix. On n’en est pas là encore. Nous sommes au maintien de la paix et non à l’imposition de la paix.

Pascal Aka Brou : Alors cette situation de crise, M. le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, qui fait que certains Ivoiriens attendent beaucoup de vous, fait dire que la communauté internationale n’existe pas. Parce que les populations ont l’impression d’être abandonnées. Ça, se sont des reproches qu’on entend souvent. La communauté internationale, elle ne fait rien, elle n’existe pas. Pour vous c’est injuste de dire cela ?

Y. J. Choi : Je vous remercie pour ce crédit trop positif. Mais en même temps s’ils pensent vraiment qu’on ne fait rien, imaginons qu’il n’y a pas l’ONUCI aujourd’hui. Qu’est-ce que vous pensez de ce qui va se passer à Abidjan dès demain ? Alors vous pouvez imaginer facilement ce qui va se passer. Notre présence c’est un peu comme l’air. C’est pas bien apprécié mais ça joue un rôle important quand même.

Pascal Aka Brou : Le camp de l’ancien Président vous reproche parfois de convoyer des rebelles. Ça on l’a entendu dire. Qu’est-ce que vous répondez ?

Y. J. Choi : Ha. Cette question est vraiment une bonne question. Puisque si vous lisez notre mandat, cela nous demande de dire la vérité sur la certification qui a gagné les élections sans concession. Dire la vérité mais agir avec impartialité. Mais il y a un camp qui pense que si vous êtes vraiment impartial, il ne faut pas dire la vérité. L’autre camp pense que si vous dites la vérité, il faut agir selon la vérité. Mais tous les deux ne comprennent pas très bien notre mandat. C’est bien de dire la vérité mais agir avec impartialité. Nous n’avons pas transporté un soldat des Forces Nouvelles. Nous n’avons pas donné une arme à quiconque. Nous n’avons pas donné de nourriture à un camp ou l’autre. Ce sont des fabrications, des inventions. Je me demande parfois pourquoi ils inventent tout le temps, tous les jours cette histoire. Peut-être qu’ils ne sont pas sûrs d’eux-mêmes. Ils voulaient que l’ONUCI devait nécessairement être à côté de leur adversaire pour justifier le résultat. Ça fait partie de leur propagande. Mais nous sommes en train de documenter aussi, puisque c’est un message contre notre impartialité militaire et destiné à provoquer la haine. C’est-à-dire les jeunes patriotes, la jeunesse, est là pour étudier, pour préparer l’avenir de leur pays. La jeunesse n’est pas là pour faire la guerre. Pour les inciter à aller tous dans l’armée. Ce n’est pas du tout un leadership véritable d’un pays. Il faut laisser la jeunesse travailler, aller étudier à l’école pour préparer leur futur et le futur de leur pays.

Pascal Aka Brou : On a vu ces images, hein, de ces jeunes qui ont été invités à aller se faire enrôler. Quand vous voyez ces images-là, qu’est- ce que vous dites ? Qu’est-ce que vous faites pour stopper ? Est-ce que vous informez le siège è New York ? Vous faites des propositions ?

Y. J. Choi : Je crois qu’ils ont fait une erreur. Je ne vois pas comment ils vont les loger. J’ai vu des milliers de personnes. Où est-ce qu’ils vont les loger s’il devait les embaucher dans l’armée ? Comment ils vont les nourrir ? Comment ils vont les habiller ? Comment ils vont les entrainer ? Je ne sais pas où est-ce qu’ils vont les nourrir d’abord ? Ils vont les loger. Je ne crois pas que c’est avec un plan détaillé qu’ils ont fait un appel. Aussi, imaginez que l’ONUCI, moi, je fasse une annonce hier, que nous allons embaucher la jeunesse. Demain matin à 7 heures, je suis sûr que j’aurai des milliers de milliers de jeunes devant Sebroko.

Pascal Aka Brou : Vous avez parlé tout à l’heure de la sécurisation de l’Hôtel du Golf où se trouvent le Président élu, l’ancien Président Konan Bédié et tous leurs Ministres. C’est un lieu totalement sécurisé ?

Y. J. Choi : Oui. Je suis confiant. Nous avons un excellent commandant général ici. Avec lui, nous avons à peu près 800 à 1000 éléments à un moment donné. Nous sommes absolument sûrs qu’on peut repousser les tentatives d’attaque civile ou militaire combiné à n’importe quel moment. On est sûr qu’on arrivera à protéger n’importe quelle éventualité.

Pascal Aka Brou : Ces derniers jours, tous les Ivoiriens ont regardé ce qui s’est passé en Lybie. Où en un temps record, il y a eu une mobilisation de la communauté internationale pour stopper les massacres des populations civiles. N’y a-t-il pas là deux poids deux mesures ?

Y. J. Choi : Ça dépend de ma compétence. Je suis là comme Représentant spécial du Secrétaire général, envoyé par lui et pour accomplir le mandat du Conseil de sécurité. Je crois que cette question pourrait être posée. – je ne conteste pas la légitimité de cette question – au Conseil de sécurité pour qu’il réfléchisse pour prendre une décision.

Pascal Aka Brou : Est-ce qu’il est faux de dire que parce que la Lybie est un pays riche et un pays qui a du pétrole pour que la communauté internationale se mobilise pour protéger les richesses de la Lybie ?

Y. J. Choi : Je crois que c’est une question qui pourrait être étudiée par pas mal d’entités. Tout d’abord par la CEDEAO, qui a une réunion des Chefs d’Etat, par l’Union africaine et par le Conseil de sécurité. Mais pas par l’ONUCI. Nous sommes là pour exécuter les quatre éléments fondamentaux de notre mandat, qui ne comprend pas une intervention militaire.

Pascal Aka Brou : Alors la CEDEAO, justement, se réunit. Qu’est-ce que vous attendez de cette rencontre d’Abuja ?

Y. J. Choi : Nous sommes là pour appuyer et assister les délégations de la CEDEAO s’ils viennent, comme on l’a fait au mois de décembre. A part ça, ça sort du cadre de mon mandat. Je ne vais pas faire de commentaires sur les actes qui pourraient être pris par les Chefs d’Etat.

Pascal Aka Brou : Et vous l’ONU, vous avez supervisé, vous avez accompagné, vous avez certifié l’élection, le processus électoral en Côte d’Ivoire ?

Y. J. Choi : Sur la certification, il n’y a pas de concession, il n’y pas de timidité. C’est sûr on a certifié la vérité. Il faut que tout le monde accepte la vérité pour l’avenir de la Côte d’Ivoire vers la réconciliation. Si on n’accepte pas la vérité, il n’y aura pas de réconciliation. Il n’y a pas de solution.

Pascal Aka Brou : Très bien j’arrive à ma question. Vous êtes formel, c’est Monsieur Ouattara qui a gagné et depuis quatre mois, il est retranché ici. Est-ce que ce n’est pas l’échec de l’ONU ?

Y. J. Choi : Non. Le mandat que nous avons reçu, c’est, je le répète mot à mot : promouvoir le dialogue politique parmi les acteurs politiques ivoiriens et faire respecter le résultat. C’est-à-dire, nous sommes là pour protéger le résultat, la protection de l’hôtel du Golf. Nous sommes là pour promouvoir le dialogue entre les différents acteurs politiques en Côte d’Ivoire. Donc, si vous imaginez qu’on peut faire une action militaire en faveur des résultats, ce n’est pas dans notre mandat. Il faut bien le comprendre. C’est pour ça que je vous répète encore une fois ‘dire la vérité mais agir avec impartialité’. C’est un peu complexe. C’est bien le sens de notre mandat. Cela veut dire qu’on écarte toute action militaire, d’occupation d’une […] enceinte, par exemple la Banque Centrale. On nous demandait incessamment d’installer un camp militaire pour faire fonctionner ce camp militaire conformément aux résultats des élections. Mais ce n’est pas dans notre mandat. Il faut promouvoir le dialogue parmi les acteurs ivoiriens, mais avec une seule condition, qui est l’acceptation des résultats, la vérité qui ne change pas. Voilà la certification et notre mandat.

Pascal Aka Brou : Comment voyez vous la fin de cette crise, M. Choi ?

Y. J. Choi : Personne n’a une boule de cristal pour le dire. Mais quatre mois, c’est un peu trop. Mon instinct me dit que la fin n’est pas très très loin. La fin n’est pas très loin puisque quand je vois des mesures extrêmes amplifiées par le camp du Président Gbagbo, je me demande où est-ce qu’on en est vraiment ? Si vous lisez l’histoire, si vous voyez les mesures extrêmes, c’est un signe de perte de contrôle de celui qui emploie ces mesures extrêmes. Donc, de ce point de vue, je dis c’est peut-être les ténèbres avant l’aube. Ayons espoir. Ça duré quatre mois. Ça ne peut pas durer trop longtemps. Mon instinct me dit que la fin sera plus tôt qu’on ne peut imaginer.

Pascal Aka Brou : Ça veut dire que le régime va tomber par essoufflement, que les mesures qui ont été prises vont finir par payer ?

Y. J. Choi : On finit par accepter le verdict des urnes, la volonté du peuple. Ça, j’en suis sûr. La crise se terminera par l’acceptation de la vérité par tout le monde.

Pascal Aka Brou : Est-ce que c’est la crise la plus difficile que vous ayez eu à résoudre ?

Y. J. Choi : Dans ma vie ?

Pascal Aka Brou : Pas vous personnellement, l’ONU.

Y. J. Choi : C’est un cas unique dans la mesure où, comme je vous ai dit, nous sommes là quand l’autorité de facto militaire nous a demandé de partir. Il n’y a jamais ce cas dans l’annale de l’histoire du maintien de la paix. Donc vous avez raison sur cet aspect, c’est un défi très énorme pour les Nations Unies, pour l’ONUCI. Et d’un côté, nous sommes confiants pour le dénouement puisque la justice est avec nous, la cause est avec nous. Pourquoi ? Pensez-vous que les jeunes patriotes- qui doivent aller étudier et travailler – ils sont là mais pourquoi ils ne sont pas vraiment actifs par rapport au passé ? Puisqu’ils savent très bien qu’ils n’ont pas la force, ils n’ont pas la justice.

Pascal Aka Brou : Est-ce qu’avec ce que vous voyez là, ce qui se passe dans notre pays ne faut il pas désespérer de la démocratie. La démocratie peut-elle s’enraciner en Afrique ?

Y. J. Choi : Si on échoue en Côte d’Ivoire. Il y aura lieu d’être désespéré. Mais je suis sûr qu’on va réussir en Côte d’Ivoire. Si on échoue ici, quel message on va donner aux pays africains, aux 17 ou 18 pays africains qui auront des élections cette année ? Le message serait ‘les élections, ça ne compte rien’. Si vous gagnez, tant mieux, si vous perdez, vous vous accrochez avec les forces militaires. Nous ne devons jamais échouer en côte d’Ivoire. Et je suis sûr, on va faire prévaloir la volonté du peuple tôt ou tard. Ça sera la fin de la crise.

Pascal Aka Brou : Depuis quelques années, tout le monde dit ‘attention, la Côte d’Ivoire s’en va vers le gouffre’. Et malgré tout on avance. On avance vers ce gouffre-là, aujourd’hui. Pour beaucoup, la guerre civile n’est pas loin. Vous pensez qu’on peut toujours l’éviter ce chaos ?

Y. J. Choi : Oui. Mais ça dépend beaucoup de la population ivoirienne, qui est en dernière ressort. C’est elle qui doit régler la crise avec les leaders politiques. Mais j’ai beaucoup d’estime pour le peuple ivoirien. Si vous regardez les 10 années de crise, vous avez quand même réussi à contenir la crise. En termes de dégâts, en termes de nombre de personnes tuées, en termes des personnes réfugiées, en termes de retrait économique. Donc, je fais confiance au peuple ivoirien. Ils gèreront eux-mêmes leurs propres affaires tôt ou tard. En faisant prévaloir le résultat des élections du 28 novembre. Sans l’acceptation de ce résultat, je ne vois pas comment on peut régler la crise.

Pascal Aka Brou : Est-ce qu’aujourd’hui, vous avez les contacts avec l’ancien président, soit directement soit par personne interposée.

Y. J. Choi : Deuxième cas, personne interposée, oui. Mais j’ai toujours dit, je suis prêt à rendre visite comme j’ai accepté votre invitation. Je suis prêt à accepter l’invitation de la RTI. C’est la même chose pour notre ONUCI FM. Nous invitons toujours non seulement le Président Ouattara, on invite les personnalités du camp du Président Gbagbo. S’ils refusent c’est leur affaire. Mais on les invite toujours.

Pascal Aka Brou : Vous-même, vous n’avez jamais eu peur pour votre sécurité ?

Y. J. Choi : Moi, je suis plutôt curieux de savoir comment ça va m’affecter ? Ça fait déjà le quatrième mois que j’habite à Sebroko. Ce n’est pas nécessairement avoir peur. C’est plus commode pour notre Commandant des forces, qui est ici sur place. Le Commissaire de police est là, les collègues proches sont toujours là. Mais chaque jour et chaque nuit, nous recevons des appels dont vous ne pouvez pas imaginer le contenu et le nombre. Donc il faut faire des fois une réunion d’urgence à 11 heures du soir, à minuit, à 1 heure du matin même, pour envoyer des convois ici et là. Donc, on est habitué et la peur, pas encore.

Pascal Aka Brou : Qu’est ce que vous pouvez dire aux Ivoiriens en guise de conclusion. Aux Ivoiriens qui vous regardent.

Y. J. Choi : Ayez confiance en vous-mêmes. Vous êtes un peuple magnifique. C’est-à-dire qu’il y a cent jours à peine vous avez fait une élection exemplaire à l’échelle mondiale. Quel pays à délivré ces jours-ci une élection avec + 81% de taux de participation. Pas de fraude, très peu d’irrégularités. Donc ayez confiance en vous. Mais il faut que les politiciens acceptent la vérité. Et faire travailler la jeunesse pour leur avenir et l’avenir du pays. Au lieu de les mobiliser à des fins politiques. Il faut que chacun fasse son travail. Je crois le peuple ivoirien à une culture politique très raffinée. Je le dis depuis mon arrivée. Je l’ai constaté. Donc, l’avenir est là encore très prometteur pour le peuple ivoirien. Ayez confiance ; la fin arrivera plutôt que prévue.

Pascal Aka Brou : Merci, Monsieur Choi, d’avoir répondu à nos questions.

Y. J. Choi : Merci Monsieur le Directeur.

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