DÉCRYPTAGE Par Dr Dieth Alexis Vienne, Autriche
Avec l’arrêt opportun et étonnant de la cour de justice de la CEDEAO interdisant l’usage de force pour le déloger, Gbagbo pense avoir bétonné sa stratégie de survie au moins jusqu’au 9 Mai 2011 date du début du jugement de sa requête sur le fond. Sa conversion subite aux compromis et son appel à un dialogue inter-ivoirien, sa condamnation de l’usage de la force comme voie sans issue résulte de son constat pragmatique que le rapport de force lui est défavorable. Son offre surprenante de dialogue à la partie adverse se situe dans cette stratégie de survie qui lui permet d’entraîner ses nouvelles recrues et de se réarmer pour mieux guerroyer tout en continuant à porter des coups à l’adversaire et en poursuivant obstinément le massacre des populations civiles. Le caractère étrange de la décision de la cour de justice de la CEDEAO qui, tout en étant au courant de l’urgence de la situation de guerre civile empêche l’application de la décision contraignante de l’UA, contient la clé de l’attitude énigmatique de l’ONU et du conseil de sécurité. L’explication de la différence de traitement entre la situation Ivoirienne et la situation libyenne par l’ONU, le conseil de sécurité et les Etats Occidentaux réside dans les sourdes manœuvres de la diplomatie africaine qui a finit par s’exprimer dans cette décision étonnante de la cour de justice de la CDEAO et dans la proclamation solennelle du refus de l’usage de la force légitime au terme de la réunion d’Abuja des 23 et 24 Mars dernier.
Par cette décision de sa cour de justice, la CEDEAO est rendue impuissante. L’Ecomog est entravée. Le problème de la protection des populations civiles, devenu central, est maintenant dissocié du problème électoral ivoirien dont la solution est reportée au mois de mai prochain. Réduite à l’impuissance, la CEDEAO est obligée de recourir au conseil de sécurité de l’ONU et aux forces de l’ONUCI qui ne sont pas suffisamment aguerries et auxquelles l’on demande désormais de protéger les civils en s’interposant par la force entre deux armées surarmées, aguerries et prêtes à en découdre. Qu’en est-il alors du problème du braquage électoral dont le massacre des populations civiles n’est que la conséquence dans la stratégie de conservation du pouvoir par le président sortant ? Devenu un problème exclusivement juridique, peut-il être résolu par des moyens militaires, comme cela était prévu dans les textes de la CEDEAO, qui imposait au besoin l’usage de la force légitime pour imposer la démocratie dans les cas de braquage électoral et la paix lors des guerres civiles en Afrique?
La nouvelle règle de la CEDEAO qui résulte des controverses secrètes déclenchées par le braquage électoral de Gbagbo bat en brèche la règle officielle de la CEDEAO concernant l’usage de la force légitime. Au terme de la dernière réunion des 23 et 24 Mars dernier de l’organisation continentale à Abuja, il est désormais établi que la CEDEAO « ne fait pas usage de la force ». Les organisations internationales africaines demandent maintenant à l’ONUCI « de faciliter le transfert immédiat du pouvoir » à Alassane Ouattara sur l’arrière fond menaçant de la décision de la Cour de justice de la CEDEAO qui vient d’interdire l’usage de la force. Dans ce contexte, la solution du partage du pouvoir, la solution du troisième homme, et même de la partition, sont redevenues des options possibles, sous les impulsions des soutiens occultes d’un Gbagbo qui se fait désormais l’apôtre du dialogue, au moment même où il poursuit la stratégie du chaos et de guerre civile.
C’est dans le cadre de cette duplicité des organisations internationales continentales africaines qu’il faut situer la pusillanimité de l’ONU et l’encouragement de la Russie et de la Chine à l’utilisation systématique du véto. Ces deux pays auraient-ils pu bloquer systématiquement les résolutions du Conseil de sécurité sur la Côte d’Ivoire si l’Union Africaine avait clairement et sans équivoque demandé et autorisé une intervention pour mettre fin à l’imposture électorale de Gbagbo ? L’autorisation sans équivoque de l’intervention militaire et humanitaire Occidentale par la Ligue Arabe n’a-t-elle pas déterminé la neutralité de la Chine et de la Russie à propos de la Libye ? Dégagé par les interrogations de Christian Brazzin qui suivent, le spectre des responsabilités ressort élargi de la mise en question de l’attitude respective de l’Union africaine, de la CEDEAO, d’une part, et de la Ligue Arabe d’autre part.
« Pourquoi la communauté internationale agit-elle avec plus de célérité sur le dossier libyen que sur la question ivoirienne ? La population de la Libye est-elle mieux que celle vivant en Côte d’Ivoire ? Est-ce parce que « le massacre de plusieurs centaines de négros ivoiriens par l’ancien couple présidentiel n’émeut personne parce que la criminalité des dirigeants africains est légitimement génétique et que pleurer sur les morts libyens en plein désert ou sur le peuple meurtri du Japon victime de la nature est plus humanisant » ? Ces questions posées par Christian Brazzin dans ses excellentes analyses, la semaine dernière, font ressortir de la part du Conseil de sécurité de l’ONU, des puissances occidentales et de l’ONUCI, une indifférence teintée d’un racisme latent relativement à la Côte d’Ivoire. Ce d’autant plus que, comme l’a souligné Jean Dufourcq, « La France partage l’idée qu’elle se doit d’intervenir dès lors qu’une population subit une attaque de son dirigeant surtout si le processus se déroule dans un espace la concernant directement ». Pourquoi intervient-elle alors en Libye alors qu’elle s’interdit d’intervenir en Côte d’Ivoire pour protéger les populations ? Cette attitude incompréhensible et condamnable du « deux poids ; deux mesures » est-elle fondée sur du racisme et sur des considérations bassement matérielles portant sur les valeurs financières et stratégiques comparatives du café-cacao ivoirien et du pétrole libyen ou sur des contraintes diplomatiques entre l’Afrique sub-saharienne et l’Occident? Comment expliquer l’attitude du conseil de sécurité de l’ONU et celle des puissances occidentales par rapport à la Côte d’Ivoire ? Relèvent-t-elles d’une coupable indifférence ? Ou d’une certaine frilosité ?
L’ONU et les puissances occidentales peuvent-elles décider d’un engagement militaire en Côte d’Ivoire sans le consentement explicite, clair et sans équivoque de l’Union Africaine et de l’ensemble des membres de la CEDEAO ? Auraient-elles pu intervenir en Libye sans un tel consentement de la part de la Ligue Arabe ? La légitimité de cette intervention ne commence-t-elle pas d’ailleurs à être mise à mal depuis le rétropédalage de la Ligue arabe accusant les Occidentaux d’avoir outrepassé les limites fixées à l’intervention en Libye? Outre les considérations d’intérêts particuliers liées aux égoïsmes d’Etat, l’attentisme de l’ONU quant à un usage de la force légitime en Côte d’Ivoire est-elle dénuée de raison ? L’ONU peut-elle décider de cet usage sans le consentement exprès des organisations régionales ? L’ONU peut elle agir en Côte d’Ivoire lorsque la cour de justice de la CEDEAO, suite à une requête déposée par Laurent Gbagbo, rend un arrêt qui interdit l’usage de la force légitime en attendant que la requête de Gbagbo soit « jugée sur le fond le 9 mai prochain » ? Peut-elle passer outre la décision de justice de la cour juridique de la CEDEAO au motif qu’un risque de guerre civile et de massacre à grande échelle se prépare en Côte d’Ivoire ?
La décision de justice de la cour de la CEDEAO étant inviolable, elle rend impossible le déploiement de l’Ecomog. Comment l’ONUCI pourrait-elle utiliser la force pour s’interposer entre les combattants alors que l’usage de la force est interdit par la cour de justice de la CEDEAO ? Le chapitre 7 de la charte de l’ONU qui régit l’engagement de l’ONUCI et qui prévoit l’utilisation de la force peut-il prévaloir sur l’article 23 du règlement de la Chambre de la cour de justice de la CEDEAO qui interdit l’usage de la force avant l’analyse juridique du dossier le 9 Mai prochain pour régler le conflit ivoirien? Qui porte alors la responsabilité de guerre civile et des massacres en cours en Côte d’Ivoire? Est-ce l’ONU ou la Cour de justice de la CEDEAO qui étant au fait de l’urgence de la situation en Côte d’Ivoire et informée de la décision contraignante du panel des 5 chefs d’Etat de l’UA reconnaissant Alassane Dramane Ouattara comme président régulièrement élu, a malgré tout, décidé, de manière irresponsable, de renvoyer l’analyse du dossier au 9 mai prochain alors que des tueries massives sont perpétrées au quotidien en Côte d’Ivoire ?
Certes la responsabilité de protéger les civils en Côte d’Ivoire incombe aux forces internationales de l’ONUCI qui en ont clairement le mandat. Mais comment le faire quand l’argument de sa partialité agité par le camp Gbagbo est implicitement cautionné par le silence des organisations internationales du continent et quand l’usage de la force est interdit par la cour de justice de la CEDEAO ? Est-il juste d’accuser l’ONU d’indifférence devant l’agression des populations civiles par les milices et forces armées de l’ancien couple présidentiel ? N’est-il pas alors plus juste de dire qu’en Côte d’Ivoire des hommes de chair et de sang meurent tous les jours dans l’indifférence des organisations régionales et continentales africaines qui s’ingénient à reporter les solutions par des discussions sans fin et même à les bloquer par des arguties juridiques ? Le Conseil de sécurité de l’ONU peut-il prendre une décision qui passe outre la décision de la cour de justice de la CEDEAO interdisant l’usage de la force ? Entre le conseil de sécurité de l’ONU, et la Cour de justice de la CEDEAO qui peut-on ou doit-on accuser d’indifférence à la mort de milliers d’Africains et au massacre de plusieurs centaines de négros ivoiriens par l’ancien couple présidentiel ivoirien dont la requête en annulation de la décision contraignante de l’UA vient d’être acceptée par la Cour de justice de la CEDEAO ?
Certes le pétrole libyen est stratégiquement et financièrement plus attractif et plus motivant aux yeux des Occidentaux que le café-cacao ivoirien et la défense de la vie des populations nègres d’Afrique sub-saharienne. Et il est pertinent de dénoncer le mercantilisme des Etats occidentaux qui se détournent de la Côte d’Ivoire pour la Libye en raison de la valeur stratégique du pétrole. Mais n’est-il pas indispensable de jeter un regard sur l’attitude de certains chefs d’Etats africains qui pour conserver les prébendes et privilèges matériels attachées à la fonction sont, semble-t-il, prêts à abandonner des peuples entiers à la folie sanguinaire d’un des leurs? N’est-il pas étonnant de constater que Gbagbo, qui refuse de se plier au verdict des urnes et utilise lui-même des mercenaires libériens au vu et su de tous pour conforter son braquage électoral par une stratégie de la terreur, ait pu recevoir un arrêt favorable de la Cour de justice de la CEDEAO relativement à sa requête contre le président élu à propos de mercenaires nigérians envoyés au profit de ce dernier ? Comment qualifier l’attitude de certains chefs d’Etats africains qui pour sauvegarder, semble-t-il, les intérêts de leur corporation bloquent toutes les démarches continentales et mêmes mondiales susceptibles de mettre en péril la vie des dictatures dont ils tirent profit ? N’est-il pas hallucinant de constater comme l’écrit Jeune Afrique ce jeudi 24 Mars que les chefs d’Etats de l’UA sont inactifs devant le drame qui se noue et se joue déjà en Côte d’Ivoire et que Jean Ping « les presse d’implorer Gbagbo de faire ce qui est juste » ? Comment qualifier la décision de la cour de Justice de la CEDEAO qui vient justement d’interdire l’usage de la force légitime contre un chef d’Etat qui refuse de se soumettre au verdict des urnes et que les autres chefs d’Etat sont obligés d’implorer de faire ce qui est juste ? Autrement dit comment qualifier la décision de justice de la cour de justice de la CEDEAO, décision qui est favorable à un chef d’Etat qui se trouve dans l’illégalité, l’illégitimité et l’injustice ?
Il n’est donc pas exact de dire que la communauté internationale reste inactive face au drame ivoirien. Les chefs d’Etats et organisations internationales qui la composent agissent. Mais ils agissent différemment : certains agissent pour retarder et empêcher la solution du problème ou le résoudre dans le sens des intérêts particuliers de leurs corporations ; d’autres agissent pour le résoudre dans le sens du droit et du respect des principes humanitaires qui régissent la communauté humaine dans son ensemble. Certes les occidentaux agissent aussi pour une grande part dans le sens de leurs égoïsmes d’Etat. Ce serait toutefois faire injustice aux Etats Occidentaux, avec la France en tête, que de ne pas reconnaitre leur détermination à obtenir le respect du verdict des urnes et le départ de Gbagbo immédiatement après les élections présidentielles, détermination qui n’a pas obtenu l’approbation immédiate et pleine des chefs d’Etats et des organisations internationales de la sous-région. Il serait injuste de ne pas reconnaître que les Etats occidentaux ont mis en œuvre, en soutien à Alassane Ouattara, une panoplie de pressions : diplomatiques, économiques, financières et militaires, avec le déploiement de navires de guerre en soutien à une intervention de l’Ecomog ! Il serait malhonnête de ne pas reconnaître que la crainte de l’accusation de néo-colonialisme, qu’ils avancent, bien souvent comme alibi, pour justifier leur retrait et leur attentisme quand leurs intérêts économiques politiques et géostratégiques ne sont pas très importants dans une région d’Afrique, a été fondée par le chœur de protestations anticolonialistes qui a accueilli leur activisme dès le début de la crise ivoirienne. Il faut se rappeler que, dès le début du braquage électoral, agitant la rhétorique du complot international, Gbagbo et son propagandiste attitré Blé Goudé, suivis en cela par quelques chefs d’Etat africains, s’étaient évertués à dénoncer le prétendu néocolonialisme de l’Occident et avaient commencer par vouer le Président Sarkozy et la France aux gémonies. Il serait injuste de ne pas reconnaitre que l’activisme des Occidentaux pour empêcher Gbagbo de violer le verdict des urnes et de massacrer sa propre population n’a pas obtenu la pleine approbation de l’UA africaine et de certains membres de la CEDEAO. Contrairement à cette résistance de l’UA relativement au cas ivoirien, l’intervention occidentale en Libye contre l’agression de Kadhafi contre sa propre population avait obtenu, dès le début, la pleine approbation de la Ligue Arabe. Il serait malhonnête de ne pas reconnaitre que des chefs d’Etats africains, l’Angolais Eduardo Santos en tête, suivi plus discrètement par le sud-africains Jacob Zuma, protégeaient Gbagbo dans sa transgression du droit et le soutenaient ouvertement dans le massacre de sa propre population avec des livraisons d’armement et de mercenaires ! Sous l’instigation de ses protecteurs africains et de Gbagbo lui-même, l’argument de l’agression néo-colonialiste a dès le début été brandi contre l’intervention occidentale. Il serait malhonnête de ne pas reconnaître que c’est sous la pression des organisations internationales africaines et de certains chefs d’Etat, que les Etats occidentaux accusés de néo-colonialisme ont été contraints de ne pas intervenir pour aider au rétablissement du droit et protéger les populations de la furie meurtrière de Gbagbo.
Sommet de la duplicité de certains chefs d’Etat et de certains membres des organisations internationales du continent, la dernière décision de la cour de justice de la CEDEAO a été de répondre favorablement à sa demande d’interdire l’usage de la force légitime contre son refus de céder le pouvoir au président élu. Après le massacre des populations à coups d’obus sur un marché public à Abobo et au moment où la CPI ouvrait une enquête contre Gbagbo sur de possibles crimes contre l’humanité, la décision de la cour de justice de la CEDEAO est symbolique. Elle symbolise le refus de la démocratie et de la priorité donnée au bien-être des populations sur les privilèges des dictatures en Afrique. Elle symbolise l’indifférence de la plupart des élites africaines devant les dénis de justice et la violation des règles morales et des principes humanitaires par les classes dominantes africaines. Elle symbolise l’absence d’une indignation morale devant l’ignominie de la part de la classe politique et de l’élite africaines! Pourquoi aucun chef d’Etat africain ne parle-t-il pas comme le président américain Barack Obama « L’usage de la force n’est pas l’option qui a notre préférence », « Mais nous ne pouvons pas rester les bras ballants quand un tyran dit à son peuple qu’il sera sans pitié ». Pourquoi aucun d’entre eux ne prononce des phrases d’engagement moral personnel aussi fortes que celle du Président américain Barack Obama ou que celle du Président français disant à propos de l’utilisation des armes lourdes à Abidjan « C’est un scandale qu’on tire à l’arme lourde à Abidjan (…) Il faut au minimum déclarer qu’Abidjan doit être interdite aux armes lourdes », « On parle d’hélicoptères qui pourraient être réparés pour tirer sur la population, on parle de mortiers. Ca doit être très clairement déclaré comme illégal par la communauté internationale. » Pourquoi aucun d’entre eux ne voit dans les tirs d’obus par les forces armées d’un Etat contre sa propre population civile et dans la répression des manifestations à la mitrailleuse lourde, un scandale absolu qui commande une intervention urgente ? Pourquoi aucun d’entre eux ne partage comme les membres de l’Etat français la conviction morale et juridique que tel Etat africain se doit légitimement d’intervenir quand un Etat voisin ou régional massacre sa propre population ? Pourquoi l’Union Africaine ne demande aucun compte à un Etat africain quand il opprime ses minorités comme l’Union Européenne a demandé des comptes à l’Etat français lorsque les Tziganes furent indexés et accusés de menacer l’ordre social français ? Pourquoi aucun d’entre eux n’exprime-t-il jamais publiquement son indignation et sa désapprobation devant un déni du droit et des massacres commis par un Etat contre sa propre population sur le continent ? Pourquoi l’utilisation d’armes lourdes à Abidjan contre les populations civiles n’émeut-elle pas spontanément l’Union africaine et la plupart des chefs d’Etats africains et ne les scandalise-t-elle pas ? Pourquoi ne manifestent-ils aucune indignation morale devant le crime et l’ignominie ? Pourquoi n’y-a-t-il pas de mouvement d’opinion sur le continent à propos des violations des droits humains et des crimes contre l’humanité qui y sont quotidiennement perpétrés par les Etats ? Pourquoi les intellectuels du continent ne se mobilisent-ils pas quand les principes humanitaires et juridiques y sont violés par les Etats ? Il n’est pas inintéressant de relier à ce propos, le silence scandaleux de la Cour de justice de la CEDEAO sur les massacres quotidiens des populations civiles perpétrés par la dictature ivoirienne ainsi que sa réaction étonnamment favorable à Gbagbo à l’attitude de Mr Pierre Sané, ex-Secrétaire Général d’Amnesty International que le déni du droit et le massacre des femmes d’Abobo à la mitrailleuse lourde par les miliciens de Gbagbo avaient laissé indifférent et qui avait plutôt concentré ses attaques sur les Etats Occidentaux accusés d’affamer le peuple ivoirien et exempté Gbagbo. Il apparaît par là qu’avec obstination, certaines parties africaines sub-sahariennes en coordination avec des franges importantes de l’intelligentsia se sont attachées à rendre impossible, au bénéfice du dictateur, toute intervention occidentale et africaine au profit de la légitimité juridique et de la protection des populations.
Certes le café et le cacao ivoirien n’ont pas la même importance stratégique que le pétrole Libyen, il n’en demeure pas moins que des résistances intra-africaines, l’allergie anticolonialistes sélective d’une intelligentsia prompte à dénoncer l’agression néo-colonialiste mais indifférente au massacre des populations par les dictatures africaines et aux divers dénis du droit sur le continent, ont empêché le soutien occidental à l’usage de la force légitime au profit du droit et de la protection des populations en Côte d’Ivoire ! Devant l’étonnante décision de la cour de justice régionale de la CEDEAO, est-il délirant de penser que les dictatures africaines sub-sahariennes ont infesté les organisations internationales du continent de cellules secrètes et lobbies chargés de défendre leurs privilèges et de garantir la pérennité de leur pouvoir contre leurs propres populations ? Est-ce hallucinant de formuler l’hypothèse d’une emprise mafieuse sur les organisations internationales du continent ; emprise dont les opérateurs pourraient être les dictateurs africains et leurs clientèles? Sous le prétexte de la défense de la souveraineté, l’épouvantail de l’accusation de néo-colonialisme brandi par les dictateurs africains sert à repousser toute intervention occidentale déterminée par des égoïsmes d’Etat et des considérations différentes des leurs.
Les efforts progressistes et remarquables des jeunes dirigeants politiques africains, ceux du Ghanéen Victor Gbeho et ceux des Nigérians Odein Ajumogobia, et Goodluck Jonathan par exemple, semblent ainsi entravés par les basses manœuvres secrètes d’une vieille garde. Cette oligarchie politique oppressive et ses jeunes héritiers, véritables reliques de la guerre froide, opèrent en Afrique comme une redoutable force d’inertie qui retarde toutes les évolutions économiques et politiques en cours sur le continent.
L’énigme du « deux poids et deux mesures pour une même situation » à propos de la position du conseil de sécurité de l’ONU sur la Côte d’Ivoire et la Libye peut être maintenant clairement et facilement dénouée. Il n’y a pas de tergiversation à l’ONU à propos de la Libye parce que la Ligue arabe a pris clairement position contre Kadhafi. Il y a tergiversation et blocage à propos de la Côte d’Ivoire parce que l’UA et la CEDEAO sont entravées par une force intérieure d’inertie qui les empêche d’exercer leur mandat. La volonté continentale du droit, qui donne sa caution et donc sa légitimité à l’intervention militaire étrangère, ne peut pas s’exprimer parce que des acteurs politiques africains sub-sahariens n’y ont pas intérêt. Pour que le conseil de sécurité de l’ONU autorise l’usage de la force légitime pour dénouer la crise électorale ivoirienne au profit du droit et du président élu légitime, il faut que les Etats africains sub-sahariens le veuillent, y consentent. Or certains d’entre eux, sinon la plus grande partie, ne le veulent pas et n’y consentent pas, parce que cet usage de la force légitime menace à long terme leurs propres intérêts particuliers qui convergent tous vers la conservation permanente du pouvoir suprême et des privilèges afférents. L’anticolonialisme est un paravent qui sert à dissimuler cette intention inavouable. La préférence du dialogue à l’africaine à l’usage de la force légitime suggérée à Gbagbo par ses pairs au terme des manœuvres qui ont structuré, en coulisses, les diverses réunions de l’Union Africaine n’est pas un choix de la paix, par principe. Le choix du dialogue est le moyen des sombres arrangements divers qui permettent les compromis douteux au profit du plus fort et du plus habile des protagonistes. Ce qui ne doit pas faire jurisprudence c’est l’imposition de la démocratie par la force légitime. Ce n’est pas le braquage électoral. La CEDEAO ne fait pas usage de la force : telle a été la déclaration finale de la réunion d’Abuja les 23 et 24 Mars dernier. On escamote ainsi le problème du braquage électoral et on réduit à néant l’usage de la force légitime de la CEDEAO dont la force militaire ne peut désormais plus être utilisée, en cas de guerre civile et de massacre à grande échelle de la population civile comme il en a été question au Libéria et en Sierra Leone. A l’occasion d’un braquage électoral assorti d’un massacre des populations civiles et d’une guerre civile l’usage de la force légitime doit en revenir à des forces internationales qui doivent se contenter de faciliter le transfert de plein grée du pouvoir au président légitimement élu.
Il ressort ainsi du contentieux électoral ivoirien provoqué par un braquage du pouvoir assorti de massacres et de possibles crimes contre l’humanité commis sur les populations civiles, que les chefs d’Etat et les organisations internationales du continent se soucient plus de la considération due aux chefs d’Etat et de la gestion du pouvoir à leur profit que du bien-être des populations et des devoirs d’un chef d’Etat envers ses populations. Il faut en revenir à l’avertissement prémonitoire de Gbagbo prévenant ses pairs de ne pas trop rire lorsque la grêle des pressions et condamnations s’abattait de toute part sur sa forfaiture, car ce qui lui arrivait aujourd’hui pourrait leur arriver demain. L’avertissement n’était pas tombé dans des oreilles de sourds. Il a été pris très au sérieux par un certain nombre de ses pairs, complices dans la dictature, qui ont usé de leur influence de leur entregent en vue d’imposer la solution de l’imbroglio et de l’aporie politiques, qui conclut finalement leurs multiples et interminables réunions tactiques et stratégiques. Après un premier moment d’activisme volontariste, les Occidentaux se sont prudemment tenus à distance, certains de bénéficier en dernière instance de toutes les capitulations et démissions de certains chefs d’Etats africains. Il est à espérer que les efforts courageux du Nigéria et de la France qui continuent d’agir vigoureusement dans le sens de la protection des populations civiles et du respect du verdict des urnes par le président sortant pourront permettre de refermer la porte ouverte à la catastrophe de la guerre civile en Côte d’Ivoire et aux dénis du droit en Afrique.
Dr Dieth Alexis
Vienne Autriche
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