Côte-d’Ivoire: Combattre les forces du mal sans concession par Amara Koné (Journaliste-Ecrivain)

Alors que s’annonce l’apocalypse, les Ivoiriens semblent complètement abandonnés à leur sort, par la communauté internationale.

En 1924, Adolf Hitler développe des thèses dans son livre tristement célèbre « Mein Kampf ». Ce livre exprime en grande partie les ambitions expansionnistes du parti nazi sur lequel il règne en maître absolu. Ses prises de positions visant à reconstituer un espace vital pour le peuple germanique n’émeuvent pas grand monde. La suite, en revanche suscitera la réprobation à l’échelle planétaire et restera le plus grand désastre humanitaire causé par l’homme : 62 millions de morts, en majorité des civils.
Nous n’osons même pas imaginer ce qui se serait passé, si les Alliés, constitués des USA, de l’Angleterre et de la France ne s’étaient pas décidés à combattre « l’axe » du mal, composé de l’Allemagne, de l’empire du Japon et de l’Italie fasciste !
On avait espéré que la détermination de la communauté internationale, à l’issue de la deuxième guerre mondiale, à combattre la tyrannie, la dictature, la violence délibérée de certains dirigeants contre leurs peuples ou contre les plus faibles, permettrait de bâtir un monde de paix et de tranquillité. Mais c’était sans compter sur les inconséquences des humains, des nations développées surtout, qui prétendent défendre certaines valeurs, mais qui en réalité ne se donnent pas les moyens de les imposer.
Certes, le devoir de protection des civils relève de la souveraineté des nations. Mais que faire, lorsque ces autorités nationales ne parviennent plus à l’assurer ou deviennent des bourreaux pour leurs propres peuples ? Tout le monde est d’accord qu’il appartient à la communauté internationale de s’y substituer. Mais des principes à l’action, que d’hésitations et de tergiversations !
Les récentes révolutions du monde arabe ont mis à nu les atermoiements de l’Occident à parler d’une seule voix, face pourtant à des situations où étaient en jeu des valeurs comme la démocratie et les droits de l’homme, dont il se veut le chantre.
La peur de l’islamisme, du chaos, après le départ d’un dictateur, ont constitué des freins (qui n’auraient jamais dû exister) à l’action des Européens et des Américains. Les peuples tunisiens et égyptiens ont dû faire leurs révolutions tous seuls, au prix du sang et des larmes.
Seule la Lybie et la folie meurtrière de Kadhafi auront finalement réussi à faire sortir « les donneurs de leçons du monde » de leur torpeur pour les pousser à agir pour protéger les civils et les insurgés désemparés de Benghazi.
Une réaction salutaire, qui, si elle avait eu lieu en son temps, aurait permis d’épargner la vie du million de rwandais qui se sont fait massacrer à la machette, du 06 avril au 04 juillet 1994, lors de la guerre civile ayant opposé le gouvernement rwandais constitué de hutus au Front Patriotique Rwandais de Paul Kagamé.

Une vue de l’esprit ?

Le génocide rwandais constitue en effet l’une des pages les plus noires de l’histoire de l’humanité.
Qui aurait pensé qu’en cette fin de 20è siècle, près d’un demi-siècle, après la fin de la seconde guerre mondiale, des humains se seraient découpés à la machette, sous les yeux impuissants de la communauté internationale ?
Si cela a été malgré tout possible, c’est que les « plus jamais ça », promptement prononcés par la communauté internationale quand survient une crise majeure et la fameuse théorie de l’ingérence humanitaire ne sont qu’une vue de l’esprit. (En tous cas ces concepts semblent très rarement applicables lorsqu’il s’agit de l’Afrique subsaharienne).
Cet aveu d’impuissance, ce constat d’échec sont révélateurs d’une part de l’incapacité de la communauté internationale à appliquer ses propres décisions, parce que traversée par des courants et des intérêts parfois trop divergents. D’autre part, il semblerait que l’Humanité, n’ait pas retenu les leçons du passé.
Ainsi, pour des cas presque similaires, les réactions peuvent être totalement différentes : les révolutionnaires tunisiens et égyptiens ont dû se battre seuls ; les Libyens ont bénéficié d’une zone d’exclusion aérienne et de frappes contre les troupes du « roi des rois d’Afrique » ; les Ivoiriens, eux, sont abandonnés à leur sort.
Pendant que les insurgés libyens reprennent du poil de la bête, des civils ivoiriens, coupables de porter des patronymes nordiques se font massacrer à l’arme blanche ou à la kalachnikov, au seul motif qu’ils sont des soutiens supposés d’Alassane Dramane Ouattara ou des insurgés qui le soutiennent.
Dépassée et tétanisée, la communauté internationale semble impuissante. Et pourtant…10 000 hommes et du matériel conséquent, sont sur place et ne servent à rien, puisqu’il ne s’agit finalement que de recueillir des témoignages sur les exactions et de compter les morts.
Chaque jour l’ONUCI met à jour son décompte macabre. Déjà la barre des 400 morts serait franchie !
Et pourtant le cas de la Côte-d’Ivoire était plus simple que le cas libyen. En Libye, les Européens et les Occidentaux ont commercé avec « le guide » ces dernières années et ne se sont rendus compte subitement de ses turpitudes, que lorsqu’il a dû faire face à une insurrection.
En Côte-d’Ivoire, une élection historique s’est déroulée, sous financement de la communauté internationale et sous certification onusienne. Un vainqueur a été proclamé par la commission électorale indépendante, reconnu par la CEDEAO, l’UEMOA, l’Union africaine, l’ONU.

Dans le tourbillon des intérêts géostratégiques

Mais Laurent Gbagbo le vaincu, continue désespérément de s’accrocher au fauteuil présidentiel, de brandir la menace de la guerre civile, de narguer les forces de l’ONU, les Européens et les Américains. Et surtout de tuer impunément.
Or le bon sens aurait dû prévaloir : la communauté internationale qui dispose de forces conséquentes sur le terrain n’avait qu’à en changer le mandat, en leur demandant tout simplement d’installer dans ses fonctions le nouveau président de la République.
En effet, comment confiner l’ONUCI dans un rôle d’impartialité, de spectateur alors que l’ONU a clairement reconnu Alassane Ouattara comme Président ?
L’exemple ivoirien montre bien les incongruités, la complexité et les paradoxes de la communauté internationale, qui risque si elle n’y prend garde de devenir une tribune de récriminations, de condamnations verbales. Sans plus.
Prise dans le tourbillon des intérêts géostratégiques plutôt qu’humanitaires (la Côte-d’Ivoire n’est que le 1er producteur de cacao, pas celui de pétrole), incapable de défendre ses propres valeurs et d’appliquer ses propres décisions, la communauté internationale risque de laisser s’écrire le scénario d’un autre génocide en Afrique, en ce début de troisième millénaire.
Elle n’arrive presque jamais à parler d’une même voix (même sur la question libyenne), or l’humanité n’a gagné les combats du passé, qu’en rangs serrés.
Le peuple ivoirien crie « au secours », mais qui l’entendra ? Les partisans d’Alassane Dramane Ouattara, qui considèrent leur mentor comme leur Moise, n’en peuvent plus de cette longue traversée du désert. Certains préfèrent revenir sous le joug du pharaon, espérant qu’il leur laisserait la vie sauve !
Dieu est magnanime, il laisse naître les anges comme les démons. Ainsi, l’humanité a connu des Martin Luther King, des mahatma Ghandi, des mère Térésa. Tout comme des Hitler, des Saloth Sar (alias Pol Pot), des Idi Amin Dada.

Une arme fatale

A côté de ceux-ci, Gbagbo est encore un enfant de chœur, un simple apprenti-dictateur mais il assimile très vite !
Spécialiste dans l’art du dilatoire et de la roublardise, il dispose cette fois d’une arme fatale : effrayer autant que possible, créer les conditions du chaos, pour ensuite apparaître comme celui qui est capable d’éteindre le feu.
Cela fait plus de trois mois déjà que « le résistant contre le néocolonialisme », « le combattant de la souveraineté nationale » squatte le palais présidentiel et son rival commence à perdre patience. Avec l’énergie du désespoir, les groupes armés qui soutiennent ce dernier ont rallumé tous les fronts et se sont lancés dans une guerre d’usure à Abidjan. Une guerre pleine d’incertitudes et à l’issue incertaine.
Les affrontements entre FDS et insurgés ont transformé la capitale économique en véritable théâtre de guerre. Les dégâts collatéraux de ces combats parfois à l’arme lourde ne se comptent plus.
Les insurgés harcèlent les FDS, qui aidés de leurs miliciens s’adonnent à une chasse à l’homme dans les quartiers d’Abidjan pour « débusquer les rebelles ». D’innocentes personnes ont été déjà mitraillées dans leurs maisons, quand d’autres subissaient le supplice du collier, à des barrages sauvages dressés par des « jeunes patriotes », à travers la ville.
Des crimes crapuleux sur des bases ethniques, religieuses ou politiques sont commis et le temps n’est plus loin où les Ivoiriens regretteront d’avoir accompli leur devoir civique, en votant le 31 octobre, puis le 28 novembre 2010.
Le résultat recherché par le clan Gbagbo est atteint : les populations apeurées quittent par milliers les quartiers baluchons sur la tête et ne savent pas où aller pour certaines ; d’autres franchissent les frontières, pour se réfugier dans un pays voisin ; d’autres rejoignent leurs villages d’origines, espérant qu’elles seront épargnées par l’onde de choc abidjanaise.
Les premières pages de la guerre civile annoncée, s’écrivent déjà, mais aucune action d’envergure ne semble prévue pour l’enrayer.
La communauté internationale va-t-elle regarder Gbagbo et son clan, détruire la Côte-d’Ivoire et fragiliser toute l’Afrique de l’ouest ?
Les Américains, les Anglais, les Français ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas ! Ils ont déjà prévu des plans d’évacuation pour leurs ressortissants. Les Ivoiriens, eux peuvent crever en silence. De toute façon les 20 millions d’Ivoiriens ne périront pas tous. Les survivants se réconcilieront et rebâtiront le pays !
« Ce ne sont pas ceux qui font le mal qui vont détruire l’humanité, mais ceux qui les regardent faire, en refusant d’intervenir», disait Albert Einstein.
Il appartient alors à ceux qui veulent être du côté des anges de combattre les méchants et les démons, sans concession.
Il y a près de 70 ans, la communauté internationale s’est unie pour mettre fin à la mégalomanie d’Adolf Hitler.
Elle a encore l’occasion de démontrer que sa détermination à combattre les forces du mal, ne faillira point sur plusieurs terrains en Afrique et ailleurs dans le monde.
Elle est à la croisée des chemins en Côte-d’Ivoire : rester inactive et laisser s’installer le chaos ou agir pour tracer les sillons de la paix et de la stabilité dans la sous-région ouest africaine.

Amara Koné
Journaliste-Ecrivain

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