Ils ont entre 9 et 14 ans, ils sont le plus souvent sales, vêtus de guenilles, squattant les abords des grands restaurants à ciel ouvert d’Abidjan ; ils sont sans soutien, laissés à eux-mêmes et aux clients qui leur donnent de l’argent en échange de sexe.
Selay Marius Kouassi, Abidjan
Dans la capitale ivoirienne, dans le langage des enfants de la rue, « tonton », « parrain » ou « boss » désignent bien autre chose que pour les enfants ordinaires. « Un boss ou un tonton, c’est un monsieur qui nous ‘fait la chose’ et qui nous donne souvent un peu d’argent, de la nourriture ou bien des nouveaux habits », affirme innocemment Frelimo, un gamin de 11 ans. Frelimo, c’est ainsi que ses amis l’appellent.
Sexe contre argent
« Faire la chose » ! Un langage inintelligible pour les non-initiés. On comprend mieux Frelimo plus tard quand, gagné par la confiance, il s’exprime sans gêne et avec plus de détails. En fait, ses amis et lui livrent leur corps frêle à des adultes avec un penchant pour la pédophilie afin que ces derniers assouvissent leur libido. En retour ces hommes leur offrent quelques billets de banque.
La rue Milles Maquis, un endroit « chaud » situé dans le quartier Sicogi, dans la commune de Marcory et la rue de l’Allocodrome dans la commune de Cocody, voici les « sanctuaires du plaisir », où sont sacrifiés la santé et l’avenir de ces enfants sur l’autel du « Dieu argent ».
Enfance brisée
Comment ses enfants sont-ils arrivés en ces lieux ? Gabin Fatoh, 13 ans, affirme, comme la majorité des enfants approchés, qu’il a perdu ses parents très tôt et qu’il n’avait plus aucun soutien et nulle part où aller ; d’autres affirment qu’ils étaient traités comme des bêtes de sommes par les épouses de leur pères ; ils n’avaient plus qu’à fuir pour trouver refuge dans les rues.
Des raisons aussi déconcertantes que surréalistes et à la fois inconcevables dans nos sociétés africaines qui clament haut et fort la solidarité et l’entraide comme des vertus omniprésentes. Ces raisons ont donc poussé ces gamins à la rue et à la pratique d’une activité voilée par le petit commerce qu’ils exercent.
Débauche discrète
En fait, ce ne sont pas des enfants qui crient à la « passe » et hèlent leur clientèle comme le font les filles de joie dans certains endroits de la capitale et aux abords des maisons closes, une fois la nuit tombée. Eux, sont plus discrets ; ils vous présentent un paquet de mouchoirs en papier fin, des paquets de chewing-gum ou de la cigarette qu’ils vendent en détails. Un vrai camouflage !
Dites-leur que vous avez ouï dire qu’ils pratiquent la prostitution enfantine, ils vous tourneront le dos aussitôt sans vous laisser finir vos propos. Achetez-leur tout un paquet de cigarettes entier, ou un paquet de chewing-gum, offrez-leur un pourboire et montrer-leur de la sympathie et ils s’ouvriront à vous et vous diront tout sauf les noms de leur « clients » même les plus fidèles.
Question de vie ou de mort
« Il y a un an maintenant, qu’un tonton est gentil avec moi, il est régulier et me donne de l’argent, je sais qu’il fait de la politique et que c’est un grand monsieur de ce pays. Cc’est tout, je ne peux pas vous en dire plus », affirme Turbo, déjà anxieux d’avoir dit assez sur son « tonton », son « boss ».
Turbo a été mis en garde par son « tonton », qui lui a dit qu’il aurait de sérieux ennuis s’il arrive qu’il révèle son identité ; chose à laquelle Turbo croit d’ailleurs depuis que Amoi G., l’un de ses amis a disparu après avoir communiqué à des assistantes sociales, venues mener une enquête auprès d’eux, l’identité de son « boss ».
Désormais, Turbo joue la carte de la prudence ! On la sent quand il parle, il choisit ses mots avec tact et s’assure d’être moins prolixe.
Porte de sortie
Plusieurs fois des ONG ont essayé de sortir ces enfants de la rue, mais ça n’a pas marché. Annick Camara, assistante sociale à AMEYA, une ONG qui lutte pour le bien-être des enfants, fait remarquer que ces enfants sont dans la rue et qu’il est difficile de les en extirper parce qu’ils n’aiment pas la discipline.
« C’est vrai que nous n’avons pas de grands moyens financiers, mais nous avons essayé à plusieurs reprises de sortir ces enfants de là en aidant à les interner dans des villages SOS et autres centres de rééducation et d’insertion. Bon nombre d’entre eux ont fugué quelques jours après, ils sont retournés dans la rue », reconnaît Annick.
« Ils n’aiment pas la discipline. Offrir leur corps et recevoir en retour de l’argent, la vie facile quoi ! « , ajoute la jeune assistante sociale de 27 ans intriguée par ce fait social.
Amadou Sylla, 13 ans, cireur de chaussures installé à quelques encablures de l’Allocodrome à Cocody , est au parfum de l’activité répréhensible pratiquée par les garçons de son âge en ce lieu. Mais jamais il n’a été tenté par la « facilité ».
« Je n’ai pu continuer mes études après le cycle primaire, parce que mes parents n’avaient pas assez de moyens, mais grâce à Dieu, je suis encore en bonne santé, j’ai mes dix doigts pour travailler et gagner ma vie. Jamais je ne me prostituerai », affirme le jeune déscolarisé, qui apporte déjà de l’aide à sa mère pour s’occuper de ses quatre autres frères et sœurs. Un exemple qui pourra donner l’espoir aux autres enfants de rue d’ Abidjan.
Premier volet de deux articles sur la prostitution infantile en Afrique. Demain, mercredi 23 mars 2011, second volet, sur le Botswana.
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