Côte d’Ivoire – Ouattara prend son autonomie militaire vis-à-vis de Soro

Par Anassé Anassé à Abidjan avec Gbansé Douadé Alexis | Connectionivoirienne.net –

Création des Forces républicaines de Côte d’Ivoire

ADO voulait-il s’émanciper de la tutelle militaire de Soro Guillaume qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Le jeudi 17 mars dernier, le président de la République élu par 54,1% d’Ivoiriens et reconnu par la communauté internationale, a porté sur les fonts baptismaux, la nouvelle armée de Côte d’Ivoire. Au cours d’une cérémonie solennelle à l’hôtel du Golf d’Abidjan – lieu où le nouveau chef de l’Etat ivoirien et son gouvernement sont retranchés depuis plus de trois mois – en présence de quelques diplomates en poste à Abidjan, Alassane Ouattara a procédé à la création et à l’installation des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).

En principe, cette nouvelle entité militaire est censée regrouper les Forces armées des Forces nouvelles (FAFN, rébellion armée qui occupe la moitié nord du pays depuis septembre 2002), ainsi que les Forces de défense et de sécurité (FDS) qui ont rallié le président de la République nouvellement élu. Les FRCI devraient donc avoir un état-major unique, et on ne devrait plus entendre parler de FAFN. Mais cette unicité de commandement est loin d’être réalisée. Et quand on regarde et analyse bien les images qui immortalisent cet événement jugé historique par les observateurs du marécage politique ivoirien (photos de famille et de la cérémonie), on se rend bien compte que quelque chose cloche.

Pourquoi aucun membre de l’état-major des FAFN ou aucune tête forte de la rébellion ne figure sur l’image ? (ni les Généraux Soumaïla Bakayoko et Michel Gueu ni les principaux com’zones Wattao et Chérif Ousmane ne sont présents sur la photo). Pourquoi Soro Guillaume, Premier ministre et surtout ministre de la Défense du Président Alassane Ouattara, est-il lui-même absent de la photo de famille et de celles prises lors de la cérémonie ? Ce ne sont pas là que de simples questions… Dans la mesure où ce n’est pas le porte-parole des FRCI, le Colonel Kouassi Patrice, qui a répondu à l’appel lancé le vendredi 18 mars par le chef de l’Etat sortant invitant les «rebelles de déposer les armes» afin d’engager des discussion pour sortir de l’impasse. Mais plutôt le porte-parole militaire des FAFN Ouattara Seydou ( ? ou Sékongo Félicien ?), qui a annoncé dans un communiqué que les Forces nouvelles refusaient la trêve sollicité par Laurent Gbagbo.

Alassane Ouattara et Soro Guillaume sont-ils toujours sur la même longueur d’ondes, notamment en ce qui concerne les questions militaires ? Rien n’est moins sûr. En effet, nombreux sont les observateurs – nationaux et surtout internationaux – qui ont vu d’un très mauvais œil la nomination de Soro Guillaume par ADO à la fois comme son Premier ministre et son ministre de la Défense. Certains ont vu à travers ce geste une grave faute politique qui légitimait les accusations du camp Gbagbo selon lesquelles «Ouattara est le père de la rébellion». Quand d’autres ont estimé que Ouattara se rendait «otage» de Soro Guillaume. Et les faits qui ont suivi la formation du gouvernement provisoire de la «République du Golf» ont semblé pencher en faveur de la deuxième hypothèse. Le Premier ministre a lancé plusieurs mots d’ordre qui ont été totalement des fiascos (prise de la RTI et de la Primature par les armes les 16 et 17 décembre 2010, multiples opérations «ville et pays morts», «révolution orange» du 21 février 2011, etc.). Ces échecs répétés de son «sécurocrate en chef» ont mis le nouveau chef de l’Etat dans une posture très embarrassante vis-à-vis de son rival Laurent Gbagbo. Sans lui laisser une marge de manœuvre suffisante pour prendre des initiatives. Ouattara n’a eu son salut que par l’intervention inespérée du «Commando qualifié d’invisible» qui a lancé une guérilla urbaine à Abidjan à partir d’Abobo et Anyama. Et qui a mis très rapidement en déroute les troupes restées fidèles à Laurent Gbagbo en progressant de façon fulgurante dans d’autres communes de la capitale économique ivoirienne (Adjamé, Attécoubé, Yopougon…).

Une armée à plusieurs têtes : tactique ou anguille sous roche ?

Aujourd’hui, au moins trois factions armées se reconnaissent certes dans le Président Alassane Ouattara : il s’agit des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) commandées par le Général Soumaïla Bakayoko avec comme chef politique Soro Kigbafori Guillaume ; du «Commando invisible» dont on attribue la paternité à l’ex-sergent-chef de l’armée ivoirienne, Ibrahim Coulibaly dit «IB» ; et les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI). Ces trois armées ont un objectif commun : chasser Gbagbo du pouvoir par la force – le plus tôt serait le mieux pour la Côte d’Ivoire. Mais des craintes subsistent quant à la collaboration ou la fusion de ces différentes forces après l’atteinte de cet objectif. Le lourd contentieux entre IB et Soro est loin d’être oublié et pardonné. «Major» – c’est le deuxième alias de IB – garde une dent très dure contre son jeune frère qu’il accuse de l’avoir trahi et volé «sa» rébellion. Qu’adviendra-t-il si chemin faisant, Soro se brouillait avec son mentor ADO dont il connaît la préférence pour IB ? L’expérience des chefs de guerre Charles Taylor et Prince Johnson au début de la guerre du Liberia est encore vivace dans les esprits.

Un expert en stratégies militaires et de défense nous a fait cette analyse décapante : «Aujourd’hui, M. Ouattara a rétabli l’équilibre de la terreur à l’égard de M. Gbagbo et de M. Soro. Il peut dorénavant compter sur sa propre armée qu’il a baptisé Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Et, le cas échéant, au cas où Soro voudrait lui jouer un sale tour, il peut également faire appel au «Commando invisible» dirigé, dit-on, par le plus fidèle de ses lieutenants, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly».

Une chose est cependant sûre : avec la mise en place des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, Ouattara n’est plus isolé militairement. Et on pourrait même s’évertuer à avancer que le nouveau chef de l’Etat ivoirien rompt le cordon ombilical qui l’assujettissait à son Premier ministre, en se dotant de sa propre armée.

Encadré

Abidjan, une véritable poudrière qui pourrait exploser à tout moment

Jusque-là, la capitale économique de la Côte d’Ivoire était épargnée par les violents spasmes de la crise militaro-politique qui secoue le pays depuis bientôt dix ans. Hormis les 72 heures de combats qui ont eu lieu entre le 18 et le 22 septembre 2002, Abidjan est généralement restée en dehors du théâtre des opérations de l’armée régulière et de la rébellion. Mais l’apparition du fameux «Commando invisible» à Abobo fin janvier 2011 a fait dangereusement basculer la donne dans le sens d’une déflagration généralisée.

Abidjan est devenue une véritable poudrière qui menace d’exploser à la moindre étincelle. Une dizaine de forces, mouvements et factions armés ont pris désormais pied aux abords de la lagune Ebrié. Outre les quatre forces militaires «institutionnelles» traditionnelles qui se côtoyaient et semblaient se neutraliser (FDS, ONUCI, Licorne et FAFN), sont apparus ces dernières semaines des groupes armés organisés qui sèment la terreur, la désolation et la mort presque partout dans les dix communes d’Abidjan. Ainsi du «Commando invisible» qui a fait d’Abobo et d’Anyama ses sanctuaires ; des Forces républicaines de Côte d’Ivoire, une armée mixte FDS-FAFN ( ?) à la solde de Ouattara ; des groupuscules hétéroclites particulièrement violents de la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) qui s’attaquent, pillent et détruisent les résidences des cadres du RHDP ; des mercenaires étrangers signalés dans les deux camps (supplétifs libériens et angolais pro-Gbagbo, et soldats burkinabé, nigérians et sénégalais du côté de Ouattara) ; et diverses milices et groupes d’auto-défense armés ; etc. Un magma en ébullition qui pourrait entrer en éruption à n’importe quel moment. Au grand dam des populations qui fuient par centaines de milliers les zones confligènes et prennent la route d’un exode massif aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Avec une seule prière dans les cœurs et à la bouche: que la Côte d’Ivoire ne sombre pas dans le chaos d’une guerre civile. Les dirigeants entendront-ils les pleurs et supplications de leurs compatriotes ?

A. A.

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