REPORTAGE – Amy Kouamé avec Hervé d’Anvers | Connectionivoirienne.net
Après la commune d’Abobo au nord d’Abidjan, où les insurgés ou commandos invisibles ont apparemment pris leur quartier les populations fuient Abidjan. L’exode des populations de la commune de Yopougon a atteint un seuil important ces deux dernières semaines. C’est un départ massif des populations vers les villes et villages de l’intérieur, « en laissant loin l’enfer et le calvaire ». De la gare Utb non loin de Siporex en passant par les gares de fortune le long de la voie allant de la statut de la liberté jusqu’au premier pont, des voyageurs, rien que des voyageurs. On a la nette impression que c’est toute la commune qui se vide.
Il est environ 9h, vendredi 18 mars 2011 quand nous arrivions à Yopougon-Siporex. Des groupes de famille balluchons sur la tête, quelques petits bagages à la main longent cette voie à la recherche d’un « Masa » (petit car de transport d’une vingtaine de places) pour regagner leur village. « Ce qui se passe à Port-Bouet II est une chasse à l’homme. Les corps habillés lancent des grenades dans les cours et arrosent à coups de mitraillettes tous ceux qui en sortent », raconte Pascal Konan, fonctionnaire qui accompagne son épouse et ses trois enfants à la gare Utb. Il n’est pas seul dans ce cas, beaucoup sont ceux qui fuit les tirs sporadiques des individus encagoulés ou à visage découvert à travers les rues de la commune. « Mieux vaut prévenir que guérir », prévient Touré Ahmed qui vient du même quartier que ce fonctionnaire. Par ailleurs, le communiqué qui suit, suite à l’attaque de ce sous quartier de la commune de Yopougon est édifiant.
En effet, selon le communiqué n°016 du 16/03/11/CAB-PM-MD/PP, relatif à la situation à Yopougon, lu par le porte-parole du Premier ministre, ministre de la Défense, Guillaume Soro Kigbafory, le capitaine Alla Léon, les forces fidèles à Laurent Gbagbo ont utilisé à Port-Bouet II, des obus de mortiers 60, 81 et 82 mm, des roquettes de LRPG7 ainsi que des grenades défensives et offensives. Bilan selon le communiqué, de nombreux tués, dont des femmes, des enfants et l’Imam de la grande mosquée (ndlr : El hadj Diabaté Moussa) Plusieurs blessés par balles et éclats d’obus. « L’opération a été soigneusement pensée par le Commissaire Principal LOBA Loba Patrice, commandant la Brigade Anti Emeute (BAE) et le Chef d’Escadron KOUKOUGNON, commandant l’Escadron de Gendarmerie de Yopougon.
Sur le terrain, les ordres sont exécutés par des policiers de la BAE, des gendarmes de l’Escadron, tous aidés de miliciens et mercenaires. Aussi, est-il revenu au Premier Ministre, Ministre de la Défense, que le 14 mars 2011, aux environs de 15 heures, un policier et un professeur de Math-Physique à l’Institut LKM, Monsieur BROU, ont été abattus par le Garde du Corps de Ange KESSI. Connu sous le sobriquet »Côte d’Ivoire », ce tueur est un militaire de notre Marine Nationale. Motif de sa barbarie : il soupçonne ses victimes d’être des militants du RHDP », conclu le capitane Alla Léon. Face à de telles barbaries, les populations n’ont que leurs yeux pour pleurer en s’en remettant au tout-puissant.
« Je prie que ma famille puisse avoir le car pour regagner au moins Toumodi », s’inquiète dame Kouamelan Hélène qui n’a même pas pris les tickets. Peu importe le tarif. A part la société Utb qui a maintenu son tarif Abidjan-Bouaké à 6.500 FCFA, dans les autres gares le prix des tickets varient. Il faut 10.000 FCFA contre 7.000 FCFA par le passé pour arriver à Man. Agboville le voyageur doit débourser 4.00, voire 5.000 fcfa où il payait 1.000 FCFA. Malgré cela, il faut se lever tôt pour être sûr d’être parmi les voyageurs. Pour atteindre le guichet, la file est longue, très longue. Certains bravent le petit matin, quand d’autres préfèrent passer par des coxers (nom des petits portefaix) moyennant le double voire le triple du transport et quitter Abidjan. « Cela fait deux jours de suite que je suis là mais, nous n’avons pu partir faute véhicules », nous indique Sylla Sékou. La petite gare grouille d’un monde fou. Non loin de là, de l’autre côté de la voie qui sépare la station Texaco à la gare Utb, plusieurs gares de fortunes sont prises d’assaut par les voyageurs. Les tirs du lundi 14 mars, dans le quartier de Port-Bouet II en est pour quelque chose. « Nous venons de vivre en quelques jours ce que nos frères d’Abobo vivent depuis des mois. Ce n’est pas facile. Mieux vaut prendre des dispositions parce qu’à l’allure où les choses vont, il y a de quoi s’inquiéter », indique un passager qui a pris place à bord d’un véhicule en partance pour M’Batto, avec ses cinq enfants et ses deux nièces. Les familles des corps habillés sont nombreuses. « J’ai accompagné les femmes des autres frères d’arme et leurs enfants. Il m’ont demandé de venir « grouiller » pour que leur famille rentre au village », nous indique une jeune dame Fds sous le sceau de l’anonymat. Elle vient du sous quartier Yopougon-Andokoi. « Mon frère, le problème aujourd’hui c’est que les étages ou immeubles habités par nos forces sont visées ; et comme depuis quelques jours je suis en repos maladie mes frères d’arme m’ont demandé de leur rendre ce service ». Le calvaire est réel et vécu par tous. Ici, un seul espoir se dégage, regagner sa ville ou son village natal et les parents restés sur place « avant que le pire ne se produise ». Et ce, à destination de l’intérieur. Peu importe si c’est une zone sous contrôle des Fds pro-Gbagbo ou des Frci (Forces républicaines de Côte d’Ivoire). « Je préfère mourir en famille que de mourir dans la rue assassiné par des délinquants sous prétexte que je suis rebelle », nous lance un voyageur l’air très grave. Leur seul objectif quitter la commune de Yopougon qui représente pour eux un danger, voire un véritable calvaire.
Un autre par contre évoque le problème de moyens financiers dû au chômage technique. « Depuis deux semaines 15 de mes collègues et moi sommes au chômage technique. Comme la situation se dégrade et que la vie devient de plus en plus cher, mieux vaut faire partir la famille au village », soutient Bony Guédé, travailleur dans une entreprise portuaire. Combien sont-ils dans ce cas à Abidjan et qui empruntent chaque jour la direction de leur village, d’un parent dans une zone où la famille peut être en sécurité ?
100, 200, 300, 1000 ? Difficile de le dire. Cependant, le monde continue d’affluer soit à pied ou dans des taxis en direction des gares pour l’intérieur du pays.
Des barrages autodéfenses et des cadavres partout
Du premier pont en rentrant à Yopougon pour celui vient du côté du Plateau en passant par la pharmacie Siporex jusqu’à Niangon-Texaco, nous avons compté quinze barrages autodéfenses en pleine journée. Fouilles corporelles, véhicules, racket, vol d’argent, de portables…présentation de pièce d’identité tout y passe. « C’est à ces barrages que les jeunes surexcités brulent vivants et égorgent des individus qu’ils appellent « rebelles », raconte un ancien retraité qui a été victime de vol de sa pension à un de ces barrages au quartier Sicogi de Yopougon. « Ces jeunes que vous voyez n’ont pas de sentiment, ils brulent vifs et égorgent des gens à ce barrage depuis que Blé Goudé a lancé son mot d’ordre. Faites donc, attention », nous prévient une connaissance à un barrage de la Sideci un autre sous quartier aux encablures de la pharmacie Akadjoba.
Pour la fouille, ceux qui viennent vers vous sont armés de marchettes et de gourdins et ceux qui restent un peu en retrait portent des armes qui son visibles.
De Siporex au carrefour Chu de Yopougon, c’est la désolation totale. Le feu a été mis à tous les petits commerces aux abords de la voie principale. La pompe funèbre en face du Chu est partie en fumée. Plus loin devant, de la mosquée Idriss Koudouss en descendant vers la pharmacie Kenya, via le quartier Banco II, c’est l’horreur. Des cadavres en putréfaction partout. Ces corps sans vie en putréfaction gisent au sol au bord de la voie et dans les fossés abandonnés là où les infortunés ont été abattus. Surement des victimes des tirs du lundi 15 mars 2011. « Que cherchez-vous ? », nous interroge un gardien de barrage au niveau du sous quartier Banco II, arme au poing. « Je vais au travail », ai-je répondu. « Il dit quoi, laissez-les ils n’ont rien », lance un autre un peu plus loin de celui qui nous pose beaucoup questions. L’ancien marché non loin de là est aussi parti en fumée. Partout où nous sommes passés, des impactes de balles sont visibles sur certains murs des habitations. Il y a trois mois qui aurait cru que les populations qui se partageaient des sachets d’eau, des cigarettes, prenaient des pots ensemble et parlaient politique sans problème pouvaient vivre un tel calvaire.
Depuis quelques semaines, la commune de Yopougon vit déjà l’enfer et l’horreur. Et la commune favorable à l’ex-chef d’État, Laurent Gbagbo se vide de son monde.
Que nous réservent les jours à venir ?
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