Crise ivoirienne – Qu’espère donc obtenir l’Union africaine (UA) en invitant à Addis Abeba le président entrant, Alassane Dramane Ouattara (ADO), et Laurent Koudou Gbagbo, le président sortant de la Côte d’Ivoire ? La récente dégradation de la situation donne en tout cas le sentiment que les propositions émanant de l’organisation panafricaine ne paraissent pas viables, à commencer par cette invitation qui est vouée à l’échec. Le 10 mars prochain, en effet, la capitale éthiopienne abritera en principe la réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA. Entre autres sujets à débattre, le panel des cinq chefs d’Etat dépêchés par l’UA devrait y dévoiler les solutions envisagées pour dénouer la crise ivoirienne.
L’invitation adressée à ADO et à Gbagbo devrait donc permettre à ces derniers de venir une nouvelle fois défendre leur cause devant le panel. A condition bien entendu que les deux hommes politiques prennent le risque de sortir de leur tanière.
ADO, qui est reconnu président par la communauté internationale, dit avoir accepté l’invitation. Toutefois, du côté du président sortant, c’est l’expectative. C’est qu’en sortant de son bunker du Palais d’Abidjan-Cocody, Gbagbo a tout à perdre. L’homme qui se dépeint comme un nationaliste voudra-t-il courir le risque de se faire « exiler » ? Ne cherchera-t-il pas à demeurer sur place pour négocier une fin de course acceptable ? En tout cas, le départ de Gbagbo paraît fort hypothétique.
A supposer même que Gbagbo fasse le déplacement d’Addis Abeba. Osera-t-il enfin respecter ses engagements ? L’homme est si gagné par la boulimie du pouvoir qu’il faut craindre que comme lors de précédentes rencontres, on débouche cette fois encore sur des échecs programmés. Par ailleurs, l’invitation tombe dans un contexte fort éprouvant. Ce qui se passe présentement en Côte d’Ivoire n’honore point l’homme qui a toujours voulu qu’on garde de lui l’image d’un progressiste qui lutte avec acharnement contre les forces d’oppression néo-coloniales et les pouvoirs réactionnaires africains. Malheureusement, sur le terrain, il aura fait la démonstration contraire.
La boulimie du pouvoir, la mégalomanie et le goût immodéré pour l’argent ont à ce point obsédé l’homme et son entourage qu’on en vient à se demander s’ils ont encore la maîtrise de la situation. En tout cas, Laurent Gbagbo, lui, semble avoir définitivement rejoint le peloton des dirigeants africains indifférents au sort de leur peuple.
Dix ans de mandat présidentiel gracieux, parce que offerts par la communauté internationale, ne lui auront pas permis de répondre à la demande sociale. Comme pour se venger de ses compatriotes après avoir perdu les dernières élections présidentielles pluralistes, équitables et propres, il leur offre une guerre civile en retour. Celle-ci s’installe progressivement dans la capitale économique ivoirienne, et peut-être dans bien d’autres localités. Et nul n’ignore aujourd’hui les souffrances atroces auxquelles se trouvent réduits les citoyens ivoiriens.
Des escadrons de la mort ont ainsi choisi de marquer le séjour de Jean Ping par le massacre de femmes désarmées. Sept femmes tuées par balles lors d’une manifestation pro-Ouattara jeudi à Abidjan nord, dans le quartier d’Abobo. Elles ont eu tort de vouloir protester face aux abus du camp présidentiel. Si Gbagbo et le FPI ont vraiment aimé le peuple ivoirien et admis le principe des libertés démocratiques, cette fois, la preuve du contraire est manifeste.
De telles ignominies ne resteront certainement pas impunies, la Cour pénale internationale (CPI) s’étant engagée à « agir vite » contre les auteurs de crimes contre la population civile. C’est pourquoi on est fondé à croire que Gbagbo ne voudra pas quitter son palais pour Addis Abeba, vu l’épaisseur et le poids des dossiers de crimes politiques, économiques et de sang sur les épaules de son régime. Proche du président sortant, Yao N’Dré, le président du Conseil constitutionnel, est au cœur de la crise post-électorale pour avoir invalidé en partie les résultats et proclamé Gbagbo vainqueur. Lui aussi est invité à se rendre à Addis Abeba. Pourquoi donc associer le magistrat ivoirien à cette réunion ?
Lui revient-il encore de s’expliquer après ses décisions controversées ? Et pourquoi n’a-t-on pas invité aux débats le président de la Commission électorale indépendante ? Trop de zones d’ombre suite à l’invitation du panel, qui traduit un réel manque d’imagination et de courage. A moins d’une stratégie bien huilée, que vise donc l’organisation ? Quel est le véritable objet de la rencontre ? Parce que malgré ses directives, les tueries se poursuivent et on n’a toujours pas mis fin au blocus de l’hôtel du Golf où siègent le président démocratiquement élu et ses amis houphouëtistes. Peut-on attendre des miracles de cette énième rencontre des belligérants d’Abidjan ?
La capitale éthiopienne où siège l’organisation panafricaine est sans doute un terrain neutre. Mais après les échecs répétés de l’UA, notamment par rapport à la crise malgache, il y a de quoi douter de sa capacité à résoudre la crise ivoirienne. L’UA qui dit reconnaître la victoire d’ADO à la présidentielle ivoirienne de novembre dernier se montre bien pitoyable. Elle serait ridicule si la convocation tendait à lui demander de faire des concessions. Le passé le témoigne : le tour du monde précédent n’a pas permis de réconcilier les acteurs politiques ivoiriens. L’UA semble avoir plus compliqué les choses qu’elle n’en a résolues et Gbagbo, fidèle à ses habitudes, fera en sorte que la Côte d’Ivoire demeure plongée dans le chaos.
D’autant que cela lui permettra de continuer à profiter des avantages que lui confère un titre qu’il a usurpé, et d’en faire bénéficier ses partisans. Autant l’UA tourne en rond, autant le panel des chefs d’Etat peinera à trouver une issue heureuse au conflit fratricide qui mine la Côte d’Ivoire depuis de nombreuses années. Et rien, pour l’instant, ne laisse percevoir une lueur d’espoir.
Le Pays
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