Par Dr. Dieth Alexis
Le massacre des femmes ou L’ignominie symbolique de la dictature de Gbagbo
Ils ont osé faire ce qu’au pire moment de la colonisation étrangère française les colons français n’avaient pas osé faire : tirer à la mitrailleuse lourde de calibre 12.7 sur des femmes ivoiriennes, des manifestantes pacifiques rassemblées pour crier leur haine de la guerre et réclamer l’arrêt des violences. Après ce crime absolu, ils n’ont pas l’once de courage qui devrait leur permettre d’assumer l’ignominie insondable de leur forfait. Ils se répandent en dénégations et concessions en rétablissant l’eau et l’électricité dans le nord pour obtenir une clémence du Juge. Comme le malfaiteur dominé par ses passions, qui promet de s’amender pour faire diversion ; mais qui recommence le crime à la première occasion et à la première tentation, ils manœuvrent pour se soustraire à la sanction de la justice universelle des hommes tout en préparant le prochain coup et la prochaine violation des droits humains ! L’on se rappelle que la manifestation des femmes ivoiriennes, la marche des femmes sur Grand-Bassam, durant la colonisation fut une étape décisive dans la marche vers l’Indépendance. Aujourd’hui, dans cet Etat indépendant de Côte d’Ivoire, des femmes ivoiriennes sont massacrées à la mitrailleuse lourde par un gouvernement minoritaire ivoirien dont le pouvoir a été contesté dans les urnes et qui s’y accroche envers et contre tous en recourant à la violence systématique et au massacre des femmes. Ce massacre, symbole de l’ignominie et de la barbarie d’un régime condamné à se consumer sous peu, en rappelle d’autres : le massacre des femmes et des enfants lors de la manifestation pacifique de Sharpeville du 21 mars 1960, lors d’une manifestation pacifiste de l’ANC, et le massacre des manifestants de la procession funéraire, organisée en commémoration de cet évènement, à Port Elisabeth le 21 mars 1985. Ces crimes furent commis sous l’apartheid et révélèrent au monde entier son inhumanité et sa laideur morale intrinsèque. Ils devaient hâter ensuite sa fin programmée. Tout comme la haine raciale de l’apartheid sud-africain, la haine xénophobe intolérante ivoirienne, et la volonté de domination politique totale qui l’accompagne, est exterminatrice de la différence et de la vie. Le massacre des femmes d’Abobo hâtera la fin du régime inhumain xénophobe et criminel ivoirien comme le massacre de Sharpeville a hâté la fin du régime raciste sud-africain du temps de l’apartheid.
L’entité morbide qui s’accroche, contre la volonté du peuple, au flanc du Gouvernement de l’Etat ivoirien est une force colossale de mort et d’abyssale régression. Elle n’est pas une force de vie et progrès. Les corps ensanglantés des mères et des filles gisant sur l’asphalte, recouverts de ces pagnes qui servent dans la vie quotidienne à emmailloter les nouveaux nés, à confectionner des baluchons dans lesquels les petits enfants sont portés au dos de leur mère, hanteront longtemps les consciences. Ces corps ensanglantés des femmes pudiquement recouverts des pagnes de vie et d’intimité par le petit peuple massacré disent éloquemment toute la monstruosité d’un régime auquel manquent la pudeur et la justice, vertus politiques cardinales, dont Platon disait dans Le Protagoras qu’ils étaient indispensables à la gestion de la cité, et dont l’absence chez un homme indiquait qu’il était un fléau de la cité qui devait être mis à mort pour cette raison. Ces corps ensanglantés des femmes massacrées disent par-dessus tout, la destruction de la Côte d’Ivoire comme demeure accueillante et l’instrumentalisation de la femme qui est le caractère insigne du régime xénophobe, et somme toute misogyne, que les accidents de l’histoire ont malencontreusement porté à la tête de l’Etat ivoirien.
Depuis l’aube des temps, l’humain sait que la femme est source de vie et dépositaire de cette intériorité salvatrice dont témoigne le respect naturel de son intimité. La culture dans son évolution a tôt fait de rétablir dans ses droits le respect de la femme qu’une masculinité belliqueuse et dominatrice, mais en réalité craintive et peureuse, tente toujours de soumettre. Comme Levinas l’a souligné dans Totalité et Infini , la femme est l’altérité salvatrice, la figure à travers laquelle s’accomplit l’accueil hospitalier par excellence qui permet à l’homme de demeurer dans l’existence et de n’y être pas jeté comme une pierre qu’on lance derrière soi. L’accueil de la demeure est symbolisé par la femme. Et c’est dans la relation à l’altérité féminine que Martin Buber voit par excellence la relation interhumaine. « Les allées et venues silencieuses de l’être féminin qui fait résonner de ses pas les épaisseurs sécrètes de l’être » donnent corps à la demeure, terre d’asile, lieu d’accueil où l’humain peut venir à soi et s’y recueillir afin de pouvoir se représenter la nature et la travailler pour en faire un monde. C’est cette intériorité sacrée universelle de la femme, célébrée dans le rite traditionnel ivoirien de l’Adjanou, la danse sacrée des femmes, que les brutes au pouvoir ont violé dans le massacre des femmes d’Abobo. Soit dit en passant : lorsque les gardes armées se sont enfuis devant la nudité contestatrice des femmes de Treichville nous avons espéré qu’un reste de pudeur respectueuse de la vie demeurait encore dans le cœur des criminels. Nous devions malheureusement revenir très vite de nos illusions. En apportant leur soutien à d’autres femmes qui manifestent au même moment devant le siège de l’Onuci, les brutes ne témoignent guère d’un respect envers les femmes. Ils montrent plutôt qu’elles ne sont que des instruments au service de leurs passions. La femme n’est bonne a quelque chose que lorsqu’ils peuvent l’utiliser pour conquérir des voix dans le nord durant l’élection présidentiel ou lorsqu’ils peuvent s’en servir pour confisquer le pouvoir.
Cette exploitation perverse de la féminité transparaît dans la manipulation qui est faite de la manifestation téléguidée des femmes devant le siège de l’ONUCI. En contrepoint du massacre des femmes d’Abobo une image du journal pro-gbagbo Le Temps montre un sit-in de femmes prétendument « patriotes » devant le siège de l’Onuci Riviera 3. Ces femmes, mères et épouses sont assises tranquillement. Elles ne sont ni bastonnées ni massacrées à la mitrailleuse. Le gouvernement minoritaire et battu dans les urnes, qui s’accroche au pouvoir de la criminalisation à grande échelle de la jeunesse et du massacre des femmes, se déclare solidaire de Bro Grébé et de ses camarades au moment même où il donne l’ordre à ses milices de réprimer dans le sang à la mitrailleuse lourde d’autres femmes, d’autres mères et épouses ivoiriennes qui manifestent à Abobo pour réclamer l’arrêt des violences et le respect du verdict des urnes. La scandaleuse contradiction que représente cette image paisible de femmes ivoiriennes manifestant tranquillement, en soutien au gouvernement battu dans les urnes, devant le siège de l’ONUCI en face de forces armées étrangères qui ne les brutalisent pas et les respectent en tant que femmes, et l’image violente et horrifiante de femmes ivoiriennes baignant dans leur sang à Abobo, attaquées à la mitrailleuse lourdes par des éléments de l’armée ivoirienne pose question. Pourquoi le clan Gbagbo accomplit-il contre sa propre population le massacre symbolique absolu qu’un gouvernement étranger n’ose pas entreprendre contre la population du territoire qu’il occupe ? Ce crime s’explique-t-il par le fait que l’esprit obscurci par la passion criminelle du pouvoir illégitime qui résiste à la contestation populaire ne parvient pas à faire la différence entre une manifestation pacifique de femmes ou d’enfants et une manifestation violente d’hommes adultes et armés ? On ne peut pas répondre positivement à cette dernière question parce que la moindre anicroche entre les troupes de l’ONUCI et les milices de Blé Goudé qui entravent leur déplacement et les provoquent est montée en épingle. En étant donc clairement conscient que la vie humaine est sans prix, le clan Gbagbo recherche systématiquement l’incident en exhibant la moindre égratignure de ses troupes, par les forces onusiennes ou par les opposants, comme étant une atteinte à la dignité humaine et à la souveraineté ivoirienne.
C’est donc en toute conscience et en toute connaissance de cause que les femmes aux mains nues d’Abobo sont attaquées et massacrées à la mitrailleuse lourde. A supposer que les troupes de l’ONUCI aient ouvert le feu sur les femmes du FPI manifestant devant leur siège, on peut imaginer que le clan Gbagbo aurait crié au scandale, aurait rameuté le monde entier pour dénoncer ce crime absolu. On ne massacre pas des femmes et des enfants à la mitrailleuse lourde. Le respect dû aux femmes et aux enfants est un impératif catégorique de la civilisation. Il trace la ligne de démarcation entre la civilisation et la barbarie. De cette démarcation, le clan Gbagbo est clairement conscient. Pourquoi s’autorise-t-il alors envers sa propre population le mal absolu qu’il aurait sûrement dénoncé, venant d’un pouvoir étranger, avec la vigueur qui le caractérise ? On remarquera qu’au moment où la soldatesque du clan massacre les femmes d’Abobo, ses thuriféraires et ses plumitifs se taisent. Ils relayeront ensuite les dénégations honteuses et lâches du clan refusant d’assumer le massacre des femmes. Ils braquent plutôt les projecteurs sur un fait divers qui met aux prises leurs miliciens et la Force Licorne. Ils dénoncent à cors et à cri, comme agression inadmissible, l’incident durant lequel un char des troupes françaises de La Licorne écrase un véhicule ivoirien vide de ses occupants pour se dégager d’un barrage anarchique illégalement dressé par les miliciens de Blé Goudé. Aux yeux des brutes qui refusent de lâcher le pouvoir ivoirien, la destruction d’une voiture vide de ses occupants est le crime absolu , tandis que la guerre menée contre les civils par les armées et les milices surarmées, et pour finir, le massacre des femmes ivoiriennes, est un bien absolu en tant que sommet de la terreur qui leur permettra de conserver le pouvoir, les privilèges et les rentes afférentes. Le massacre des femmes qui, dans la culture, incarnent la demeure, l’accueil, l’hospitalité et la vie, révèle la xénophobie viscérale du régime et sa faillite morale porteuse de génocide.
La faillite morale de Gbagbo dont parlent les Américains signifie précisément que les barrières intérieures, qui empêchent le déferlement de la barbarie dont témoigne le massacre des femmes d’Abobo, ont cédé dans l’esprit et dans l’âme de Gbagbo et de ses complices. Cette faillite morale est celle de la personne juridique et morale. Et elle désigne la corruption du caractère. La corruption du caractère n’est pas de la folie. Elle est une perversion morale. Elle a trait a un certain usage délibéré de sa liberté par une personne qui décide toujours, à partir d’un choix transcendantal, d’agir contre les impératifs de la conscience, et même de l’entendement, pour en tirer profit ou de manière désintéressé. La faillite morale disqualifie celui qui en est atteint, de toute prétention à jouer un rôle politique. Cette faillite morale caractérisée du clan Gbagbo montre que la solution à la crise politique ivoirienne ne se trouve guère dans le partage du pouvoir avec ceux dont le caractère est si intérieurement corrompu. S’il s’avère être la solution incontournable, un éventuel gouvernement d’union national devra nécessairement se construire en excluant les auteurs et les complices de l’ignominie absolue dont la place légitime est le banc des accusés d’un tribunal international. La gestion du pouvoir gouvernemental dans le cadre de la civilisation requiert du scrupule, de la mesure, de la pudeur, de la pondération, de la conscience, de la sollicitude, et un sens aigu de la justice. Ce sont les digues intérieures qui empêchent les usurpations, les massacres et la dictature. Ce sont les vertus politiques et morales qui garantissent le souci de la promotion du bien public, le respect des enfants, des femmes, le respect de la vie et de la dignité humaines.
Dr Dieth Alexis, Vienne Autriche
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