Sud Ouest
Ambassadeur de Côte d’Ivoire nommé par Ouattara et reconnu par la France, Ally Coulibaly appelle à un sursaut international en faveur de son pays livré à la guerre civile.
C’est en fracturant la serrure de la chancellerie, un hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris, que le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France a pris possession des locaux le 19 janvier. Nommé par le président élu Alassane Ouattara dont il est aussi le conseiller diplomatique, Ally Coulibaly représente les autorités légitimes d’un pays qui a replongé dans la guerre civile après trois mois de crise politique.
« Sud Ouest ». Vous avez eu besoin d’un serrurier pour entrer ici…
Ally COULIBALY. Oui, la prise de la chancellerie n’a pas été chose facile car les mauvais perdants avaient bouclé les lieux. Il a fallu poser un acte symbolique fort. Mais ce n’était quand même pas la prise de la Bastille…
SO. Vous êtes l’ambassadeur « de tous les Ivoiriens ». Est-ce possible dans le climat de guerre civile qui règne au pays ?
A.C. Mon rôle est de rassembler et apaiser notre communauté en France, d’apprendre aux Ivoiriens à se reparler. La voie est tracée. Les élections ont eu lieu. Le choix du peuple a été clair. Or que voit-on ? Un chef d’Etat sortant battu a confisqué le pouvoir. C’est une situation ubuesque, un cas d’école inédit, un déni de démocratie doublé de violations des droits de l’homme. Laurent Gbagbo se maintient par des méthodes illégales, mettant en place un système totalitaire de privations de libertés qui a dérapé dans la folie meurtrière.
SO. Quelle est l’ampleur des exactions ?
A.C. Nous en sommes à plus de mille morts. On s’émeut de la situation en Libye mais une autre tragédie se déroule en Côte d’Ivoire. Jeudi à Abobo, Gbagbo a fait tirer sur des femmes qui marchaient pacifiquement. Chaque jour, il tue des innocents. Ces crimes sont passibles de la Cour pénale internationale et il est temps que la communauté des nations fasse comprendre à ceux qui tuent et à leurs commanditaires qu’ils répondront de leurs actes.
SO. En attendant, sa tactique du pourrissement n’est-elle pas gagnante face à un peuple exaspéré tenté de renvoyer les deux hommes dos à dos ?
A.C. Non. Les Ivoiriens savent que Gbagbo est le problème. Les révoltes arabes montrent qu’on ne va pas contre le vent de l’histoire. Les Ivoiriens aspirent à la démocratie, à la justice, à la liberté, à la dignité, des valeurs qui sont aussi celles de l’Afrique. Et ils sont en train de prendre leur destin en main malgré la terreur et la répression. Car c’est une catastrophe humanitaire. Les habitants d’Abobo fuient en masse les atrocités, des dizaines de milliers d’Ivoiriens s’exilent dans les pays voisins. Depuis une semaine, l’électricité est coupée au centre et au nord du pays, avec les conséquences que vous imaginez sur la fourniture d’eau, les soins hospitaliers…
SO. En restant enfermé à l’hôtel du Golf, Alassane Ouattara ne se trompe t-il pas de stratégie ? Ne doit-il pas encourager les Ivoiriens à se soulever ?
A.C. Il n’a pas à le faire. Le président Ouattara est adepte de la non-violence et ne veut pas enjamber des cadavres pour parvenir au pouvoir. Pour autant, il n’est pas resté inerte. Les sanctions économico-financières ciblées contre Gbagbo et son entourage sont en train de porter leurs fruits. Mais il faut aller plus loin car il s’incruste.
SO. Ne sous-estimez vous pas ses soutiens ?
A.C. Gbagbo continue de bénéficier de la complicité de certains hommes d’affaires, de certains pays. Après un hold-up électoral, il a cambriolé la BCEAO (1) en emportant 150 milliards de francs CFA, butin qui lui permet encore de faire illusion. Mais la plupart des fonctionnaires ne sont plus payés. Les militaires le sont encore mais la grande majorité des forces de sécurité (armée, police, gendarmerie), qui ont voté à 63% pour le président Ouattara, ne soutient plus Gbagbo.
SO. Pourquoi ne se rangent-elle pas du côté du peuple ?
AC. Parce que les armes disponibles vont aux unités spéciales, à la garde présidentielle, aux mercenaires. Les soutiens de Gbagbo se limitent à quelques milliers de gens mais paradoxalement, l’armée est désarmée et ses chefs ont peur. Pourtant, ils doivent savoir que le combat de Gbagbo est perdu d’avance et qu’ils ne peuvent plus cautionner ces tueries par leur silence.
SO. Comment sortir de cette impasse sanglante ? Revoter ?
A.C. Pas question ! La certification du vote s’est faite avec l’accord des parties. L’ONU a certifié le premier tour, il n’y a pas eu l’ombre d’une contestation. Le problème est simple : Gbagbo ne veut pas partir. Il aurait dit lui-même à des proches : « j’ai perdu mais je refuse que Ouattara me succède ». Il a perdu donc tout le monde doit perdre, même si le pays devient un champ de ruines ! Après son élection en 2000 qu’il a lui-même jugée « calamiteuse », il s’est arrogé cinq ans de plus et voudrait encore cinq ans « cadeau ». Il veut encore jouir du pouvoir pour distribuer des prébendes à ses affidés. De façon irrationnelle, lui et son épouse Simone, poussés par leurs gourous de leur secte (3), se croient investis d’une mission divine : vaincre le mal que nous incarnons, nous et la communauté internationale. Hélas, ses dix ans de pouvoir sont un énorme gâchis. La Côte d’Ivoire, dont 49% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, n’est que l’ombre d’elle-même, 163è au classement du PNUD (2).
SO. N’êtes-vous pas déçu par la médiation de l’Union africaine, qui a multiplié les navettes sans résultat ?
A.C. Que l’Union africaine se préoccupe de la Côte d’Ivoire est une bonne chose. Mais sa feuille de route est claire : étudier les modalités du départ de Gbagbo. Le reste est hors sujet, notamment un partage du pouvoir à la kenyane dont le Premier ministre kenyan convient lui-même qu’il est inapplicable chez nous.
SO. Reste la solution militaire…
A.C. Le président Ouattara a toujours privilégié la négociation, offrant à Gbagbo toutes garanties d’une sortie digne. Ce n’est pas lui qui a commencé à parler d’utiliser la force légitime, c’est la CEDEAO.
SO. Qu’attendez-vous de la France ?
A.C. La France a beaucoup fait. Elle a pris position en faveur d’Alassane Ouattara de la façon la plus claire et ferme. Sans la protection de la force Licorne –et celle de l’ONUCI- l’hôtel du Golf aurait été attaqué depuis longtemps. Elle se détermine en fonction de ses intérêts mais aussi des valeurs qu’elle incarne. Elle est du côté de l’histoire et doit continuer à soutenir l’effort de démocratisation dans les pays africains. Nous attendons de la France –et de son nouveau ministre des Affaires étrangères Alain Juppé- qu’elle soit aux avant-postes d’une nouvelle mobilisation pour la Côte d’Ivoire sans se laisser impressionner par les critiques sur un prétendu « néocolonialisme » auquel personne ne croit. De toute façon, se remobiliser pour Abidjan est la responsabilité collective des nations. Car accepter de voir l’instabilité gagner toute l’Afrique de l’Ouest ne profitera à personne.
(1) Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest.
(2) Programme de l’ONU pour le développement.
(3) La secte évangélique « Four square Church » basée à Atlanta.
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