Par Pauline Tissot lexpress.fr
La crise politique en Côte d’Ivoire a débuté à la suite de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle, le 28 novembre 2010. Mais où en est-on aujourd’hui? Sur quels arguments se basent les deux camps? LEXPRESS.fr fait le point.
Les arguments pro-Ouattara
Le camp Ouattara légitime la victoire de son candidat par le soutien de la communauté internationale, de la Cédéao, et sur les résultats annoncés le 2 décembre 2010, par la Commission électorale indépendante (CEI). Celle-ci a donné gagnant Alassane Ouattara, avec 54,10% des voix.
A ceux qui dénoncent un penchant pro-Ouattara de cette Commission électorale, les observateurs rétorquent que la Commission centrale, organe principal de la commission, était constituée d’un représentant désigné par chaque partie signataire de l’accord de Linas-Marcoussis. Pour rappel, cet accord a été signé en 2003, par le FPI (Front Populaire Ivoirien), dirigé par Laurent Gbagbo, et le RDR (Rassemblement des Républicains de Côte d’Ivoire), parti d’Alassane Ouattara.
Le Conseil constitutionnel a empêché la Commission électorale de prononcer les résultats de l’élection
Pour les pro-Gbagbo, c’était au Conseil constitutionnel d’annoncer de plein droit les résultats de l’élection. Mais, comme l’explique la chanteur Tiken Jah Fakoly sur LEXPRESS.fr, et partisan du candidat Ouattara: « le Conseil constitutionnel, dirigé par l’un des amis et directeurs de campagne de Laurent Gbagbo, a empêché la Commission électorale de prononcer les résultats de l’élection dans les temps, afin que le délai des 24 heures soit passés, et que cette tâche tombe dans le domaine du Conseil. »
En effet, raconte Libération, alors que le porte-parole de la CEI, Bamba Yacouba, s’apprêtait à communiquer les premiers résultats partiels du second tour, l’un des deux représentants du président-candidat Laurent Gbagbo, lui a arraché les feuilles de résultats des mains avant de les déchirer. « Ces résultats sont faux, ils n’ont pas été consolidés! », a affirmé le représentant, dénonçant un « hold-up électoral ».
D’autre part, à ceux qui accusent les Nations Unies de s’être ingérées dans ces élections sans légitimité, les analystes répliquent que l’ONU a bien été invitée à accompagner le processus électoral dans le contexte de sortie de crise, sur la base d’une demande des signataires des accords de Pretoria, datant de 2005. Etaient présents Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo.
Outre les résultats électoraux, les défenseurs d’Alassane Ouattara invoquent également les exactions commises par le camp Gbagbo, qui prouveraient selon eux le peu d’assise que ce dernier détiendrait dans le pays. Selon les pro-Ouattara, le camp Gbagbo serait notamment responsable de l’attaque de militaires de l’Onuci le 26 février, de tirs imputés aux FDS (Forces de défense et de sécurité) le 19 février, tuant dix manifestants pro-Ouattara, et de six morts lors d’une rassemblement pro-Ouattara ce jeudi 3 mars.
Côté recettes, le « Gbagboland » a entrepris de réquisitionner la trésorerie des sociétés d’Etat
Autre accusations: le camp Gbagbo pousse le pays à la faillite économique. Les investissements ont été gelés, les dettes du pays ne sont pas honorées – la Côte d’Ivoire a récemment zappé le remboursement des intérêts d’un emprunt à long terme souscrit auprès d’un consortium de créanciers -, et les fournisseurs de l’Etat, priés d’attendre des jours meilleurs, risquent aussi la faillite. « Côté recettes, le « Gbagboland » a entrepris de brader son patrimoine immobilier à l’étranger, mobilise les régies financières, réquisitionne la trésorerie des sociétés d’Etat – électricité, pétrole, raffinage – et recourt au racket fiscal », indiquait notre envoyé spécial fin janvier. Pour combler un peu plus son manque de liquidités, le camp Gbagbo serait également allé retirer quelque 60 milliards de francs CFA (91,5 millions d’euros), selon le quotidien ivoirien Soir Info.
« La crise traversée par la banque des banques d’Afrique de l’Ouest [la BCEAO, disputée par les deux candidats, désormais sous contrôle de Ouattara, ndlr], a poussé plusieurs établissements bancaires ivoiriens à fermer leurs guichets, parfois sans prévenir leurs clients. Parmi ces établissements se trouvent les deux banques chargées de payer les fonctionnaires ivoiriens. », indique France 24. Le 25 février, certains fonctionnaires ont donc pu touché leur enveloppe, alors que leurs comptes ont été fermés et que leur économies avaient été perdues.
Par ailleurs, le nord de la Côte d’Ivoire, sous contrôle de l’ex-rébellion alliée à Alassane Ouattara, est privé depuis ce lundi d’eau et d’électricité, une situation dont la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) a rendu responsable le gouvernement du président sortant Laurent Gbagbo.
Enfin, le camp Ouattara accuse Gbagbo de museler les médias ivoiriens, preuve selon eux de malversations secrètes. La RTI est devenue la seule chaîne émettrice en Côte d’Ivoire, la radio mise en place par Ouattara à l’Hôtel du Golf peine à bien fonctionner, et ce mardi, neuf journaux ont décidé de cesser de paraître pour cause de menaces venant du camp Gbagbo. Un collectif de journaux pro-Ouattara déplore également la disparition de Ouattara Yacouba, chauffeur pour le quotidien Nord-Sud.
Les arguments du camp Gbagbo
La première des revendications du camp Gbagbo est l’irrégularité dans la conduite de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. D’après plusieurs observateurs, dont Laurent Gbagbo lui-même, dans près de 2200 bureaux de vote, le nombre de votants aurait été supérieur au nombre d’inscrits. De plus, dans près de 500 bureaux , situés dans les régions Nord, Centre, et Ouest, [contrôlées par l’ex-rébellion fidèle à Alassane Ouattara, et encore non désarmée, malgré les accords de Ouagadougou de 2007], Laurent Gbagbo n’aurait récolté aucune voix. Un résultat curieux, alors que selon l’article 35 du code électoral ivoirien, « chaque bureau de vote comprend un président, deux représentants de chaque candidat. » De plus, ces régions, d’après Amnesty International, ne seraient dotées d’aucun système judiciaire.
Dans près de 2200 bureaux de vote, le nombre de votants aurait été supérieur au nombre d’inscrits
Ces faits évoqués par les fidèles de Gbagbo ont quand même conduit la Coordination des experts électoraux, l’OSCADA, la COMISCA, et la CSCI, organisations qui affirment être accréditées par les Nations Unies ou la Commission électorale, à faire état dans leurs rapports de bourrages et de transports d’urnes irréguliers, ainsi que de manoeuvres pour empêcher des électeurs de voter dans les régions du Nord. Ces éléments confirmeraient ainsi selon le camp Gbagbo les différences de taux de participation entre les deux tours de l’élection: près de 70% au premier, selon des témoignages, environ 80% au second.
Par ailleurs, les défenseurs de Laurent Gbagbo contestent la constitutionnalité du processus électoral. Selon l’article 94 de la Constitution ivoirienne, c’est « le Conseil constitutionnel [qui] proclame les résultats définitifs des élections présidentielle. » Les résultats « provisoires » de la Commission électorale n’ont donc aucune valeur pour le camp Gbagbo. D’autant que le camp Gbagbo se base sur une lettre datant du 27 novembre 2010, et largement publiée par le camp Gbagbo, dans laquelle le candidat Ouattara aurait déclaré se soumettre au verdict de la Commission et du Conseil Constitutionnel, annoncé quelques jours plus tard.
De plus, le camp Gbagbo, accusé d’exactions envers les fidèles de Ouattara, ne s’estime pas le seul coupable du nombre grandissant de morts en Côte d’Ivoire – 1000 morts d’après un ministre du gouvernement Ouattara. Selon un rapport de l’ONG Amnesty International, les Forces Nouvelles fidèles à Alassane Ouattara, entre autres, se seraient rendues coupables « d’homicides arbitraires et délibérés », de « détention arbritraires », de « mauvais traitements », et de « viols ».
Les FN d’Alassane Ouattara se seraient rendues coupables « d’homicides arbitraires et délibérés »
Aujourd’hui, la cible du camp Gbagbo est devenue le « commando invisible », que le quotidien Ivoire-Presse suppose être dirigé par Ibrahim Coulibaly, un ancien rebelle du Nord. Ce commando serait bien implanté dans les quartier d’Abobo, commune pro-Ouattra, et d’Anyama, où la morgue, selon plusieurs témoins qui souhaitent garder l’anonymat, regorgerait de cadavres supposés fidèles à Alassane Ouattara. Une épidémie de choléra serait aussi apparue dans ce district d’Abidjan.
Depuis quelques jours, ce commando invisible est accusé d’avoir ochestré le samedi 26 février un raid contre la RTI, la télévision officielle pro-Gbagbo, qui a été contrainte d’arrêter d’émettre temporairement. Bilan selon la RTI: trois morts calcinés retrouvés sur les lieux. Désormais, ce commando est affilié selon Soir Info aux forces d’Ecomog, organisation liée à la Cédéao, qui a reconnu Ouattara président de la Côte d’Ivoire. D’après le porte-parole du gouvernement de Laurent Gbagbo, ces forces seraient au nombre de 300 à 500 militaires « camouflés en civils » et dotés « d’armes lourdes, de lance-roquettes et de kalachnikov ». Des habitants de la commune d’Anyama, interrogés par la chaîne Djibitv.com, témoignent d’ailleurs, sous couvert d’anonymat, de violences commises par les forces pro-Ouattara. Des informations bien sûr à prendre avec précaution.
Enfin, les fidèles du président sortant accusent l’Onuci, représentée par le délégué des Nations Unies en Côte d’Ivoire, Young Jin Choï, de ne plus se conduire en arbitre dans cette crise post-électorale. Les forces de l’Onuci, qui ont récemment été victimes d’une campagne médiatique « violente », sont notamment accusées d’armer les forces d’Alassane Ouattara. Autre signe du peu d’estime que les pro-Gbagbo portent à l’ONU, ils raillent ouvertement l’organisation depuis « qu’elle a présenté ses excuses à la Biélorussie, le 2 mars, après l’avoir accusée de livrer des hélicoptères » aux FDS, déclare un partisan du président sortant, sous couvert d’anonymat. Le camp Gbagbo réclame ainsi depuis plusieurs mois le départ de l’Onuci.
Mais outre les Nations unies, qui craignent désormais une « guerre civile » en Côte d’Ivoire, c’est toute la communauté internationale qui est en ligne de mire. Et au premier chef: la France. En témoigne, entre autres, cette lettre, largement diffusée par les pro-Gbagbo, signée de la main du président Nicolas Sarkozy, qui enjoindrait le 1er décembre 2010 le président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, à donner vainqueur le candidat Ouattara, alors même que cette commission ne devait dévoiler ses résultats que le lendemain… La Commission dément les informations contenues dans cette lettre.
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