« L’homme africain et le temps des révolutions » par Serge Nicolas NZI

I – L’histoire du monde est abondante de révolutions qui ont si souvent conduit les peuples à des chimères, à des désillusions ainsi qu’à des grands rendez-vous manqués. Les exemples sont sous nos yeux en grandeur nature pour nous apprendre à ne pas croire trop vite que le renversement d’une dictature conduira à des lendemains meilleurs.

La révolution mexicaine de novembre 1910 dont se réclamaient Francisco Madero, Pascuale Orozco, Francisco Villa et Emiliano Zapata, n’a même pas réussi à instaurer une réforme agraire, capable de nourrir le peuple mexicain. La fameuse révolution russe d’octobre 1917, avec ses goulags, sa police politico secrète et sa montagne de cadavres est encore sous nos yeux, pour nous indiquer que l’URSS, n’existe plus.

La révolution cubaine du 1er janvier 1958 et ses guérilleros barbu dos, sont aujourd’hui liquéfiés et n’osent même pas dire ouvertement qu’ils veulent s’engager sur la grande route de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Qu’en est il de la révolution algérienne issue de l’insurrection contre l’ordre colonial français du 1er novembre 1954 au 2 juillet 1962 ?

Cette révolution qui avait obligé les français à quitter l’Algérie la queue entre les jambes comme des chiens apeurés. Nous avons tous mal au cœur de voir aujourd’hui les Algériens prendre d’assaut les consulats français dans une hypothétique quête de visas pour un séjour en France.

Qu’en est-il de la révolution égyptienne de Gamal Abdel Nasser de juillet 1956, qui nationalisa avec fracas le canal de suez ? Où se trouve aujourd’hui la grande révolution Guinéenne qui avait dit non au général De Gaulle le 28 septembre 1958. Où en est le Colonel Mouammar El Kadhafi et sa Jamahiriya arabe, socialiste populaire et révolutionnaire de Libye ?

Où en sont nos frères Béninois avec leur révolution marxiste-léniniste de 1972 à 1990 ainsi que la phraséologie révolutionnaire qui l’accompagnait ? Où étaient les fameux CDR, les comités de défense de la révolution Burkinabé, quand notre frère le Capitaine Thomas Sankara, se faisait massacrer, par ceux qui hier encore mangeaient à la même table que lui ?

Qu’en est-il, des fameuses révolutions des tulipes du 24 mars 2005, dans la petite république caucasienne du Kirghizstan et celle du safran en Birmanie le 26 septembre 2007 ? Et pourtant toutes ces révolutions se proposaient au départ d’apporter un mieux être et un changement quantitatif et qualitatif de la vie de leur peuple, pour vaincre la peur, la pauvreté, la misère, maladie afin d’embrasser et de retrouver les champs fertiles de la liberté.

Aujourd’hui quand vous discutez avec la plupart des étudiants iraniens à Paris, à Londres ou à Genève, ils vous disent qu’au temps du Shah, l’Iran était mieux, car ils sont désabusés et pleurent le paradis perdu, ils ne croient même plus à la révolution islamique iranienne comme voie de développement économique et sociale de leur pays.

Cette situation paradoxale dans laquelle les révolutionnaires d’hier finissent par regretter la dictature qu’ils ont contribué à renverser est la chose la plus sidérante de ce bas monde. C’est justement ce phénomène de contradiction permanent de l’être humain toujours près à brûler l’ancien sans savoir où le conduira le nouveau, qui suscite notre réserve vis-à-vis du mot révolution.

Surtout quand la révolution devient une mode ou une salade dans laquelle on peut y ajouter à volonté et sans retenu des persils, de la laitue, des concombres, du romarin et des tomates, sans se soucier de la saveur qu’elle produira. C’est justement cela qui nous pousse à faire une claire distinction entre révolte et révolution, il faut être vigilant sur l’usage de ces deux mots.

Si en Tunisie il y a des nouvelles manifestations pour réclamer le départ de Mohamed Ghannouchi, le premier ministre du gouvernement de transition issu de l’équipe Ben Ali (Il vient de démissionner ce jour ndlr), c’est parce que les tunisiens ont le sentiment que des opportunistes de la 25ème heure veulent confisquer la révolte populaire à leur profit.

C’est d’une vraie révolution que la Tunisie à besoin. C’est-à-dire un changement de l’ordre politique qui fait de chaque tunisien un acteur de la vie nationale. Ils réclament tous un calendrier précis de la transition et l’élection d’une assemblée constituante pour remettre le pays sur une voie, porteuse d’avenir pour le peuple et la nation tunisienne.

Il s’agit ici d’être vigilant en refusant que l’opportunisme s’incruste dans la révolte pour étouffer la naissance de la révolution.

II – Révolte et révolution parlons en !

Nous parlons de la révolte comme étant une indignation et un acte de soulèvement par lequel un groupe de personnes rejette les règles sociales établies ou l’autorité politique du pouvoir établie. La révolte collective des colonies a été le ciment du nationalisme africain, qui a été favorisé par le mépris et la cécité du système colonial européen et de son mépris pour l’homme noir.

Pour illustré notre pensée, nous prenons pour exemple : la révolte Mau-Mau du Kenya qui dura de 1952 à 1956, mouvement nationaliste et antibritannique orchestré par la société secrète politico-religieuse Mau-Mau formé essentiellement de membre de la tribu kikouyou. Il émergea après une longue période de ressentiment croissant causé à l’origine par l’usurpation des terres au profit des colons Européens.

Las d’être victimes d’injustice dans leur propre pays dans l’indifférence générale, la communauté africaine, et plus particulièrement les Kikouyou, un des groupes ethniques les plus nombreux au Kenya, organisèrent des actions de plus en plus radicales, violence contre les européens et l’exécutions sommaires des africains traîtres à la cause nationale.

La révolte Mau-Mau, suscita une reconnaissance des revendications des nationalistes africains du Kenya, ainsi qu’une évolution de la situation qui devait contribuer à l’accession du Kenya à l’indépendance le 12 décembre 1963. Et ce n’est pas par hasard qu’un nationaliste Kikouyou dirigea les premiers pas de l’Etat Kenyan de 1963 à 1984 ? Il s’appelait Jomo Kenyatta.

La révolution, selon nous, est un mot à double sens qui masque depuis deux siècles une des plus tragiques équivoques qui aient pu égarer les hommes. Par révolution, nous entendons parfois une orientation nouvelle de l’esprit humain, une porte ouverte sur l’avenir. Un projet de société juste et vivable pour tous les citoyens d’un même pays.

C’est dans ce sens que nous parlons du christianisme comme d’une grande révolution de l’humanité, parce qu’il a introduit le principe de l’égalité des hommes et qu’il a substitué au polythéisme, le monothéisme des juifs.
La révolution est donc différente de la révolte, qui est et nous l’avons déjà dit : une indignation et un acte de soulèvement par lequel un groupe de personnes rejette les règles sociales établies ou l’autorité politique d’un pouvoir établi.

La révolution est donc sensée apporter un mieux être, une justice sociale et favoriser l’émergence d’une société solidaire dans laquelle le sort de tous est la préoccupation des gouvernants. C’est sans doute la clé qui nous a manqué le plus pour ouvrir la porte d’une vraie démocratie participative et surtout de l’alternance politique pacifique chez nous en Afrique et dans le monde arabe.

Mais une révolution peut aussi être violente, la révolution nord-américaine fut une rébellion coloniale contre la puissance coloniale qu’était l’Angleterre. La révolution française fut une rébellion sociale, politique et économique contre le régime. Il ne s’agissait pas d’expulser une puissance étrangère, mais de détruire l’ordre intérieur soutenu, des siècles durant, par la tradition, la légitimité et l’union paradoxale de l’absolutisme royal et du privilège féodal.

La révolution française détruisit violemment les institutions de l’ancien régime et les remplaça par des formes nouvelles, peut-être improbables, d’autodétermination et de libre association civile. Ces deux révolutions furent très riches en tueries et en exécutions sommaires. Il ne faut pas se leurrer les Français et les Américains ne sont pas des anges.

Curieusement en Amérique les droits des populations indigènes ne seront pas protégés par cette révolution, l’esclavage sera maintenu jusqu’à la guerre de sécession, conduite par Abraham Lincoln et c’est la lutte pour les droits Civiques conduite par notre frère le Pasteur, Martin Luther King, qui permettra à l’Amérique de faire son aggiornamento en modifiant les esprits pour faire de notre frère, Barak Hussein Obama, un homme issu de la minorité noire d’être aujourd’hui le président des USA.

En France, la révolution n’a pas empêché la colonisation et son cortège de mépris pour des peuples dont le seul crime était simplement d’être différents des français. Ces deux révolutions furent ainsi marquées par les seaux de l’inégalité.

Elles proclamèrent les droits universelles de l’homme, tout en excluant les femmes auxquelles le droit de vote fut refusé. Sur ce point vous conviendrez avec nous que la révolution est aussi un long processus de transformation économique, sociale et politique.

Le mot révolution, a été pendant longtemps mis à toutes les sauces, le parti politique sur lequel Mobutu s’appuya pour accomplir son funeste destin s’appelait le MPR, le mouvement populaire de la révolution, celui de son ami le rwandais Habyarimana s’appelait le MRND le mouvement révolutionnaire national pour le développement. C’est le parti qui planifia le génocide Rwandais du 6 avril au 4 juillet 1994.

Vous conviendrez avec nous que la fin tragique de ces deux hommes et de leur parti, justifie la méfiance que les africains ont à l’égard des mots : révolution, indépendance, socialisme, amitié, coopération et solidarité quand ils sont prononcés par des politicards européens et leurs valets, les Kleptomanes Africains.

Il faut donc se méfier des mots et comprendre que le coup d’état et le renversement d’un pouvoir par un autre ne sont pas des révolutions, c’est dans ce sens que nous refusons d’utiliser le mot révolution pour parler des changements de régimes hier au Bénin, en Iran, en Ethiopie, au Congo Brazzaville et aujourd’hui en Tunisie ou en Egypte.

Il faut applaudir la mise en pratique du projet révolutionnaire quand il émane du peuple qui est lui-même associé à son application. Mais une dictature qui remplace une autre sans un projet concret de société permettant à tous les citoyens de vivre harmonieusement ensemble. N’est rien d’autre qu’une chimère, si non une révolution de palais.

III – Comme la révolution des œillets et la révolution de velours

Le Portugal nous enseigne que l’armée peut s’allier à la société civile pour conduire le changement dans un pays, dans le but de rendre possible le développement économique et social du pays. La révolution des œillets a permit au Portugal de sortir de la dictature d’Antonio Oliveira de Salazar et de Marcello José Alves Caetano.

Ainsi le Portugal nous a enseigné que l’idée de la résistance à une dictature pouvait venir de l’armée au lieu que l’armée soit le principal opposant au changement nécessaire pour la réalisation des transformations dont la société a besoin pour s’affirmer et se réaliser en tant que communauté humaine.

Le 25 avril 1974, qui correspond à la saison des œillets, reste pour chaque portugais un moment pathétique ou le pays tourne une page de sa propre histoire tragique en proclamant les trois D, Démocratisation du pays, Décolonisation des colonies portugaises d’Afrique et Développement économique et social du Portugal par son entrée dans le marché commun européen.

Concernant la révolution de velours, il faut le dire encore une fois que les dictatures n’ont que la violence comme solution aux revendications de liberté de justice sociale et de démocratie. La réaction violente et stupide du colonel Kadhafi, contre son propre peuple en est l’une des meilleures illustrations de cette cécité des dictatures en fin de règne.

Nous sommes mêmes persuadés que s’il avait la bombe atomique, il l’aurait utilisé sans état d’âme. C’est cette forme de violence aveugle qui produit les révoltes qui conduisent à la chute et à la fin tragique et sanglante des dictatures.

Le 17 novembre 1989, le régime politique communiste de Tchécoslovaquie réprime dans le sang une manifestation pacifique d’étudiants. En signe de protestation la population occupe la rue et des grèves débutent partout dans le pays. C’est ce mouvement encadré par le forum civique de Vaclav Havel, qui a poussé les communistes à renoncer à l’exercice du pouvoir politique.

Le régime était épuisé et n’avait plus la force pour s’opposer au reste de la société. Par la suite nous savons que naîtra une scission de l’Etat Tchécoslovaque qui conduira à la naissance de la République Tchèque et à la République Slovaque. Deux états aujourd’hui membres de l’union européenne.

IV – Pourquoi nos révoltes africaines n’ont jamais abouti à une vraie révolution ?

L’écrivain et penseur russe, Léon Tolstoï disait : << l’on perd une guerre non seulement après une série de revers, fussent-ils graves, mais au moment où l’on est convaincu de l’avoir perdu. >> Les révoltes, surtout les révolutions et les divers socialismes inspirés du marxisme avaient toujours échoué en Afrique. Ils se sont efforcés de s’anéantir eux même entraînant des peuples entiers dans leur naufrage.

Ils avaient au préalable anéanti tout ce qui fait une société, un Etat, une économie, une justice, une civilisation. Dès lors, les successeurs aujourd’hui disposent difficilement de points d’appui pour construire quoi que ce soit à la place de ce qui a sombré.

La seule institution efficace des pays africains soit disant révolutionnaires, le parti unique, tournait dans le seul but de sa propre perpétuation et de la constitution de réseaux de complicité à l’extérieur. Elle régnait seulement par la coercition, la corruption, la répression et au besoin par la terreur. Elle ne devint réversible ou renversable qu’à partir du moment où elle fut parvenue au terme de ses destructions. La République populaire du Bénin est l’illustration typique de cette affirmation.

L’Algérie nous fournit un autre exemple presque parfait de ce type de système. L’Etat F.L.N. fut sans conteste un régime totalitaire, les fondateurs du totalitarisme algérien Ahmed Ben Bella, puis Houari Boumediene, croyaient que le marché c’était le colonialisme, ils entreprirent d’assurer l’indépendance économique algérienne au moyen du collectivisme agraire et de l’étatisme industriel.

On vit donc la production agricole dégringoler d’un tiers en 20 ans, cependant à cause de la poussée démographique les importations alimentaires finir par dépasser 60 % des denrées consommées. L’indépendance mythique s’était muée en dépendance non seulement alimentaire, mais encore par voie de conséquence, financière. La dette s’élevait en 1990 à plus de 25 milliards de dollars, soit la moitié du PIB

En Guinée, à la mort d’Ahmed Sékou Touré le 26 mars 1984, l’histoire retiendra sa longue lutte contre le colonialisme, mais elle ne pourra oublier les milliers de guinéens morts dans des conditions affreuses dans les camps de détentions de son régime.

Le monde découvre la Guinée avec des routes difficilement praticables, l’eau, l’électricité et le téléphone couvrant à peine le quart du pays. La grande révolution guinéenne avec sa phraséologie nationaliste et anti-impérialiste a échoué dans la construction du renouveau national.

Et c’est avec joie et enthousiasme que le peuple descend dans les rues pour saluer l’avènement du coup d’Etat militaire mettant fin à la révolution du grand sily, sans se rendre compte que les militaires guinéens sans projet de société allaient faire plus de mal qu’il ne le fallait à leur propre peuple.
Que alors dire du PDG-RDA, le parti démocratique de Guinée ?

Le parti état qui prétendait connaître les besoins du peuple guinéen, mieux que le peuple lui-même. Comme l’US RDA l’union soudanaise du RDA au Mali, ou le PDCI-RDA en Côte d’Ivoire, il a fondu comme du beurre dans une poêle chaude. Plus de leader, plus de projet rassembleur. C’est le néant total comme horizon. Chacun se cherche dit-on, comme s’il était perdu en rasant les murs à la sauvette comme on va de nuit chez le marabout du village.

Il ne faut donc pas se leurrer. Tout ce qui brille n’est donc pas de l’or et toutes les révoltes n’aboutissent pas à une révolution. L’expérience guinéenne est un exemple très édifiant de l’histoire contemporaine de l’Afrique.

Nos prétendues révolutions ont donné plus de place à des slogans ridicules et farfelus au lieu d’organiser la production nationale pour mieux satisfaire nos propres besoins. Comme en Union soviétique, la révolution à souvent créé une classe parasitaire de faux révolutionnaires au sommet de l’Etat.

Ils n’avaient tous qu’un seul souci, jouir des avantages que procure l’exercice du pouvoir politique. Ils veulent vivre grassement des bienfaits de la révolution en demandant les sacrifices au peuple tandis qu’ils gardaient les avantages pour eux-mêmes. Tous ceux qui criaient à longueur de journée, abat l’impérialisme ! Où vive la révolution ! Étaient-ils vraiment des révolutionnaires ou alors des vulgaires petits opportunistes ?

La mort brutale de notre frère le capitaine para commando, Isidore Noël Thomas Sankara, nous donne la réponse la plus appropriée à cette question.
Il ne faut donc pas avoir un idéal et un projet de société révolutionnaire il faut aussi avoir atour de soit des hommes et des femmes prêt à mourir pour cette cause.

Voici un exemple concret : si la résistance française pendant la guerre n’était pas conduite par des gens convaincus que c’était la survie de leur pays qui était en jeu, ce pays n’existerait pas aujourd’hui. Comment expliquez aujourd’hui le fait que des hommes et des femmes, arrêtés par la GESTAPO, allemande. Beaucoup d’entre eux furent battus torturés et violées mais avaient préféré mourir que de livrer les réseaux de la résistance française à l’ennemi. Ils étaient pleinement convaincus du bien fondé de la lutte pour la survie de la France en tant que nation.

Il faut donc se méfier des opportunistes et des petits braillards dans les luttes révolutionnaires. Il faut en premier lieu s’assurer que vos compagnons de route partagent votre idéal révolutionnaire et sont près à vous suivre dans la concrétisation du projet révolutionnaire dont vous êtes porteur.

Si cette condition n’est pas remplie, il est inutile de vous éreinter à vouloir faire le bonheur du peuple à sa place. Car vous pouvez être conduit à l’abattoir pour être égorgé. Vos poumons, votre foi et vos intestins seront jetés aux chiens sans que le peuple pour lequel vous vous battez ne bouge pour vous sauver la vie.

La phraséologie révolutionnaire, a fait les preuves de son inefficacité quand elle est répétée à longueur de journée par des opportunistes locaux, des profiteurs externes et autres courtisans politiques sans conviction révolutionnaire.

La révolution Burkinabé du 04 Août 1983, comme la plupart des révolutions africaines, fut une révolution nationaliste selon laquelle l’idée nationale est porteuse d’intégrité, de dignité, d’intelligence du monde, d’identité alternative : elle est force de résistance, et instrument de libération.

Sa revendication principale concerne la volonté de sortir le Burkina Faso de l’étau économique, social et culturel qui pèse sur le pays. En ce sens, le nationalisme Burkinabé procède du même fondement que la dénonciation du néocolonialisme.

Son leader, notre frère le Capitaine Para commando, Isidore Noël Thomas Sankara, donna à l’Afrique une leçon de gestion publique en vivant modestement sans signe extérieur de richesse, la fonction présidentielle était réduite à sa plus simple expression, la franchise de son langage, l’harmonie constant entre son discours et ses actes lui permis de gagner les coeurs de la majorité de ses compatriotes.

Malheureusement le slogan des révolutionnaires burkinabés, << la patrie ou la mort nous vaincrons >> se vérifia, l’assassinat de son leader, le 15 octobre 1987, mis fin à cette expérience qui malgré ses insuffisances et ses contradictions internes avait suscité un immense espoir dans toute l’Afrique. Thomas Sankara fut tué par des militaires locaux, associés à la bourgeoisie affairiste du pays avec le soutien des intérêts étrangers.

Aujourd’hui ce pays enclavé au coeur de l’Afrique sahélienne dirigé par Blaise Compaoré, l’assassin de Sankara vit de l’aide internationale, les successeurs de Sankara, ont organisé des élections pour mieux conserver le pouvoir.

Les références révolutionnaires ont été effacées de la vie publique mais curieusement l’ombre de Sankara, trône dans la mémoire collective du peuple burkinabé qui le considère comme un astre, les astres ne meurent jamais. Après leur disparition, leur lumière nous parvient encore pendant des siècles.

V – reconstruire et consolider l’Etat de droit en Afrique

Il n’est pas trop tard pour recommencer. Il n’y a rien d’humiliant de reconnaître qu’on s’est lamentablement trompé. Le plus grave serait de persister dans l’erreur et la stupidité, en suivant une voie dont on sait à l’avance qu’elle est sans issue.

Depuis l’Angleterre au XVIIIème siècle jusqu’à la Roumanie post Ceausescu, à la fin du second millénaire, la révolution a toujours plongé ses racines dans l’indignation devant un statut quo intolérable, comme dans l’attrait exercé par un projet de société future.

Comme les pauvres du continent africain ne sont pas spontanément révolutionnaire, pas plus qu’ils n’ont conscience de leur destin tragique. Les flux migratoires, l’exode rural, le poids de la religion, une tradition et des coutumes qui favorisent l’ordre établi font que les révoltes sont peut nombreuses et sporadiques.

Mais aussi longtemps que l’offense permanente causée par la misère, l’injustice, l’exclusion et l’oppression conduira les hommes à la rébellion, à la révolte et peut-être à des révolutions en vu de reconstruire le vivre ensemble sur des fondations moralement acceptable par tous afin de mieux affronter les défis de la modernité. C’est cette quête qui pousse les peuples dans les rues aujourd’hui.

Le rapport de la société africaine avec l’argent, le passage désordonné d’une société de responsabilité collective à celle de la responsabilité individuelle mal assumée, la nouvelle idée que nous nous faisons de l’avenir collectif, la rigueur budgétaire etc.. : voilà des pistes qui mériteraient l’attention des élites, des partis politiques et des institutions dignes de ce nom dans nos pays africains.

Ce qui doit compter le plus dans l’étape nouvelle que nous appelons de tous nos voeux, c’est que les africains eux-mêmes se pénètrent de la nécessité de rompre avec la logique du déclin et de la marginalisation. Pour cela, leur destin est entre leurs mains et pas ailleurs.

Il faut en définitif rechercher des solutions sur place dans un dialogue national utile pour aller vers l’invention d’une société libre digne et responsable de son propre destin. Cela est parfaitement réalisable chez nous en Afrique. Les intelligences dont nous disposons sur place prouvent que nous ne sommes pas dans un rêve.

VI – Postulat de Conclusion Générale

Mesdames et Messieurs, le cinquantenaire de l’indépendance de l’Etat africain nous a fait sortir de nous-mêmes et nous à placé face à l’histoire, avec la nécessité d’inventer un avenir et des institutions. Les révoltes et les révolutions, sont mortes sur le continent africain sans avoir résolu nos contradictions.

Depuis 1960, nous nous rendons compte que cette création de nous-mêmes que la réalité exige de nous n’est pas différente de celle qu’une réalité identique réclame des autres en Asie et en Amérique latine. Nous vivons une conjoncture décisive et mortelle, en orphelin du passé, et avec un avenir à inventer. L’histoire humaine est une tâche commune et notre chantier celui de tous les hommes.

Dans un certains sens, on peut affirmer que l’indépendance a recréé l’homme africain en le connectant au monde. Pourtant en dépit de sa fécondité extraordinaire, elle n’a pas été capable de créer un ordre vivant qui fût, en même temps vision du monde et fondement d’une société réellement juste et libre.

La révolution se proposa de corriger cette dérive en proposant une communauté, une espérance de communauté : un monde dans lequel les hommes se reconnaissent dans les autres hommes, et où le principe d’autorité, c’est à dire la force, quelles que soient son origine et sa justification – cède le pas à la liberté responsable. Ce fût le contraire qui se produisit laissant nos pays en ruine et nos peuples sans horizon.

Que faire ? Ne pas désespérer de l’avenir, car l’histoire de l’humanité a souvent démontré que face aux blocages les plus tenaces, le déclic est venu du débat, dès lors que ceux dont la responsabilité est d’anticiper l’avenir par La pensée, ne biaisaient pas avec la réalité. La conférence nationale du Bénin fut dans ce sens un des plus beaux exemples de la mise ensemble des intelligences pour régénérer la nation comateuse.

Un certain conformisme intellectuel a souvent retardé le déclic, tandis que le courage de penser autrement a toujours conduit aux changements rendus inévitables par l’évolution historique.

Quand l’évolution de la société française s’est trouvée contrecarrée par les archaïsmes politiques liés à l’absolutisme royal, les philosophes des lumières ont déblayé le terrain, Voltaire, Diderot, Montesquieu, Condorcet, Rousseau, d’Alembert, chacun à sa façon et selon son génie, ont contribué au mouvement des idées dont la révolution française de 1789, devait être la traduction sur le terrain politique.

L’avenir de nos pays africains est une affaire trop sérieuse pour être laissé entre les mains des seuls politiciens, la dernière décennie ayant confirmé qu’ils étaient dans leur grande majorité davantage mus par la soif du pouvoir que par les intérêts fondamentaux des peuples africains. La société civile africaine doit se remobiliser pour que le pluralisme contribue à l’épanouissement de la pensée et à la promotion d’idées novatrices pour la renaissance africaine.

Cette renaissance consiste pour les africains à rompre avec la logique du déclin et de la marginalisation, pour prendre leur destin en main. Réorienter notre agriculture en donnant la priorité aux cultures vivrières afin de nourrir nos populations affamées devient aujourd’hui une priorité au lieu d’importer constamment du blé et surtout du riz qu’on pouvait produire sur place.

Dans cette nouvelle phase, il serait vraiment stupide de produire du café et du cacao, de l’arachide, de l’hévéa de l’or de l’uranium et du cuivre pour d’autres à des prix fixés par eux, provoquant la ruine de nos paysans et l’appauvrissement de nos meilleures terres, pour finalement nous retrouver à quémander pour vivre comme un peuple de mendiants.

Dans le domaine de la santé, assurer une couverture sanitaire à nos populations demeure une priorité. Que les centres de santé les plus reculés soient fournis en médicaments et en produits de première nécessité est une exigence de bon sens.

Nous avons parfois de la peine à voir nos chefs d’Etat aller se faire soigner si non mourir en Europe ou en Amérique dans des hôpitaux étrangers. Sékou Touré est mort le 26 mars 1984, d’une déchirure de l’aorte au centre cardiologique de Cleveland dans l’Ohio aux USA.

Le président Angolais Agostinho Neto, est mort à Moscou le 10 septembre 1979, d’un cancer. Félix Houphouët-Boigny, lui est mort officiellement le 7 Décembre 1993, à Yamoussoukro après une opération de la prostate à l’hôpital Cochin dans les services d’urologie du Pr. Bernard Debré à Paris.

Mobutu s’était fait opérer de la prostate au CHU de Lausanne en Suisse, avant de mourir à Rabat au Maroc le 7 septembre 1997, des suites de complications liées à cette Opération. Le président Togolais Gnassingbé Eyadema est mort lui à bord de l’avion présidentiel en escale à Tunis, en partance pour un traitement cardiovasculaire urgent à Tel-Aviv en Israël.

El Hadj Omar Bongo du Gabon est mort lui le 7 juin 2009, d’un cancer intestinal, à la clinique Quiron de Barcelone en Espagne. Aucun de ces chefs d’Etats n’a réussi à construire un Hôpital digne de ce nom avec du personnel et du matériel adéquat capable de les soigner sur place dans leur propre pays. C’est tout simplement pitoyable et honteux.

Avoir aussi chez nous des routes praticables en toutes saisons pour intégrer l’arrière pays aux grands centres urbains ne doit pas être un rêve pour notre génération. Enfin vivre dignement chez nous avec un minimum de dignité sans s’entre déchirer continuellement pour faire le bonheur des marchands d’armes, n’est pas trop demander à la vie ?

Dans cette nouvelle aventure qu’est la reconstruction de la vie en commun, nous devons mettre l’accent sur ce qui nous unie et renforce la dignité et le bien de tous. Voilà ce que souhaite chaque africain dans le ferment de son âme. C’est ce vide qui explique la stérilité de nos partis politiques en Afrique noire et la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous sont très éloignés du drapeau de leurs connivences mafieuses et du vent de leurs chimères.

Enfin les progrès technologiques sont si rapides aujourd’hui que l’Afrique se condamnerait à la marginalisation définitive si elle ne réinvestissait pas de nouveau massivement, dans l’éducation et la formation, mais en privilégiant cette fois-ci, plus que tout l’excellence, la technicité et l’inventivité, afin de donner à l’industrie naissante les cadres moyens et subalternes de bonne qualité qui seront les fondations les plus assurées de notre développement industriel.

Voilà Mesdames et Messieurs des pistes de travail pour conduire et nourrir nos révoltes et nos révolutions qui si souvent nous ont conduit dans l’illusion, la pauvreté, la crasse, l’immobilisme, l’amertume, l’impasse et des dénuements sans nom.

Voilà quelque chose de noble qui vaille la peine et le sacrifice d’un continent meurtri. Si Vaclav Havel, le dramaturge tchèque, héros de la révolution de velours était assis avec nous ici, devant vous, il nous aurait autorisé à vous dire de ne pas confondre l’attente et l’espoir.

<< L’attente c’est le triste sort qui est réservé chaque jour à des millions de personnes dans le monde : une attente bien souvent sans fin, sans terme, sine die, que seule la mort interrompt. Mais l’espoir, c’est tout autre chose. Nous devons agir à temps pour que le monde cesse d’attendre Godot et retrouve les raisons légitimes d’espérer, et d’avoir confiance dans l’avenir>>

Cette confiance les uns dans les autres doit se construire aujourd’hui et maintenant pour nourrir le nouvel horizon vers lequel nous nous dirigeons, Après tant de trahisons, de haine, de mépris et de frustrations qui nous ont conduit dans les soutes de l’histoire humaine. Voilà pourquoi il faut se relever pour forger la renaissance et la reconnaissance.

Reconnaissance dans la redistribution de la richesse nationale produite par la majorité des citoyens et qui est souvent accaparée par une poignée de prédateurs hautains, médiocres et méprisants. Reconnaissance de la nation vis-à-vis de tous ses enfants. Elle doit désormais être le partenaire de tous les citoyens pour se raccorder à elle-même afin de ne plus se trahir et conduire nos peuples aux amers désillusions d’hier. Pour cela nous pourrons sûrement nous appuyer sur l’élan libertaire des nouvelles générations.

C’est de cela qu’il s’agit et c’est dans cette direction que nos frustrations, nos ressentiments, nos colères et nos révoltes doivent se diriger pour que naisse chez nous aussi une révolution porteuse d’amélioration de notre quotidien et non des slogans creux, des règlements de comptes sanglants, des prisons, des gaz lacrymogène, des répressions, des meurtres ainsi qu’une pluie de larmes et de désespoirs.

Une révolution porteuse aussi de cette certitude, que désormais nous n’insulterons plus l’avenir commun avec le meurtre des autres comme finalité de la vie politique. Une révolution de l’inacceptable, du refus de la succession dynastique et héréditaire à la tête de nos pays africains comme au Togo et au Gabon. Une révolution enfin, porteuse d’espérance, comme au Portugal, en Pologne en République Tchèque ou en Slovénie.

Telle est la réflexion que nous inspirent les grandes colères et les révoltes en cours dans les consciences et surtout l’insurrection des esprits dont nous sommes tous les témoins dans les rues du monde arabe.
Merci de votre aimable attention.

Dr SERGE-NICOLAS NZI
Chercheur en communication
E-Mail. nzinicolas@yahoo.fr

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