Un Français figurait sur la liste en préparation des proches du président de la Côte d’Ivoire jugés indésirables par l’Union Européenne (UE) en vue de sanctions divulguée le 31 décembre. Portrait et enquête en Côte d’Ivoire.
Ancien légionnaire reconverti dans la sécurité, le Français Frédéric Lafont s’est installé en Côte d’Ivoire il y a dix ans. En décembre, il était suspecté d’avoir violé l’embargo onusien sur les importations d’armes. Mais après enquête, son nom a été retiré de la liste officielle des sanctionnés le 15 janvier. Portrait d’un aventurier, et récit d’une polémique entre affairisme, diplomatie et rumeurs en pleine crise ivoirienne, à Abidjan.
Bad boy
Il a toutes les allures du bad boy et sa légende en Côte d’Ivoire le dépasse. Ses détracteurs racontent qu’il est au service de Gbagbo : importation d’armes, transport de mercenaires. Pistolet à la ceinture, un Glock, automatique dernier cri, il récuse cette idée. Cet ex-légionnaire ne fait que des affaires, selon lui : « Je fais de l’argent mais je ne suis pas un mercenaire. » Ce soldat à la carrure de Belmondo est un hyperactif qui a le sens des affaires et ne veut pas se mêler de politique. En dix ans il a fait fortune dans la sécurité, sa tasse de thé avec deux sociétés majeures du secteur Risk et Vision. « Il s’est fait des amis, mais aussi beaucoup d’ennemis avec ses succès», explique un cadre d’une de ses sociétés. « En dix ans, je n’ai rencontré Gbagbo qu’une seule fois à l’occasion d’un gala de boxe que j’avais organisé ». La photo est dans son bureau. Il la montre.
Bling-bling
Louise Kodo-Lafont, sa femme, le dit : « Sans son comportement parfois un peu cabot, il ne se serait pas attiré autant d’ennuis, et nous n’aurions pas été sur cette liste pour trafic d’armes. » C’est que le self-made-man aime les bagnoles que l’on montre et que personne ne peut se payer à Abidjan : Aston Martin, Porsche, Viper, Hummer, etc. Une collection qu’il exhibe. Avec son regard de vrai naïf pris la main dans le pot de confiture, Frédéric fait la moue : « C’est à cause de ces quinze années passées à la Légion étrangère où j’en ai bavé . Après j’ai voulu me faire plaisir. » Chez lui, en dehors de son parc automobile, il n’y a rien de luxueux. L’homme est habillé simplement, jean, baskets et chemise blanche.
La galaxie Lafont
Lui qui emploie plus de 4.000 personnes au travers des différents groupes de sa galaxie d’activités (sécurité, protection, électronique, restauration, discothèques, hôtellerie, événementiel et même une compagnie aérienne Sophia Airlines) ne vit pas comme un prince mais en est un à la ville. Tout le monde lui fait signe, demande un billet, un conseil. Sa femme l’a rencontré alors qu’il venait juste d’arriver. Louise Kodo-Lafont est une métisse franco-ivoirienne, une quarteronne à la peau blanche, les cheveux blonds, une femme d’affaires redoutable. A l’époque ce n’était qu’un petit patron de PME de sécurité lambda mais « il avait déjà le feu sacré ». Elle a tout quitté pour rejoindre cet aventurier et ne regrette rien.
Légionnaire à vie
Frédéric Lafont, grand sourire inquiet, est « un type fidèle, prêt à défendre ses hommes comme ses clients », explique son épouse. « En 2004, quand même les soldats français ne pouvaient pas aller au secours des Français piégés chez eux, lui y allait », poursuit-elle. Il a aussi transporté avec sa compagnie aérienne Sophia Airlines des observateurs de l’UE en octobre et novembre au moment des élections, comme l’a révélé FranceSoir.fr début janvier.
A la tête de 23 sociétés en Afrique (Côte d’Ivoire, Togo, Maroc, Algérie, Tunisie), Frédéric Lafont et son épouse auraient été victimes de rancœurs personnelles sur fond de convoitise économique, selon son directeur général, Bernard Stengler. Melhem Sabbague, franco-libanais, est l’ex-directeur général de la compagnie aérienne Sophia Airlines. Soupçonné de détournements de fonds il est licencié en mars 2010. « Il a juré de perdre Lafont dès son départ », assure le responsable de la holding.
Dès le début de la crise politique, Mehlem Sabbague aurait été vu à l’ambassade de France. Le colonel Héry, attaché de défense, responsable des questions de sécurité et de défense, l’aurait reçu pendant plus d’une heure. Un membre de la représentation témoigne : « Cette histoire, c’est un coup monté. C’est signé Héry. Il faut savoir qu’Héry bouffe toujours avec Moreau, le patron d’Ivoire Hélicoptères, la boîte concurrente de Sophia Airlines. Ils sont cul et chemise. Héry espère certainement se recaser après sa retraite chez ses » amis « . Alors quand Melhem Sabbague est venu dans le bureau d’Héry lui apporter la tête du pire ennemi de son meilleur ami, il n’a pas hésité et s’est précipité sur l’occasion. En sortant de son bureau, Héry ne s’en remettait pas : » Je le tiens ! J’ai les preuves ! « . En fait il n’avait rien d’autre que ce que Sabbague était venu lui dire. La suite on la connaît, » ce n’est pas moi, c’est les autres « . Ce n’est pas le conseiller à la défense, c’est l’ambassade. Ce n’est pas l’ambassade, c’est Bruxelles, etc. »
Amitiés locales
Le colonel Héry, contacté, se défend d’être le responsable de la présence du couple sur la liste noire. « Ce n’est pas à notre niveau que cela se décide », a-t-il réaffirmé. Mais il le reconnaît, il est « ami avec Yves Moreau », et a bel et bien « reçu M. Sabbague » mais n’a « rien à voir avec cette histoire ». Qui a mis le couple sur la liste et pourquoi ? La question reste posée.
Une enquête onusienne
A Abidjan, l’enquête officielle a été menée par l’ONU. La cellule embargo en charge de l’aéroport d’Abidjan n’a trouvé aucune infraction aux règles de l’embargo sur l’armement imposées à la Côte d’Ivoire. « C’est une situation atypique. On ne mène une enquête sur place que sur la base de nos renseignements sur le terrain. Là, en l’espèce c’est l’inverse qui s’est produit, explique un inspecteur onusien. On ne m’a jamais informé à la base de » transport d’armes » au sujet de Frédéric Lafont. L’ordre venait directement de New York, après la fuite de la liste fin décembre. » L’inspecteur de l’ONU a eu accès à l’ensemble des documents de la société, dont les bordereaux des vols suspectés de servir au transport d’armes et n’a rien trouvé : « Ma certitude, c’est que nous n’avons rien. Les accusations sont basées sur du vent. » L’ONU n’a qu’une seule infraction établie qui remonte à quelques années : « Cela consiste en l’import d’à peu près 300 gomme-cognes (arme de défense avec des balles en gomme) il y a plusieurs années de cela, quand l’embargo était total, y compris sur les armes non léthales comme celles-ci. » Frédéric Lafont le reconnaît : « Oui, c’est vrai, mais à l’époque j’avais les autorisations du ministère des Affaires étrangères pour cela.»
Pas de vagues
Gilbert Collard, son avocat, a largement contribué à faire retirer le nom de son client de la liste noire révélée fin décembre. « Le dossier était vide », explique ce dernier. L’ambassadeur français à Abidjan a été dans le même sens, sans faire de vagues. Reste qu’un officier de renseignement de la force française Licorne présente sur place confirme que le Français « reste sous surveillance ». Frédéric Lafont a été retiré de la liste des « proscrits » avant sa parution au Journal officiel de l’UE, le 15 janvier
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