DAKAR, 20 février 2011 (IRIN) – IRIN a publié une série de comptes rendus sur la crise qu’ont provoquée en Côte d’Ivoire les élections contestées de novembre 2010. Tandis que Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara revendiquent tous deux la présidence, les divisions politiques viennent aggraver le climat de violence.
Alors que les instances régionales et internationales ont à plusieurs reprises exhorté M. Gbagbo à céder la place, les sanctions et les efforts de médiation sont bien incapables de débloquer l’impasse. M. Gbagbo et M. Ouattara ont des administrations rivales et essaient l’un comme l’autre de maximiser leurs ressources et d’isoler l’adversaire. La série de compte rendus mis à jour par IRIN examine comment les Nations Unies, les instances régionales comme l’Union africaine (UA) et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les gouvernements occidentaux, et l’Union Européenne (l’UE), réagissent à la crise, et étudie également les conséquences du délabrement de la situation sur l’économie, les droits humains et les problèmes humanitaires.
La situation humanitaire – Aider les PDIP et les réfugiés
La crise politique en Côte d’Ivoire a contraint les agences des Nations Unies et les organisations non gouvernementales (ONG) à s’adapter rapidement à un scénario qui n’avait pas été anticipé. Avant les élections, les organisations humanitaires avaient réduit leurs opérations d’urgence et s’étaient concentrées sur les programmes de relèvement et de développement. La crise à Abidjan a cependant exacerbé les tensions existantes dans plusieurs régions du pays, notamment dans l’ouest, et provoqué une nouvelle vague de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) et de réfugiés (qui se dirigent principalement vers l’ouest, en direction du Liberia). De nouveaux besoins, souvent inattendus, ont entraîné un changement de priorités et une nécessité de financement.
Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés António Guterres a rappelé la nécessité d’une résolution rapide de la crise. « Une action politique internationale urgente est nécessaire pour sortir de l’impasse et rétablir le calme », a dit M. Guterres aux journalistes à Genève le 10 février. « Tous les citoyens de la Côte d’Ivoire devraient se sentir en sécurité chez eux et ne plus avoir à fuir en quête de sécurité ».
L’Organisation internationale pour les migrations(OIM) a enregistré près de 82 000 personnes déplacées en Côte d’Ivoire et dans les pays voisins à la suite de la crise. Selon l’institution toutefois, il est « fort probable que les chiffres réels soient plus élevés ». On compte notamment 34 500 réfugiés au Liberia et 42 000 PDIP à Duékoué, Man et Danane, dans l’ouest du pays. Dans les deux cas, les femmes et les enfants sont surreprésentés.
L’OIM a également remarqué des mouvements de population importants en direction du Mali. Plus de 2 500 personnes auraient en effet traversé la frontière au cours des dernières semaines : plus de la moitié d’entre eux seraient des Maliens et les autres, des réfugiés ivoiriens et des ressortissants de 10 pays d’Afrique de l’Ouest. Le Burkina Faso, la Guinée et le Ghana ont tous accueilli des rapatriés et des Ivoiriens. Des groupes de défense des droits humains ont indiqué que les ressortissants des pays voisins, y compris de nombreux migrants de longue date, et les Ivoiriens portant des noms qui les identifient comme appartenant aux Malinké ou à d’autres communautés à majorité musulmane avaient été gravement persécutés pendant les violences postélectorales.
« L’expérience passée montre que nous devons nous préparer à une nouvelle crise migratoire dans la région », a dit Eugenio Ambrosi, le représentant régional de l’OIM pour la Côte d’Ivoire et les pays voisins.
Dans l’ouest du pays, les affrontements entre les communautés Guéré et Malinké à Duékoué et dans les environs ont entraîné des incendies et le pillage des maisons et forcé des milliers de personnes à fuir leur foyer. La mission catholique de Duékoué héberge actuellement plus de 12 000 personnes. Parmi les organisations humanitaires qui contribuent à gérer les déplacements de population, on compte notamment le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a mis du chlore dans près de 400 puits dans la région de Duékoué et a fourni, entre autres choses, des tentes, des latrines et des douches.
Pénuries dans le secteur de la santé
Tandis que l’attention de la communauté internationale est tournée vers les violences qui
déchirent la ville de Duékoué et l’afflux de réfugiés au Liberia, on s’inquiète sérieusement de l’émergence de problèmes structurels, notamment de graves pénuries de médicaments et de personnel de santé et des risques liés à l’apparition de maladies telles que le choléra, la rougeole et la fièvre jaune.
« Il y a des risques de maladies récurrentes », a dit à IRIN Louis Vigneault, chargé de communication du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). « Nous avons atteint un point où les conséquences humanitaires de la crise sont évidentes. De nombreux travailleurs de la santé ont quitté leur emploi et il est désormais difficile pour la population d’obtenir des soins de santé adéquats ».
Antoine Gnagbo, un infirmier qui travaillait auparavant à Séguéla mais qui est à Abidjan depuis quatre mois, fait partie de ceux qui ont quitté leur poste. « Je ne peux pas m’imaginer retourner travailler avant la fin de la crise. Il n’y a aucune sécurité et je ne sais pas comment je pourrais faire mon travail sans médicaments », a dit M. Gnagbo à IRIN.
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a dit que seulement 20 pour cent du personnel de santé qualifié demeurait en poste dans l’ouest et que l’ensemble du système de santé se détériorait. Un communiqué récent indiquait : « Cinq centres de santé sont fermés. Il n’y a pas eu de surveillance épidémiologique depuis plusieurs mois dans l’ouest. La pharmacie de l’hôpital de Man, qui a été la cible d’actes de vandalisme, n’est que partiellement fonctionnelle. La couverture vaccinale pour la rougeole et le tétanos, déjà très faible, risque de diminuer encore plus ».
« Nous avons besoin d’un plan d’action d’urgence pour remettre en marche le système de santé », a dit le représentant de l’OMS Mamadou Ball.
Au cours d’une récente campagne de vaccination contre la fièvre jaune dans les villes de Katiola et de Séguéla, dans le nord du pays, l’OMS et l’UNICEF ont dû recourir aux services de bénévoles d’ONG locales. « Le danger est bien réel », a indiqué M. Vigneault. « Les campagnes de vaccination de routine ont considérablement ralenti. Nous faisons ce que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons, mais ce n’est pas suffisant ».
Selon M. Vigneault, de graves pénuries de médicaments ont été signalées dans plusieurs villes de cette partie du pays.
Nourriture et transport – un impact régional
Si la crise politique en Côte d’Ivoire a entraîné de graves perturbations au niveau de l’approvisionnement en nourriture, elle représente également un coup dur pour ses deux voisins qui ne bénéficient pas d’un accès à la mer. Les factures des importations du Burkina Faso et du Mali ont déjà subi les contrecoups des prix records des denrées alimentaires. Les deux pays du Sahel demeurent extrêmement vulnérables aux sécheresses, et la productivité alimentaire dans certaines régions dépend entièrement de l’unique saison des pluies. S’il ne pleut pas suffisamment, seules les importations de nourriture peuvent permettre de combler le déficit. Par ailleurs, le Mali et le Burkina Faso dépendent tous deux des ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro pour leurs importations et des terres fertiles situées en Côte d’Ivoire, juste au sud de la frontière, pour les ressources alimentaires.
« La situation en Côte d’Ivoire a un impact sur les pays voisins et perturbe notamment les flux commerciaux au Burkina Faso et au Mali », a dit Jean Senahoun, économiste pour le Système mondial d’information et d’alerte rapide sur l’alimentation et l’agriculture (SMIAR).
« Le prix du riz ou du millet tourne toujours autour de 30 dollars le sac, ce qui est beaucoup trop élevé pour la population », a dit à IRIN Ousseny Savadogo, du ministère de l’Agriculture burkinabé. Il a ajouté que le gouvernement mettait en œuvre des plans pour éviter une répétition des émeutes de 2008, lorsque les prix des denrées alimentaires avaient atteint des niveaux records sur les marchés mondiaux.
« Le problème ici, c’est que s’il ne pleut pas, nous perdons nos récoltes. Peu importe ce que fait le gouvernement, nous perdons de la nourriture que nous aurions eu [si ce n’était pas de la sécheresse]. Cela nous rend la vie très difficile », a dit Oussein Gnamene, un cultivateur de millet d’Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso.
Comme ils l’ont fait au moment de l’éclatement de la guerre en Côte d’Ivoire en septembre 2002, les acteurs économiques burkinabés étudient la possibilité de faire transiter leurs produits par d’autres ports, notamment celui de Lomé, au Togo, ou de Tema, au Ghana. Il est en effet de plus en plus complexe de traverser un pays divisé pour se rendre à Abidjan. Les autorités portuaires de Lomé et d’ailleurs ont ouvert leurs installations et le ministre des Transports burkinabé Gilbert Noël Ouédraogo a approché les autorités sénégalaises pour discuter de la possibilité d’utiliser le port de Dakar.
Le gouvernement burkinabé a mis sur pied un « groupe de surveillance » afin d’évaluer l’évolution de l’impact de la crise en Côte d’Ivoire sur l’économie du pays.
D’après Issoufou Maiga, secrétaire général de l’association nationale des propriétaires de camions, l’Organisation des Transporteurs du Faso (OTRAF), les propriétaires de camions sont désormais extrêmement réticents à envoyer leurs camions en Côte d’Ivoire.
Sources : OIM, OCHA, CICR
[Cet article ne reflète pas nécessairement les vues des Nations Unies]
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